Banquiers, industriels, hommes du chiffre : peuvent-ils s'entendre ? Le point de vue des acteurs
Première table ronde du colloque PRESAJE/FIDES du 14 octobre 2009 sur le thème "Après la crise : du discrédit au crédit ?". Banquiers, industriels, hommes du chiffre : peuvent-ils s'entendre ? Le point de vue des acteurs.
  • M. Jacques BARRAUX

Il y a un an, tout le monde pleurait. C’était la fin du monde. Un an plus tard, la vie recommence-t-elle comme avant ? Ce n’est pas sûr.

Pour en parler, Michel CICUREL, président de la compagnie financière Edmond de Rothschild. Il est un peu « l’accusé » ce soir, mais il est capable de se défendre.

Nous avons centré notre discussion sur une comparaison avec les besoins réels, la vie réelle des entreprises. C’est pourquoi Olivier POUPART-LAFARGE, qui un grand dirigeant du Groupe Bouygues, partira du fonctionnement réel d’une entreprise et sa relation avec le monde des financiers. Cela permettra de rebondir sur les questions posées par Xavier LAGARDE.

En préalable, je pense qu’il est normal que l’accusé situe sa position. Michel CICUREL, votre petit préalable, et vous répondrez ensuite à Olivier POUPART-LAFARGE.

  • M. Michel CICUREL

J’ai entendu un coup de feu tout à l’heure et je me suis demandé si l’on avait tenté de m’éliminer avant le débat, mais en réalité on m’a raté. (Sourires.) Je repensais à cette chanson d’un jeune prodige que je paraphrase en disant : « Dur, dur d’être banquier. Fais pas ci, fais pas ça. Fais comme ci, fais comme ça. Dur, dur d’être banquier ». C’est très dur.

En réalité, je plaide responsable mais pas coupable.

Je trouve que beaucoup de critiques sont adressées aux banquiers. Cela ne date d’ailleurs pas de la crise ; c’est une vieille histoire. On nous reproche de temps en temps de ne pas prêter assez et de prêter trop. S’agissant des subprimes, on nous disait que l’on prêtait trop. Il y a eu, voici dix-huit mois, la crise parce que les banquiers prêtaient trop. Dix-huit mois après, ils ne prêtent pas assez. De temps en temps on ne prend pas assez de risques, en oubliant complètement que les banquiers ne prêtent pas leur argent mais l’argent des déposants, et de temps en temps on nous reproche d’en prendre trop.

On nous reproche d’être trop créatifs, d'aller faire des innovations financières de toute sorte et on nous reproche de temps en temps d'être des temples du conservatisme.

Je ne dis pas que les banques ne méritent pas de critiques, mais je trouve qu’elles sont assez mal ajustées.

Mon propos s’organise autour de trois thèmes, je n’ai pas évité les thèmes dangereux :

  • Naturellement en tête les bonus qui intéressent tout le monde,
  • Ensuite, j’espère ne pas mordre sur la deuxième table ronde, la régulation,
  • Enfin, le rapport entre finance et économie réelle.

1-. Pour planter le décor, je dirais que les bonus sont un sujet politique, mais qui n'a strictement rien à voir avec la crise. C'est complètement hors sujet par rapport à la crise.

On entendait ce matin que l’évaluation des bonus qu'allaient verser les banques de Wall Street cette année était de 140 Md$, c’est-à-dire plus que le record de 2007. Je trouve que c’est une provocation.

Voir des banques distribuer des bonus de cette dimension lorsque le chômage va vraisemblablement continuer de progresser aux Etats-Unis jusqu'au printemps prochain, qu'un Américain sur six sera au chômage, ce que l’on n’a pas vu depuis 1957, est une provocation.

Je trouve que c’est une provocation, mais je pense que c’est un sujet politique qui aurait dû être traité par les politiques. Je suis un peu déçu qu’Obama n’ose pas affronter Wall Street. Ma conviction est que le problème n’est pas les bonus mais les rémunérations.

  • M. Jacques BARRAUX.
  • Les salaires.

    • M. Michel CICUREL.

    Les rémunérations de façon générale, parce qu’il n’y a pas que des salaires. Il y a toute une panoplie de rémunérations.

    Je pense depuis très longtemps, quinze ou vingt ans, que la finance est trop rémunérée par rapport à d'autres activités, et pas seulement les patrons de banque. Une secrétaire dans la banque gagne deux à trois fois plus qu’une secrétaire dans l'industrie.

    Vis-à-vis d’autres métiers (enseignant, chercheur, médecin, infirmière, etc.), je trouve qu’il y a un problème de contribution à la société et je ne crois pas qu’un secteur puisse durablement gagner beaucoup plus qu’il n’apporte à la société. Je pense qu’il y a un problème, mais le bonus vaut beaucoup plus que la rémunération fixe. Plus c’est variable, mieux c’est pour tout le monde.

    Ce que l’on a tellement vomi est probablement ce qu'il y a de mieux, c'est-à-dire les stock-options. Quand on dit qu'il faut adapter les bonus de façon qu'ils intéressent les opérateurs à la performance de la banque dans la durée, cela s’appelle des stock-options. Je m'arrête là. C'est simplement pour provoquer le débat.

    • M. Jacques BARRAUX

    Nous reprendrons cela dans nos débats

    • M. Michel CICUREL

    2 -. Deuxième sujet : la régulation. Aujourd'hui, c’est : « Vive la régulation ! ». Moi, je dis : « Bof ». Vraiment, bof.

    Ma conviction est que le principal responsable de la crise d’aujourd'hui n’est pas le banquier mais le régulateur. Je pense en particulier que la Réserve fédérale (si les banques ont été consommatrices de drogues, ce que je veux bien admettre, on pourrait entrer dans le fond du sujet) était le dealer, à la différence de Jean-Claude TRICHET, qui, je vous le rappelle, a essayé de maîtriser la masse monétaire et se faisait huer par toute l’Europe, notamment par les entreprises.

    Quand Jean-Claude TRICHET parlait de la croissance trop forte de M3, on disait que c’était un technocrate, un ancien du Trésor, tout ce que l’on peut imaginer de pire. En réalité, il a essayé de contrôler M3 tant bien que mal, probablement pas assez, et on l’a accusé de le faire trop.

    Dans le même temps, Alan GREENSPAN était le dieu de la planète. J’ai rencontré GREENSPAN à Paris six mois après qu’il ait quitté la Réserve fédérale – ce devait être en juin ou juillet 2006 – et je lui ai demandé ce qu’il pensait de l’immobilier.

    Il m’a fait cette réponse ahurissante, qui m’a un peu secoué : que le prix de l’immobilier ne pouvait pas baisser parce qu’il n’y a pas de progrès de productivité dans la construction, que les salaires s’alignent sur les secteurs à gain de productivité et sont rapides ailleurs et que la construction est donc inflationniste par nature et les prix ne peuvent donc pas vraiment baisser. Je lui dis : « Oui, mais le problème est qu’ils baissent. Cela fait déjà six mois qu’ils baissent. Il y a de l’offre et de la demande ». Il me répond : « Non, ils ne baisseront pas vraiment ».

    Le patron déifié de la Réserve fédérale a laissé se développer une bulle immobilière très dangereuse sans la regarder parce qu’il pensait que les prix de l’immobilier ne baisseraient pas. Il a adopté une politique laxiste.

    Il était normal d’avoir une politique monétaire facilitatrice après le krach de 2001 et après le 11 septembre, mais on l’a fait beaucoup trop longtemps. C’était extrêmement dangereux. Une bulle de crédit s’est développée avec la bienveillance de la Banque centrale, et je me suis toujours demandé si les banquiers centraux, à moins d’être comme Jean-Claude TRICHET amoureux du martyr, étaient vraiment indépendants ou s’ils n’étaient pas finalement dépendants de l’opinion, de leur image et de la position qu’ils auront au moment de leur retraite.

    En réalité, je pense qu’il y a eu un problème de régulation. Je pense d’ailleurs que le régulateur boursier est responsable de beaucoup d'autres choses, en particulier de la crise dot.com, parce que l’on a laissé introduire à la bourse américaine des torchons d’entreprises. Le régulateur boursier américain est responsable de MADOFF, qui a été contrôlé, recontrôlé dix fois. Il est très bien de renforcer la régulation, mais la régulation vaut ce que valent les régulateurs. Les régulateurs sont capables d’erreurs humaines, comme tout le monde.

    L’erreur humaine est beaucoup plus dévastatrice dans la tour de contrôle que dans la cabine de pilotage. Mieux vaut peut-être laisser les gens régler leurs affaires dans la cabine de pilotage. Nous reviendrons sur tout cela ; je fais un peu de provocation.

    3 - Enfin, dernier thème : finance et économie réelle.

    Je dois dire ne rien y comprendre, ne jamais avoir compris ce que cela voulait dire et je me suis toujours demandé de quel côté était le directeur financier d’un grand groupe industriel. Fait-il partie de l’économie réelle ou de la finance ? Je n’en sais rien. Beaucoup de gens sont à la frontière.

    Je trouve cette distinction incompréhensible et très typique de la France, qui est en réalité la fille de Colbert et la fille aînée de l’Eglise et qui trouve que le commerce de l’argent est obscène. Ce n’est pas tout à fait mon avis, mais je suis Rothschild. (Sourires.)

    Cette distinction un peu journalistique et pas très économique conduit à des choses plus embêtantes. Celle qui me paraît la plus redoutable aujourd'hui est l’idée qu’il faut rétablir le Glass-Steagal Act.

    Le Glass-Steagal Act a été mis en place, si je me souviens bien, en 1933. Il a été aboli ou en tout cas considéré comme non applicable en 1999 par Bill Clinton. En réalité, le Glass-Steagal Act faisait la distinction entre les bonnes banques qui font des dépôts et des crédits aux particuliers et aux entreprises, les vraies banques qui font leur métier – certains disent que les banquiers doivent être bêtes et pas intelligents –, qui prennent des baux, font des crédits immobiliers, et les banques brillantes, intelligentes avec des polytechniciens qui font des dérivés, des choses très compliquées et qui font même de la spéculation, on les qualifie de méchantes banques.

    Cette distinction me paraît redoutable parce qu’elle ne correspond absolument pas à la réalité des grandes entreprises ; je m’en remets à mon ami Olivier POUPART-LAFARGE. Je pense qu’une grande entreprise n’a pas envie d’avoir celui qui lui fait un crédit sur son bilan d’un côté, celui qui lui organise ses émissions obligataires, ses augmentations de capital en actions d’un autre côté, puisque c’est la banque de marché.

    Je pense que la grande entreprise, et probablement la moyenne aussi, a envie d’avoir un interlocuteur unique qui gère l’ensemble de son passif, crédit bancaire et opérations de marché en même temps.

    Des choses sont exactement à la frontière entre les deux. Cela s’appelle – j’ose à peine prononcer le mot – « titrisation ». Nous n’avons, encore une fois, pas le temps de rentrer dans les détails, mais je pense qu’il serait de la folie d’arrêter la titrisation, et que ce serait de la folie aussi que le régulateur admette que l’on puisse titriser 100 % d’un crédit. Comme pour la Sécurité sociale, s’il n’y a pas le ticket modérateur la dépense devient folle.

    On ne peut se passer de la titrisation. Si vous faites de nouveau rentrer tous les crédits dans le bilan des banques alors qu’on leur demande par ailleurs de renforcer leurs fonds propres et leurs contraintes de fonds propres, je peux vous assurer que vous n’aurez pas beaucoup de crédits dans les dix prochaines années.

    Il faut continuer de titriser, mais il faut probablement que les banques gardent une part de responsabilité dans la titrisation. Certaines banques américaines ont titrisé à tour de bras et avec une certaine désinvolture, ce qui a produit les sujets que l’on connaît.

    Le problème n’est pas banque commerciale / banque d’investissement. Le problème est le compte propre.

    Si vous me pardonnez cette expression un peu audacieuse que j’ai trouvée en essayant de mettre sur un bout de papier ce que j’allais vous dire, je crois qu’il faut éviter la banque onaniste qui roule pour son propre compte.

    C’est vrai chez tout le monde, c’est vrai dans le Groupe que j’ai l’honneur de diriger, il est beaucoup plus intéressant de travailler pour ses propres fonds que d’être commissionné pour les fonds des autres. On fait beaucoup plus d’argent quand on travaille pour son propre argent. Moi qui suis à la fois responsable d’une holding et d’une banque, il est beaucoup plus passionnant pour nous de travailler pour la holding que pour la banque ; on gagne beaucoup plus d’argent.

    Quand une banque commence à rouler pour son compte propre et à s’intéresser plus à elle-même qu’à ses clients, à prendre des risques sur ses fonds propres alors que le régulateur lui impose par ailleurs des règles tatillonnes, sophistiquées et complexes pour préserver ses fonds propres, je me dis qu’il y a probablement un risque, en tout cas il s’est matérialisé. Le sujet n’est pas tellement de séparer les deux sortes de banques, mais de surveiller attentivement ce que les banques font avec leurs fonds propres, d’adopter probablement une surveillance conservatrice des fonds propres plutôt qu’une surveillance tolérante, et les banques redeviendront à ce moment-là au service de leur client plutôt qu’à leur service propre.

    Tout cela, je pense, n’a rien à faire avec la refondation du capital unique et est simplement le retour à un certain bon sens qui a peut-être été perdu dans les dix ou quinze années qui viennent de s’écouler. J’ai sans doute été déjà trop long.

    • M. Jacques BARRAUX

    Non, c’est votre présentation en invoquant le principe du bon sens. Nous allons maintenant nous mettre à la place de l’industriel qui est un opérateur, une très grande entreprise. C’est pourquoi il est intéressant que vous partiez de l’exemple même qui se passe dans le Groupe Bouygues. La parole est à Olivier POUPART-LAFARGE.

    • M. Olivier POUPART-LAFARGE.

    Avant d'exposer les besoins des industriels et ce que cherchent les industriels dans leurs relations avec leur banque, qui est l’objet même de mon propos, je voudrais d’abord insister sur l’importance de la crise que nous traversons et souligner le fait que c’était à la fois une crise financière et une crise économique, qui a des conséquences sociales considérables.

    Je trouve que l’on ne communique pas assez en France sur l’impact social. Cette crise va créer des millions de chômeurs, mon voisin l’a évoqué aux Etats-Unis, mais pas seulement.

    Dans de nombreux pays le chômage est moins traité qu’en France. Je pense par exemple aux pays d’Europe de l’Est où c’est véritablement catastrophique. Je pense aussi aux millions d’épargnants qui ont été ruinés par cette crise. Là aussi, dans de nombreux pays, les retraites par capitalisation sont beaucoup plus courantes qu’en France.

    Je crois que l’on sous-estime d’une manière générale en France l’impact social formidable de cette crise économique au niveau mondial.

    Il y a une responsabilité considérable vis-à-vis de millions de gens, de millions de familles et il ne faut pas en faire un simple sujet académique, économique, théorique, etc. Je crois que l’on touche à des choses très importantes sur le plan humain et je tenais à le dire en avant-propos.

    En cas de grande catastrophe, on l’a vu, les propos de mon voisin l'ont révélé une fois de plus, les responsabilités sont réparties et chacun les repartit largement autour de lui.

    Pour essayer d’y voir clair et pour vous faire comprendre quel est mon sentiment, je voudrais prendre une image toute simple : celle du chauffard ivre mort qui roule à 200 km/heure sur la route et qui provoque un accident important, un carambolage. On se tourne à ce moment vers tous les responsables possibles de cet accident. On dira que la route, que la signalisation étaient mal faites, que les gendarmes n’ont pas bien surveillé le trafic… On trouvera un tas de gens responsables de l’accident.

    Pour moi, il est sûr que les conséquences de l’accident sont d’autant plus graves que l’environnement est très critiquable, mais c’est le chauffard ivre qui roule à 200 km/heure, avant les gendarmes, avant les Ponts et Chaussées, avant tous les intervenants possibles sur un trafic routier, qui est responsable de l'accident, du carambolage et des conséquences dramatiques de cet accident.

    Qui, dans notre propos, joue le rôle du chauffard ivre qui roule à 200 km/heure ? Les banques. Je suis désolé de le dire à mon voisin, mais c’est là qu'est la responsabilité la plus grave.

    Bien sûr, les conséquences de l'accident dépendront d’un tas de choses. Les possibilités d'existence d'un accident dépendent évidemment aussi du fabriquant de la voiture. On peut dire que les automobiles devraient rouler moins vite, être mieux protégées en cas d’accident, etc. On peut tout dire, mais il faut avant tout rappeler qu’il ne faut pas conduire quand on est ivre et qu’il ne faut pas rouler à 200 km/heure sur les routes.

    Les banquiers ont donc commis des fautes graves et nous allons en reparler, mais je ne veux pas lancer tout de suite la polémique sur les fautes des banquiers.

    On en a évoqué certaines, mais on a oublié de parler de la norme de rendement des fonds propres à 15 %. Je crois que cela n’a pas peu contribué à l’accident que nous connaissons. Il n’est pas normal que des gens pensent qu’ils peuvent durablement avoir 15 % de rendement des fonds propres.

    On a un peu parlé des tradings pour comptes propres qui sont un vrai scandale puisque l’on met à la fois en péril les fonds propres et l’on est aussi en conflit d’intérêt avec ses propres clients.

    Je ne parlerai pas de la titrisation. On a souligné le fait que la titrisation était excessive, en titrisant 100 % des crédits on n'avait plus aucune responsabilité.

    Un élément me paraît encore plus grave : en réalité, une grande partie du papier titrisé a été racheté par les banques elles-mêmes. La BRI a déterminé que seulement 20 % de la titrisation étaient placés dans des investisseurs externes et que 80 % étaient rachetés par les banques elles-mêmes. Il s’agissait donc en réalité d’arbitrages réglementaires, c’est-à-dire que les banques faisaient tomber des lignes de crédit aux entreprises dans des instruments financiers qui étaient moins régulés et qui leur permettaient évidemment d’augmenter leurs profits.

    Sur la titrisation, beaucoup de choses sont à dire.

    Ma conclusion est paradoxalement la même que celle de mon voisin : il ne faut évidemment pas tuer les marchés financiers ni la possibilité de faire du crédit bancaire, notamment la titrisation si elle bien faite, raisonnablement faite, placée auprès d’investisseurs et qu’une partie du risque est conservée par les banques. Il faut de la titrisation, c’est absolument indispensable. Nous allons en reparler.

    Je viens au cœur de mon sujet qui est : quels sont les besoins des entreprises. Pour ne pas vous faire le catalogue de tous les services bancaires, de tous les services de marchés financiers utilisés par les entreprises, j’ai finalement pris un cas concret : celui du Groupe Bouygues.

    (Présentation PowerPoint : Les entreprises ont besoin des marchés financiers et des crédits bancaires – L’exemple du Groupe Bouygues.)

    (Planche : Rappel des caractéristiques du Groupe Bouygues.)

    Le premier tableau vous présente les caractéristiques du Groupe Bouygues pour vous situer le décor. Ce Groupe fait 33 Md€ de chiffre d’affaires, 25 Md€ dans la construction, 8 Md€ dans le pôle Telecom-média (Bouygues Telecom et TF1) :

    • Le bénéfice net annuel est de 1,5 Md€,
    • Les investissements annuels sont de 1,8 Md€,
    • Les capitaux propres de 8,8 Md€,
    • Les dettes financières de 8,7 Md€,
    • Et il représente 145 000 personnes, dont environ la moitié en France et l’autre moitié à l’international.

    (Planche : Bouygues fait appel aux marchés financiers.)

    Le premier tableau vous présente les appels aux marchés financiers, c’est-à-dire les services demandés par le Groupe Bouygues aux marchés financiers.

    Avec une capitalisation boursière supérieure à 12 Md€, nous avons évidemment utilisé cette capacité d’accès aux marchés des fonds propres à de nombreuses reprises, notamment la plupart de grandes opérations de croissance externe ont été faites en émettant des fonds propres.

    Ce service est évidemment indispensable pour la croissance des entreprises et pour le développement des grands groupes français.

    J’ai accessoirement voulu évoquer l’actionnariat salarié. Dans le Groupe Bouygues, 16 % du capital est détenu par les salariés, ce qui représente une somme de près de 2 Md€, un peu plus de 1,9 Md€.

    Cet outil, très important, a pu être développé grâce à des instruments financiers sophistiqués puisqu’un grand nombre d’opérations réservées aux salariés du Groupe a pu être fait avec des effets de levier et des protections sur leur épargne qui résultaient évidemment d'instruments financiers, de produits dérivés fournis par les banques, qui ont été indispensables pour construire ce patrimoine qui contribue largement à la stabilité du Groupe.

    Le deuxième marché est le marché des obligations, dont je ne parlerai pas. Bouygues et ses filiales ont émis pour 8,9 Md€ d’obligations. Evidemment, c’est indispensable. Évidemment, nous continuons à le faire. Aujourd'hui, c’est une chose positive, le marché obligataire, pour les entreprises en tout cas, est bon. Les taux sont raisonnables et le marché largement ouvert. On dit que le marché, la dette d’Etat seront peut-être un peu plus agités dans les années qui viennent.

    (Planche : Bouygues fait appel aux banques.)

    Le deuxième type de services demandés par Bouygues aux banques ce sont les crédits et les garanties bancaires classiques, représentés dans ce tableau.

    L’ensemble des lignes de crédit bancaire pour le Groupe s’élève à 5,4 Md€. Elles financent les investissements d’exploitation et les besoins en fonds de roulement. Tout ceci est absolument indispensable pour la vie quotidienne de l’ensemble du Groupe.

    Quant aux garanties bancaires, pour vous donner un ordre de grandeur, l’encours de garantie bancaire de Bouygues Construction, la seule filiale de BTP du Groupe, est de 3,8 Md€. C’est vous dire que c’est absolument essentiel. Si ces garanties bancaires ne pouvaient plus être fournies demain, l’activité cesserait spontanément.

    S’agissant du marché monétaire, Bouygues dispose d’un fonds de trésorerie de 3,8 Md€. C’est intéressant parce que l’emploi de ces trésoreries est entièrement en emploi sûr et relativement productif d'intérêts.

    Il ne nous est pas venu à l'idée, contrairement à nos amis banquiers, de jouer au casino avec cette trésorerie. Nous n’en avons même pas eu l'idée un instant. C'eut peut-être été plus rentable, mais je ne sais pas si nos clients auraient apprécié qu’on leur dise un jour : « L’avance de démarrage que vous avez donnée pour vos travaux a été perdue parce que nous avons perdu la semaine dernière au casino ». Cela ne nous est pas venu à l’idée. Les placements sont toujours à court terme et toujours dans des instruments extrêmement sûrs.

    Le problème – nous y viendrons dans deux minutes – est que la baisse des taux sur le court terme fait que cette trésorerie n’est pratiquement plus du tout rémunérée. Nous verrons pourquoi. C’est évidemment très embêtant.

    S’agissant enfin du marché des instruments de couverture, je rejoins tout à fait mon voisin, il faut que les banquiers puissent fournir l’ensemble des services à leurs clients, notamment les swaps de cours de change, les swaps de taux d’intérêt. C’est absolument indispensable.

    Nous sommes relativement peu consommateurs de ce type de produits, mais tout de même. Uniquement chez Bouygues, les couvertures des taux représentent 1,8 Md€ et la couverture des cours de change représente 1 Md€. Encore une fois, de nombreux groupes industriels auraient des chiffres plus importants. Nous ne sommes pas les seuls.

    (Planche : Les activités de Bouygues nécessitent des financements.)

    Enfin, troisième et dernier tableau des besoins du Groupe Bouygues : les financements de nos clients. Nous ne pouvons plus travailler si nos clients n’ont plus de moyens financiers pour développer leurs projets.

    Ce sont tous les financements de projets :

    • Les grands projets d’infrastructure sont évidemment financés par des financements de projets, qu’ils soient publics, privés ou mixtes ;
    • De nombreux projets sont actuellement bloqués parce que nous ne trouvons pas les crédits nécessaires, notamment parce que, même lorsque le risque est totalement maîtrisé, les banques, entre elles, ne se font pas confiance ;
    • Et on a beaucoup de mal à monter des syndicats bancaires. La méfiance entre banques est toujours présente et rend difficile le montage de syndicats bancaires.

    Les crédits immobiliers, cela va de soi. Toutes les opérations immobilières nécessitent des crédits aux entreprises et aux particuliers. L’activité de promoteur du Groupe Bouygues représente 2,9 Md€. Ces 2,9 Md€ tombent à zéro s’il n’y a plus de crédit immobilier. Le crédit immobilier est actuellement reparti, doucement. Le crédit relais est bien souvent un point important pour le lancement des opérations. Ce dernier est au contraire totalement en panne aujourd’hui. Pratiquement plus aucune banque n’accepte de faire des crédits relais compte tenu des incertitudes sur les prix de vente des biens immobiliers qui seront à la base de la sortie des crédits relais.

    Voilà, rapidement brossés, les besoins d’un groupe industriel.

    (Planches : Situation des banques.)

    Un mot maintenant sur la situation des marchés monétaires que j’évoquais tout à l’heure à l’occasion des placements de trésorerie que nous devons faire à hauteur de 3,8 Md€.

    Cette première courbe indique les trois taux qui sont les taux des dépôts des banques à la Banque centrale européenne, les taux de refinancement des banques et le taux EONIA qui est le taux de référence auquel notre trésorerie est rémunérée.

    Ces taux sont tombés très bas. Le refinancement des banques se fait à 1 %. Le taux de placement des mêmes banques à la Banque centrale est à 0,25 %. EONIA n’est guère plus élevé que 0,25 : de l’ordre de 0,40 %. Cette rémunération est extrêmement faible.

    (Planche suivante.)

    Une illustration de la mauvaise gestion des banques. Les banques européennes ont déposé des réserves auprès de la BCE qui ont littéralement explosé depuis août 2008. Elles étaient montées de manière relativement stable à 200 Md€ entre 1999 et 2007 (en huit ans). Le marché a commencé à s’affoler à partir d’août 2007 et on assiste en août 2008 à une explosion des dépôts à la Banque centrale parce que les banques vont tirer les liquidités à 1 % uniquement pour assurer leurs liquidités.

    Elles acceptent néanmoins de redéposer cet argent à la Banque centrale à 0,25 %. C’est dire que cela leur coûte 0,75 pour chaque euro placé. Déposer 400 Md€ dans des conditions pareilles montre à quel point elles sont inquiètes sur leurs besoins de liquidité.

    En juin, 1 121 banques avaient déposé de l’argent à la Banque centrale. Elles avaient tiré 442 Md€. Les choses s’améliorent un peu puisque ce ne sont plus à fin septembre que 589 banques au lieu de 1 121 banques, ce qui n’est pas négligeable, et elles n’ont – si j’ose dire – tiré que 75 Md€ au lieu de 442 Md€ au mois de juin.

    Cela montre bien que les choses s’améliorent, mais on ne peut dire qu’elles sont totalement satisfaisantes.

    J'en ai terminé pour ce propos introductif, mais je pense que l'on reviendra sur les errements de nos amis banquiers qui nous ont mis dans cette situation particulièrement douloureuse.

    • M. Jacques BARRAUX

    Le chauffard ayant abusé de Côtes-du-rhône demande évidemment la parole. (Sourires.)

    • M. M. Michel CICUREL

    La banque dont je m'occupe ne fait rien de tout cela (elle fait de la gestion d’actifs, de la gestion privée et du conseil), mais je me sens complètement solidaire de mes amis banquiers et je pense vraiment que le chauffard a été le régulateur américain. Vraiment.

    Ce n’est pas après coup pour nous excuser, mais franchement, j'ai commencé à dire et à écrire tout cela en 2006, notre Maison a commencé à alléger les portefeuilles des clients en actions à partir d’août et septembre 2006 parce que l’on trouvait que la bulle (pas la bulle actions mais la bulle crédits) était en train de se développer.

    Cela paraît trop théorique en regard des choses reprochées aux banques, mais le monde de l’argent est un monde complexe avec des actions et des interactions. Je pense qu’il y a eu pendant toutes ces années une sorte de complicité – qui continue d’ailleurs – entre les Etats-Unis et la Chine. Les Etats-Unis développaient leur double déficit à la fois de finances publiques et déficit extérieur, ce qui permettait en même temps à la Chine de développer une politique mercantiliste, c’est-à-dire, avec une devise exagérément basse et une main-d’œuvre très bon marché, de fabriquer pour le compte du consommateur américain, en réalité recyclant ses excédents vers les Etats-Unis avec une Banque centrale qui n’a rien neutralisé, qui a permis la monétarisation de la dette publique américaine.

    En réalité, les chiffres de ces années-là, pour un ancien du Trésor – un autre éminent est dans la salle, très grand banquier, devant qui je suis intimidé de parler de ces questions qu'il connaît beaucoup mieux que moi – sont extravagants. Pour un ancien du Trésor, voir la somme des déséquilibres extérieurs atteindre 3 % de la production mondiale alors que cela n’avait jusque-là jamais dépassé 1 % est terrifiant. C’était franchement terrifiant.

    Quand l’argent coule à flots, quand les taux d’intérêt sont trop bas… Le taux d’intérêt est le prix du temps. Les temps s’étaient raccourcis de façon effarante.

    Je connais un grand groupe industriel qui a vendu une de ses filiales à un fonds de Private Equity dans lequel notre Maison, associée à un autre grand fonds américain, avait fait une proposition à 400 M€. La société en question est partie à 1 Md€.

    Le vendeur trouvait ce prix « débile » si je me souviens bien, et nous aussi. Cela a été vendu à un fonds qui l’a revendu deux ans après en ayant créé zéro valeur – la seule valeur créée était la valeur de portage de la dette pendant ces deux ans, qui ne coûtait rien – 2 Md€.

    Quand on voit une telle chose se passer en deux ans, on se dit que quelque chose ne tourne pas bien. Je pense que quelque chose ne tournait pas bien parce qu'il y avait trop d'argent, trop bon marché et que les banques se battaient pour faire du crédit à des taux qui étaient trop bas. Quand le taux d’intérêt est trop bas, les calculs financiers deviennent effarants.

    La spéculation n'était pas celle des banques. Elle était généralisée. La spéculation était partout.

    Je pense vraiment que ce problème n’a non seulement pas été réglé mais qu’il s’est aggravé parce que l’on a traité le mal par le mal. BERNANKE, qui est remarquable – et à mon avis beaucoup plus au fait de ce qu’il fait que son prédécesseur – a quand même continué la politique de son prédécesseur, de sa nomination en janvier 2006 jusqu’à la crise de 2007, date à laquelle il a accentué le mal parce qu’il n’avait pas le choix. Il avait l’excuse de la réanimation et de l’urgence.

    On a aujourd'hui une inondation de liquidités dans le monde qu’il sera extrêmement difficile d’absorber. On a des déficits de l’Etat partout extravagants et dont on ne voit pas très bien comment ils peuvent être résorbés, sauf par la monétisation de la dette. En réalité, depuis la guerre, on n’a pas cessé d’augmenter la liquidité de l’économie mondiale, on n’a pas cessé. Je pense à ce mot de Jean-Claude TRICHET que j’aime beaucoup : on sait assez bien faire sortir le dentifrice du tube, mais le remettre dans le tube n’est pas de la tarte. Il faut dire en plus que le dentifrice qui est sorti est pourri. Si vous regardez ce qu’il y a dans les bilans des banques centrales aujourd'hui, c’est pourri.

    Je pense en réalité que nous sommes dans une situation très préoccupante et dont l’origine est la mauvaise régulation.

    Qui était le chauffard ivre ? C’était à mon avis le régulateur américain parce que je pense que tout cela est principalement venu des Etats-Unis. Je pense que l’Europe a été beaucoup plus modérée. Il y a d’ailleurs en général beaucoup moins de dégâts dans les banques européennes, en tout cas dans les banques européennes continentales.

    Le banquier était probablement le passager à la place du mort, mais je veux bien admettre qu’il était dans la voiture. (Sourires.).

    • M. Jacques BARRAUX

    Michel Rouger, les entreprises et les banques sont de toute façon condamnées à travailler ensemble. Comment voyez-vous cette relation pas mal perturbée par tout ce qui vient de se passer ?

    • M. Michel ROUGER

    En cinquante ans d'activité bancaire, je n'ai tiré qu'une seule leçon, qu’il s'agisse de la toute petite SOFINCO de 1956 (pour laquelle je suis allé aux Arts ménagers vendre le crédit à la consommation à la ménagère de moins de cinquante ans qui ne savait pas comment payer sa machine à laver) jusqu'au sein de la banque énorme ABN AMRO en 2006 (pour laquelle j’étais allé quelques années auparavant vendre la titrisation aux banquiers chinois qui ne savaient pas comment gérer leurs tours inoccupées de Shanghai).

    Je dois d’ailleurs dire que les banquiers chinois n'ont pas mieux réagi que la ménagère du salon des Arts ménagers cinquante ans plus tôt.

    La leçon que j'évoque est assez simple et elle montre à quel point les relations sont toujours difficiles entre le banquier et son client parce que le client demande un crédit et le banquier octroie un prêt.

    Je vous assure qu'il y a une très grosse différence entre les deux concepts, qui peut d’ailleurs expliquer le trouble qu’a exposé Michel CICUREL parce qu’il est des moments où l’on voit que le banquier se met à distribuer des crédits sans attendre qu'on lui demande d'octroyer des prêts.

    J'ai vécu quatre crises de ce type dans ces cinquante ans de carrière, sous différentes formes. L'apothéose de la dernière est évidemment très intéressante, mais elle ne change rien au fait que la Réserve fédérale s'est mise à autoriser la distribution de crédits sans que l’on ait eu le temps de lui demander des prêts.

    En France, on avait connu la même chose avec l'arrivée des cartes de crédits revolving en 1969.

    Il faut comprendre qu’il y a à la base une énorme difficulté d'harmonisation et de régulation de ces deux appréhensions de l'argent pour le futur que sont le crédit pour le client et le prêt pour le banquier. Je ne pense pas que cela changera un jour.

    Quand l’on sort d’une période de crise – et on essaie aujourd'hui d’en sortir –, on sait très bien que l’on est obligé de passer par ce que l’on appelle le credit crunch qui pousse entre les deux concepts de crédit et de prêt un peu comme la mauvaise herbe pousse entre les pavés disjoints.

    On a vécu cette situation à plusieurs reprises, mais elle comporte une caractéristique que j’ai observée : même au moment où il n'arrive plus à octroyer de prêt, le banquier explique toujours qu'il continue à faire du crédit.

    Cette constatation vaut encore aujourd'hui puisque le débat reste entièrement ouvert entre ceux qui disent : « On n'arrive pas à avoir de prêt » et le banquier qui dit : « Je continue à faire des crédits ». Il est inutile de vouloir de se battre là-dessus. Il faut trouver des moyens de substitution. Chaque fois, on en trouve un nouveau. Le dernier en date a été la médiation du crédit, mais il y en a eu d’autres auparavant.

    Pour vous donner un exemple concret, je vais simplement vous dire ce que j’ai vécu lorsque l’on m’a confié la mauvaise partie du plan de sauvetage du Crédit Lyonnais qui, pour reprendre le propos que Michel CICUREL a cité de Jean-Claude TRICHET mais en le paraphrasant, consistait à vouloir refaire des œufs avec une omelette.

    Les œufs étaient cassés pour de bon. De très nombreuses entreprises commerciales et industrielles, dans lesquelles le Crédit lyonnais avait possédé une majorité, voire la totalité du capital, qui présentaient de l'ordre de 40 000 emplois, se sont brutalement vues refuser les crédits par les autres banquiers de la place, avec d'ailleurs de très bons motifs parce que l’on était en plein débat de la concurrence anormale qui pénalisait les autres banquiers du fait du plan de sauvetage du Crédit lyonnais.

    Les choses étaient très chaudement débattues à Bruxelles, n’est-ce pas Marc VIENOT, à l’époque, et on était privé de crédit pour faire vivre les projets au quotidien de ces entreprises de 40 000 emplois.

    Comme toujours quand on veut résoudre un problème, il faut aller chercher à l'extérieur du cadre puisque l’on ne pouvait pas trouver dans le cadre, et contre la volonté de tout le monde, y compris des autorités de tutelle et un peu du régulateur. On s’est fabriqué une banque soi-même qui a eu le bénéfice inattendu d'être notée AAA puisqu’il y avait in fine la garantie de l’Etat derrière.

    Avec cet outil qui n’a pas duré longtemps et avec la promesse que l’on ne sortirait pas d’opérations de prêt ou de crédit en dehors du cadre de ces sociétés détenues majoritairement, nous avons réussi, mais très, très difficilement, à sortir d'une situation de credit crunch absolue, qu’il n'était pas possible d'assouplir comme le crédit crunch classique que l'on a vécu après toutes les crises.

    Charles VINCENSINI se souvient de cette période puisqu'il était commissaire aux comptes de la Maison.

    En résumé, à l’origine, et naturellement, les rapports entre le banquier et son client comporteront toujours controverse, opposition, voire suspicion.

    Ensuite, lorsque l’excès survient dans un sens de distribution du crédit, il se retrouve dans l'autre sens de raréfaction de l'octroi des prêts. On ne peut faire autrement.

    Enfin, chaque fois qu’il faut trouver des solutions, nous les avons trouvées, nous, dans le microdispositif de ce plan de sauvetage du Lyonnais, mais aujourd'hui, les pouvoirs publics les ont trouvées sous forme de soutien financier des banques et de soutien de leurs clients de l’autre côté avec la médiation du crédit que j’évoquais.

    • M. Jacques BARRAUX

    Chers amis, si vous voulez réagir à tout ce qui vient d’être dit, si vous avez des propos, des questions à poser, je vous demande de vous présenter.

    • M. Dominique DOISE, avocat

    Monsieur CICUREL, dans sa deuxième intervention, a rappelé les causes essentielles de la crise : les énormes déséquilibres qui existent à cause des Etats-Unis et de la Chine. Nous sommes d'accord sur ce point. Il a écarté dans la première phase de son intervention les motifs « moraux » qui sont souvent avancés : bonus, etc.

    La question qui peut se poser est la suivante. Aujourd'hui, nous, Européens, pouvons-nous faire quelque chose alors que l’on a un euro qui flotte au gré des marchés, que l'on a un ewarn complètement géré, qui continue sa politique de protectionnisme monétaire ? L'Europe ne fait rien. Le traité de Maastricht permettrait de faire quelque chose, à condition que les gouvernements décident et donnent instruction à la BCE de mener une politique monétaire. Manifestement, ce n'est pas dans le débat politique.

    Comment vous, banquiers français, comment vous, industriels français, pensez que l'on puisse réagir face à une situation qui nous échappe en très grande partie ?

    • M. Jacques BARRAUX

    D'abord le banquier.

    • M. Michel CICUREL

    Cette question très pertinente n’a malheureusement pas beaucoup de réponses. Je suis de ceux qui croient depuis un bon bout de temps déjà que le vrai G n’est pas le G20 mais le G2. Un dialogue est très organisé, et heureusement qu’il l’est sinon ce serait bien pire, entre les Etats-Unis et la Chine.

    Sur le plan monétaire, vous avez observé que l’on a complètement évacué les sujets de change de Pittsburg. Je pense que le jeu entre les Etats-Unis et la Chine est absolument central, est au cœur du réacteur.

    Les Chinois sont les premiers détenteurs de réserve en dollars : ils ont 2 000 Mds de réserve dont la grande partie en dollars. Ils n'ont pas intérêt à tuer le dollar qui ne demande qu'à baisser pour des raisons évidentes de déficit, etc., et de créations monétaires débridées. Ils n'ont pas intérêt à laisser baisser le dollar parce qu’ils se tirent dans leurs propres pieds. Ils ne peuvent pour le moment laisser le Yuan (que l’on appelle tantôt Yuan et tantôt RMB) s’apprécier trop par rapport au dollar.

    Nous sommes très présents en Chine et je suis très impressionné par ce pays. Il n'a pas que des côtés sympathiques, mais c'est un pays très brillamment dirigé.

    Ils sont en train, à une vitesse stupéfiante, de réorienter une partie de leur économie vers l’économie domestique et d'abandonner partiellement leur politique mercantiliste. Cela prendra des années. Cela ne peut se faire en dix ou vingt mois. Cela se fera plutôt en dix ou vingt ans.

    Je vois déjà des premiers signes de libéralisation du Yuan. Je pense que l'on verra progressivement une progression vers la convertibilité du Yuan, mais on estime en général qu’il est sous-évalué de 20 à 40 %. Je ne crois pas que ce chemin sera rapidement rattrapé.

    Quant au dollar, il a toutes les raisons de baisser ; je parle sous le contrôle des vrais économistes, je n’en suis pas un. Tous les théorèmes connus sur la fixation des changes devraient conduire à un effondrement du dollar qui n’est déjà pas loin de 1,50 par rapport à l’euro. On sait en Europe qu’à partir de 1,30 on a des problèmes. On voit très bien par exemple sur l’aéronautique que le dollar à 1,50 est mortel. A 1,30, on peut travailler. A 1,50, 19 cela devient beaucoup plus difficile et plus haut, à 1,80, 1,90, 2, que sais-je, tout est imaginable, il y a un vrai drame.

    Troisièmement, à ces niveaux-là, les Etats-Unis eux-mêmes ont un problème.

    Une balance des paiements est complexe aujourd'hui. Il y a des échanges de biens et services. Certains échanges sont élastiques au prix et donc au change, et certains ne le sont pas. Il y a des échanges de capitaux où l’effet est complètement pervers.

    Si les Etats-Unis ne peuvent plus investir à l'étranger sans payer une prime considérable parce que leur monnaie est dévaluée, il y a un effet pervers majeur. J'ai le sentiment que les Américains commencent à s'inquiéter de la baisse du dollar et ils feront probablement ce qu'ils peuvent pour que cela ne baisse pas trop, trop vite.

    Que peut faire l'Europe ? Absolument rien, me semble-t-il. Absolument rien.

    La BCE n'est pas responsable de la politique de change. Elle est responsable de la politique monétaire.

    Je pense que la sortie, l'exit strategy, ce dont tout le monde parle, c’est-à-dire le débranchement de la ventilation artificielle historique mise en place depuis dix-huit mois est un exercice épouvantablement difficile, très périlleux et complètement inédit.

    Je pense que la BCE s'occupera d'un tas de choses, sauf de change.

    Une vieille loi en économie, la loi de Tinbergen, indique que l’on peut, avec un instrument, atteindre un objectif mais pas plusieurs. La politique monétaire ne peut traiter le problème des changes. Elle doit traiter le problème de la création monétaire.

    La BCE sera probablement en avance sur la FED dans le resserrement monétaire comme elle l'a toujours été. Le risque que la seule monnaie qui puisse monter soit l'euro est donc très élevé.

    Je n'ai pas vraiment répondu à votre question à laquelle on ne sait pas vraiment répondre. La valeur d'une monnaie ne se dégrade pas. Elle se traite sur des marchés. Je dois dire que je suis un peu préoccupé par ce sujet. Je ne vois pas très bien comment il peut bien se régler.

    • M. Olivier POUPART-LAFARGE

    Du point de vue des industriels, c’est catastrophique. Vous avez parlé de l’aéronautique. Il n’y a pas que l’aéronautique.

    Le pays le plus touché sera l’Allemagne, qui est fortement exportatrice. Cela la gênera beaucoup, mais la France également. Beaucoup d’entreprises françaises seront certainement très pénalisées par ce problème de change. Je crois également que nous ne pouvons avoir aucun espoir d’amélioration. Il est sûr que ce sera un frein à la prise économique.

    • M. Michel ROUGER

    Je vais vous apporter la réponse qu'a faite hier à la même question l'ambassadeur de Chine qui est en charge des relations, un peu élargies, avec l’Europe et la France.

    Il a dit : « Comprenez que nous avons, nous, nos problèmes avec notre peuple, qu’il nous faut lui laisser le temps d’évoluer et, pendant ce temps, il nous faut garder notre rapport de change. Comprenez bien que nous prenons toutes nos décisions en fonction de ce qui se passe chez nous et pas en fonction de ce qui se passe chez vous ».

    Cela ne peut être plus clair.

    • M. Dominique DOISE

    Sur ce point, un mot. L’article 111 du traité de Maastricht confère au Conseil des ministres le pouvoir de décider une politique de change. Je pense que tous les acteurs économiques, tous les banquiers, tous les acteurs, tous les gens qui peuvent parler devraient faire pression sur les politiques. Nous sommes dans une situation où l'on doit gérer l'euro comme les Chinois gèrent le Yuan. C’est vraiment une question de sauvegarde.

    • un participant

    Après un Master en droit des affaires, je fais un master II. Tout d’abord, je voudrais vous remercier de votre intervention ainsi que ceux qui ont organisé ce colloque qui ne saurait qu’encourager une très grande coopération entre le monde professionnel et le monde universitaire.

    Ma question est la suivante : M. ROUGER a mis l’accent sur le fait qu'il fallait trouver des substituts. De nombreux économistes, tel Michel RUIMY, Olivier PASTRE, Jean-Paul LARAMEE, ainsi que de nombreux responsables politiques comme Mme Christine LAGARDE ont donné comme solution à la crise actuelle la finance islamique pour deux raisons.

    Tout d’abord pour son mode de fonctionnement.

    • Le premier point sera l’interdiction d’intérêt. Monsieur CICUREL disait que l’intérêt est uniquement l’enrichissement par l’écoulement du temps.
    • Le deuxième point serait la prohibition des spéculations du hasard. Monsieur POUPART-LAFARGE avait dit que l’on ne joue pas au casino avec l’argent des clients.
    • Le troisième principe est le principe de partage des profits et des pertes.
    • Le dernier principe, le plus important, est l’adossement de tout actif boursier à un acte tangible, c’est-à-dire une très grande proximité avec l'économie réelle.

    Enfin, la deuxième raison est le gisement que la finance islamique représenterait d’après Mme LAGARDE. Elle représente actuellement 800 Md€ et, vers la fin 2010, elle représenterait 1000 Md€, soit un accroissement de 15 % tous les ans alors que la finance internationale représente…

    • M. Jacques BARRAUX

    J’ai compris

    • Même intervenant

    Votre point de vue m’intéresse, car j’envisage de faire une thèse sur ce point

    • M. Olivier POUPART-LAFARGE

    Je laisse à Michel le temps de réfléchir deux minutes à sa réponse, mais en ce qui concerne les grands projets d’infrastructure, il est certain que la finance islamique est une solution intéressante.

    Je disais que nous avions pour plusieurs milliards de projets bloqués faute d’avoir trouvé le financement ad hoc. Il est certain que la finance islamique s’adapte assez bien aux grands projets d’infrastructure parce que, précisément, les principes que vous avez rappelés, que je ne répéterai pas, s’appliquent bien à des projets de cette nature.

    On peut effectivement monter un financement de projet d’infrastructure, je pense à un pont, un tunnel, etc. Les grands ouvrages de travaux publics s’adaptent bien parce que ce support est réel. On peut monter le financement sous forme de loyer.

    La propriété de l’ouvrage peut appartenir au fonds d'investissement islamique qui le loue aux usagers. C’est quelque chose qui se comprend bien par les juristes occidentaux. Je crois qu'il y a effectivement là une ressource importante et je pense que Mme LAGARDE y pensait comme nous y pensons aussi, pas seulement en France mais dans de nombreux pays internationaux et pas seulement non plus dans les pays à majorité islamique mais dans tous pays.

    Je crois que les fonds sont tout à fait ouverts, à condition que l'on respecte les principes que vous avez rappelés. Cela me paraît tout à fait possible dans le domaine des infrastructures. Sur ce plan, je suis très positif.

    Cela ne veut pas dire que cela peut s’adapter à tout. Il y a probablement des types de produits auxquels cela s’adapte beaucoup moins bien. Dans le domaine que je connais, c’est une piste que nous suivons avec beaucoup d’intérêt et nous avons déjà plusieurs projets au travail sur cette question.

    Il y a quelques problèmes juridiques, notamment sur le plan fiscal. Des amendements sont en cours d’étude au Parlement pour permettre qu’il n’y ait pas de pénalisation de ces projets sur le plan fiscal.

    • M. Jacques BARRAUX

    Je vais passer la parole à Albert MERLIN pour une dernière question et ensuite, messieurs, je vous demanderai une très brève conclusion.

    • M. Albert MERLIN

    Je trouve que l’on n’a pas jusqu’ici beaucoup parlé d'inflation.

    • M. Jacques BARRAUX

    On n'a pas assez parlé d'inflation.

    • M. Albert MERLIN

    Selon certains économistes, la réponse au problème de la dette pourrait venir d’une vague d’inflation, mais on ne sait plus fabriquer de l’inflation. La quantité de liquidités déversées sur les marchés depuis des mois est impressionnante, mais il paraît que l’on ne sait plus fabriquer l'inflation.

    • M. Jacques BARRAUX

    Y a-t-il une technique pour sortir de la dette par l’inflation bien maîtrisée ? Michel CICUREL.

    • M. Michel CICUREL

    Non, il n'y en a pas. Je sais que cette thèse est assez répandue. Certains économistes et financiers se préparent d'ailleurs à de l'inflation. De la vraie inflation. Pas 2 ou 3, mais 7, 8, 10, que sais-je, le genre d’inflation que l’on a connue il y a vingt-cinq ans qui a été assez dévastatrice.

    Je dois dire que je n’y crois pas parce qu’il est compliqué de prévoir ce qui se passera à dix ans. A dix mois, ce n’est déjà pas simple. Je pense qu’il y aura dans les deux ou trois ans à venir une résorption lente du chômage dans les pays de l'OCDE, et la courbe de Phillips fonctionne toujours, donc impossible d'avoir de l'inflation.

    L’armée industrielle de réserve qui existe dans les pays asiatiques est considérable et je ne vois absolument pas comment il est possible d’avoir une inflation salariale avec une telle masse de main-d’œuvre nouvelle qui arrive tous les jours. L'exode rural en Chine est une France tous les deux ans : c’est, tous les deux ans, 60 millions de gens qui quittent le monde agricole pour arriver en ville. C'est complètement massif.

    Je vois deux sources d'inflation possibles :

    • Les matières premières et les énergies fossiles. Le prix de ces matières est dicté par la croissance des pays émergents. On a tout de même un risque de découplage, c’est-à-dire de croissance forte de la Chine, de l’Inde, du Brésil en même temps qu’une stagnation relative dans les pays à risque ;
    • Deuxième source : l'inflation monétaire.

    L'inflation monétaire est assez compliquée. Cela dépend où va l'argent. L'inflation monétaire ne résulte pas de la simple existence d'une masse importante de liquidités. Des phénomènes sont bien connus comme la trappe monétaire. Il n'est pas du tout évident que la quantité très importante de monnaie qui existe aujourd'hui provoque de l'inflation.

    Cher Albert Merlin, non, je crois que l’on ne sait pas fabriquer de l’inflation, mais vous posiez la question parce que vous connaissiez la réponse.

    J’ajouterais que je trouve personnellement que ce n'est pas une bonne solution, ce n'est pas une solution souhaitable. S'amuser à déplacer du pouvoir d'achat des uns vers les autres est un jeu très dangereux. Une fois que l'on a commencé, on ne sait plus très bien le maîtriser. Mieux vaut veiller à ce qu'il n'y ait pas trop d'inflation, mais d'autres choses sont à faire et il faudra bien traiter les finances publiques.

    • M. Jacques BARRAUX

    Messieurs, nous arrivons au terme de notre discussion. D’un mot, Olivier POUPART-LAFARGE, si vous aviez un petit message à faire passer, sur quel point souhaitez-vous que l’on porte l’attention la plus vive ?

    • M. Olivier POUPART-LAFARGE

    Si je n’ai qu’un message à passer en trois mots, c’est de dire : oui, plus de régulation pour les banques, oui, je pense que c’est nécessaire. La régulation doit être renforcée, mais pas au point de les paralyser dans l’action qui est nécessaire pour soutenir l’économie et soutenir l’activité des entreprises.

    C’est ce que je crains. Je crains qu’il y ait un excès de réglementation au niveau français, au niveau européen, au niveau mondial, et que ceci freine la reprise économique.

    Mon message est : attention, messieurs les régulateurs, n’allez pas trop loin. Ciblez bien les opérations que vous devrez contraindre, voire empêcher totalement, mais ciblez-les bien parce que si vous faites des opérations trop générales, un peu comme quand on parle d’effet de levier global sur le bilan, je crains que ce ne soit un frein à la reprise économique et donc finalement dommageable pour tout le monde.

    • M. Jacques BARRAUX

    Merci. Michel CICUREL, votre message ?

    • M. Michel CICUREL

    J’applaudis. Je n’ai rien à ajouter à ce qu’a dit Olivier POUPART-LAFARGE. Cela me va très bien.

    Aujourd’hui, les banques ne sont pas guéries. Olivier l’a dit, elles vont mieux, mais elles ne sont pas guéries.

    Si l’on veut accabler le malade de médicaments, si l’on veut, pour ne citer que cela, appliquer Bâle 2, c'est-à-dire demander plus de fonds propres à des banques qui n'en ont déjà pas assez pour prêter, si l’on veut accabler les compagnies d’assurance de Solvency II pour être bien sûr qu’elles n’achèteront plus d’actions et qu’elles ne feront plus de Private Equity et qu’elles ne feront plus que financer la dette de l’Etat, il n’y a en effet qu’à faire cela, mais – c’est vrai, je souscris complètement à ce qu’a dit Olivier –, on risquerait de faire très mal à la reprise économique.

    Pour finir sur une question, parce qu’elles sont toujours plus intéressantes que les réponses, je crois qu’il va se passer, dans les années à venir, quelque chose de très grave pour la régulation. Je pense qu’il apparaîtra, notamment aux Etats-Unis, des consolidateurs bancaires de taille gigantesque (les JP Morgan, Bank of America, Goldman, ceux qui ont sauvé les banques qui n’allaient pas bien), qui deviendront tellement gros que les régulateurs ne pourront absolument rien leur dire. Ils seront beaucoup plus puissants. Ils sont déjà beaucoup plus forts que les régulateurs parce que, comme on paie bien dans la banque, les bons vont plutôt dans la banque que dans la régulation. Je crains qu’ils ne deviennent tellement gros, tellement too big to fail que les régulateurs seront en réalité impuissants.

    Certains banquiers ont plutôt pas mal survécu, mais les managements et les actionnaires ont été lessivés.

    La seule chose que je peux espérer, puisque je crois que cette crise est en réalité une crise de l’oubli du temps et de la durée, c’est que la mémoire ne sera pas trop courte et que les gens qui ont été lessivés essaieront de ne pas l’être une deuxième fois.

    A part l’autorégulation, je ne vois pas bien ce qui pourra marcher devant des mastodontes pareils.

    • M. Jacques BARRAUX

    Michel Rouger ?

    • M. Michel ROUGER

    Très simplement, il y a quelques mois, dans une lettre de PRESAJE, j'avais exprimé le même sentiment de crainte de cette gigantesque lessive dans laquelle risquaient d'être pris les actionnaires et le management. Je crois avoir intitulé le texte : « God saves the bank ». Je crois que les choses n'ont pas permis aujourd'hui de dire qu’elles sont sauvées.

    • M. Jacques BARRAUX

    Merci, chers amis. C’est maintenant la deuxième table ronde qui va prendre la suite.