Priorité à la Liberté
Les nouvelles technologies, tout en offrant des opportunités inédites d'expression et de consommation, peuvent aussi menacer notre vie privée et notre liberté individuelle. Jean-Luc Girot plaide pour une approche équilibrée, en utilisant les outils technologiques avec prudence et en s'appuyant sur le cadre légal pour protéger nos libertés.

Dans la Déclaration de 1789, la liberté précède l'égalité. Formellement, rien n'a changé. Mais concrètement, le souci d'égalité est beaucoup plus souvent évoqué que celui de liberté. Ce renversement des priorités est-il durable ?

Probablement pas, si l'on est attentif aux menaces qui pèsent sur la liberté.

Le bouillonnement technologique n'est pas pour rien dans cette affaire, à telle enseigne que PRESAJE a institué un groupe de travail destiné à traiter de la conciliation entre fichiers planétaires et liberté individuelle (1). Il faut bien voir que l'on peut désormais être privé d'une partie de sa liberté sans sortir de chez soi. La contrainte peut s'appliquer sur une personne, par le seul fait que des informations la concernant sont détenues et exploitées par des tiers. La privation de liberté, c'est aussi "la violation du droit au respect de la vie privée passant le plus souvent par une atteinte au contrôle que l'individu possède sur l'information personnelle (2)".

Avec l'avènement des nouvelles technologies et d'Internet, les données en question peuvent revêtir des formes extrêmement diverses : des habitudes de consommation à la "géolocalisation"

instantanée, toute information personnelle peut être collectée, puis exploitée le plus souvent à des fins commerciales. Pour échapper à cela, une seule formule : n'utiliser ni carte bancaire ni chèque, ne divulguer ni son identité ni son adresse, ne pas utiliser de téléphone mobile et, bien sûr, récuser totalement Internet. Difficile d'imaginer de mener une vie normale dans le monde actuel en supportant de telles contraintes. C'est la liberté même d'exister qui en pâtirait.

"Vous n'y êtes pas", diront les amoureux du silicium.

Les nouvelles technologies constituent un remarquable moyen d'étendre les frontières de la liberté. Internet, par exemple, donne à tout un chacun un espace d'expression jadis réservé aux journalistes ou aux écrivains. Aujourd'hui, tout le monde peut écrire et être lu sur Internet. Pour preuve, le succès grandissant des "blogs". Cet anglicisme, abréviation de "web log", littéralement : "journal intime sur la toile", ne désigne rien d'autre qu'un site Internet d'un genre nouveau - plutôt plus dépouillé qu'un site classique - sur lequel chaque "blogueur" peut lancer un débat sur les sujets les plus variés. Les visiteurs de ces sites ont tout loisir de répondre et de véritables discussions peuvent ainsi voir le jour. En fait, Internet offre un espace d'expression depuis très longtemps au travers des forums, "chats" ou autres "newsgroups", le "blog", ne constituant qu'une facette supplémentaire du phénomène. Grâce à ces sites et à la technologie associée, Internet s'affirme comme un nouveau vecteur de promotion de la liberté d'expression, capable, mieux que n'importe quel média existant, de toucher la planète toute entière.

Mais ce n'est pas tout : Internet est plus qu'un moyen d'expression supplémentaire. Il étend également notre liberté dans le domaine de la consommation. Il nous offre la possibilité de choisir, de comparer, d'acheter au meilleur prix. Les nombreux moteurs de comparaisons qui existent aujourd'hui sur la toile en sont la preuve. Ils permettent aux internautes de faire des achats auprès de fournisseurs du monde entier comme s'il s'agissait de commerces locaux. Tout se compare : il devient ainsi possible de passer d'une offre à l'offre concurrente en un seul clic de souris. On peut presque tout acheter sur Internet, des biens matériels bien sûr, mais également des services, tout en bénéficiant des meilleurs prix possibles sans sortir de chez soi. C'est également une forme de liberté que de ne pas tomber sous l'hégémonie d'un réseau de distribution de proximité.

Ainsi, en matière de liberté, Internet semble nous offrir d'un côté ce qu'il nous reprend de l'autre.

Alors, s'il fallait choisir entre plusieurs formes de liberté ? S'il fallait choisir entre la liberté d'être anonyme mais reclus et celle d'être libre mais traqué ? Et si toutes les formes de liberté n'étaient pas compatibles entre elles ?

Comment trancher ? A chacun son "type" de liberté.

Alors, protégeons-là. Protégeons celle qui nous semble la plus chère. Exploitons l'extraordinaire potentiel de la technologie, mais raisonnablement : avec "prudence" auraient dit les Anciens. Ne divulguons pas nous-mêmes les informations que nous considérons comme confidentielles, mais ne nous privons pas du même coup du pouvoir de la toile. Aidons-nous de la technologie, puisqu'elle est disponible, pour nous protéger contre les intrusions virales. Et enfin, sollicitons l'appareil judiciaire et faisons respecter les lois. Rappelons-nous Alfred de Vigny : "Vous m'appelez la Loi mais je suis la Liberté".

(1) L'homme traqué, ouvrage à paraître prochainement aux Editions DALLOZ

(2) Daniel Gutmann, Le sentiment d’identité Ed. LGDJ, préface de François Terré