Pour aborder cette question, il est essentiel de distinguer les deux grandes étapes du développement du droit pénal de l’Union européenne, avant et après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009.
Trois types d’instruments adoptés avant 2009
De nombreux instruments ont été adoptés pendant la première période, principalement dans le cadre du Troisième pilier. On les classe traditionnellement en trois catégories.
La première regroupe des instruments cherchant à renforcer, simplifier, accélérer la coopération en matière judiciaire mais également policière. Il s’agit de toutes les décisions-cadres de reconnaissance mutuelle en matière pénale, à commencer par la plus connue, la décision-cadre du 13 juin 2002 sur le mandat d’arrêt européen. En matière policière, on peut citer la décision qui intègre le Traité de Prüm dans l’acquis de l’Union, qui vise à assouplir et à améliorer l’échange d’informations policières.
La deuxième catégorie regroupe les instruments cherchant à rapprocher les législations pénales, principalement les législations de droit pénal matériel, à travers la définition de certaines infractions et la détermination du niveau de sanction prévu pour les réprimer.
La troisième catégorie rassemble les décisions et instruments visant à mettre sur pied et renforcer des acteurs européens destinés à intervenir dans ce secteur. Il s’agit par exemple d’Europol, d’Eurojust, ou encore du Réseau judiciaire européen.
Les limites des décisions-cadres adoptées avant 2009
Les décisions-cadres et les décisions adoptées avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne sont proches des directives de droit communautaire : elles sont contraignantes quant aux résultats à atteindre, mais laissent les États membres libres du choix des moyens pour y parvenir. Par son arrêt Pupino du 16 juin 2005, la Cour de justice a étendu aux décisions-cadres du Troisième pilier l’obligation d’interprétation conforme, c’est-à-dire l’obligation d’interpréter le droit national, et notamment les lois de transposition de manière conforme au droit européen. Cette disposition a conféré un pouvoir accru aux juges nationaux pour assurer l’effectivité du droit pénal européen.
En Italie par exemple, la loi de transposition du mandat d’arrêt européen s’est écartée à de multiples égards tant de la lettre de la décision-cadre de 2002 que de sa philosophie, en multipliant les motifs de refus d’exécution du mandat d’arrêt européen. Parmi ces motifs figurait, par exemple, le cas où « le pays émettant le mandat d’arrêt européen ne connaissait pas de limitation légale ou constitutionnelle de la durée de la détention avant jugement ». C’est le cas notamment en Belgique, où il n’existe pas de limitation légale de la durée de la détention, mais des mécanismes de contrôle régulier de cette durée conformes aux exigences de la Convention européenne des droits de l’Homme. L’Italie avait donc refusé d’exécuter des mandats d’arrêt européens émis par les autorités belges. Par son arrêt Ramoci du 30 janvier 2007, la Cour de cassation italienne est revenue sur cette jurisprudence et a fait application de l’obligation d’interprétation conforme pour imposer l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis par l’Allemagne, pays qui ne connaît pas non plus de limitation légale ou constitutionnelle de la durée de la détention provisoire. D’autres exemples de ce type peuvent être mentionnés, tels l’arrêt Dabas du 28 février 2007 de la House of Lords.
Si les décisions-cadres du Troisième pilier étaient relativement proches des directives de droit communautaire, elles étaient toutefois nettement moins efficaces parce que, en vertu de l’article 34 du Traité, elles étaient purement et simplement privées de tout effet direct et qu’elles n’offraient pas de possibilité de recours en manquement contre les États défaillants. La Commission européenne n’était donc pas à même de jouer pleinement son rôle de gardienne du droit européen. Et il s’avère que les transpositions des instruments adoptés avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne étaient et sont toujours largement défaillantes.
Même la décision-cadre du 13 juin 2002 sur le mandat d’arrêt européen, présentée comme la success story du droit pénal de l’Union européenne dans la mesure où c’est la seule décision-cadre de reconnaissance mutuelle à avoir été transposée dans tous les États membres, a fait l’objet de transpositions défaillantes dans de nombreux États. À la suite des rapports d’évaluation rendus par la Commission, de nombreux États membres ont revu leur loi de transposition mais certaines de ces lois révisées elles-mêmes sont encore défaillantes. C’est le cas, par exemple, au Royaume-Uni.
Quant aux décisions-cadres relatives au transfèrement des condamnés, à la probation et aux peines de substitution, aux mesures de contrôle en tant qu’alternative à la détention provisoire ou encore à la prise en compte des condamnations antérieures, les rapports d’évaluation remis par la Commission montrent que de très nombreux États membres n’ont toujours pas transposé ces instruments. Et lorsque ces décisions-cadres ont été transposées, c’est souvent avec beaucoup de lacunes.
Les changements apportés par le Traité de Lisbonne
Le Traité de Lisbonne a permis de communautariser le droit pénal européen. Outre le passage à la codécision impliquant la prise de décision à la majorité qualifiée mais aussi le pouvoir de codécision attribué au PE, cette communautarisation permet désormais d’utiliser les instruments communautaires traditionnels pour développer le droit pénal européen. Autrement dit, les directives et règlements sont désormais à disposition, instruments qui sont beaucoup plus efficaces et effectifs que les anciennes décisions et décisions-cadres.
Les règlements sont directement applicables, sans qu’aucune transposition dans les droits internes ne soit nécessaire. Quant aux directives, elles peuvent se voir reconnaître un effet direct, vertical, ascendant, des individus vers les autorités publiques. Cela vaut en particulier pour les directives adoptées depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en matière de garanties procédurales pour les suspects, comme la directive sur le droit à la traduction et à l’interprétation, ou encore la directive sur les droits des victimes. Les avocats notamment ont un intérêt manifeste à bien connaître ces textes afin de pouvoir s’en prévaloir directement devant les juridictions internes.
Une autre conséquence de la communautarisation est que les compétences normales et complètes de la Cour de justice trouvent désormais à s’appliquer, y compris le recours en manquement. La Commission est désormais amenée à jouer pleinement son rôle de gardienne du droit de l’Union européenne en ce qui concerne les nouveaux instruments adoptés en matière pénale depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
Enfin, les grands principes du droit communautaire s’appliquent également, entre autres le principe de la primauté du droit européen sur les droits nationaux.
Des transpositions des nouveaux instruments encore décevantes
Dans ces conditions, on pourrait s’attendre à ce que la transposition des directives soit plus satisfaisante que par le passé. Tel n’est malheureusement pas le cas pour les premières directives qui ont été adoptées, notamment la directive sur la traite des être humains ou encore celle sur la traduction et l’interprétation. Tous les États ne les ont pas transposées et, lorsqu’elles l’ont été, c’est à nouveau avec beaucoup de défaillances.
Les dispositions transitoires
Le Protocole sur les dispositions transitoires, joint au Traité de Lisbonne, traite de la situation des instruments adoptés avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, comme la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen. Il devrait permettre de donner un véritable deuxième souffle à ces anciens instruments car il prévoit que cinq ans après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, soit le 1er décembre 2014, ils seront, eux aussi, soumis aux pleins pouvoirs de la Commission européenne et de la Cour de justice de l’Union européenne.
En d’autres termes, la Commission aura le pouvoir, à partir de cette date, de lancer des procédures en manquement contre les États défaillants. Il est vraisemblable qu’elle ne pourra pas agir sur l’ensemble des textes issus des différents traités et qu’elle devra opérer une sélection parmi eux. On peut supposer qu’elle privilégiera notamment les textes portant sur la reconnaissance mutuelle, entre autres la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen, les trois décisions-cadres sur le transfèrement des condamnés, la probation et les peines de substitution, les mesures de contrôle en tant qu’alternative à la détention provisoire, ainsi que les décisions-cadres sur le rapprochement des législations en matière d’infractions terroristes.
Le rôle des législateurs et praticiens nationaux
La transposition des instruments de droit pénal européen est l’un des défis à l’ordre du jour des États membres, à la fois pour les anciens et pour les nouveaux instruments. Lorenzo Salazar a souligné que les Strategic guidelines publiées par le Conseil européen en juin dernier ne sont guère ambitieuses sur le plan législatif. En revanche, elles insistent sur la nécessité de transposer les textes qui ont été adoptés et d’évaluer la qualité de leur transposition et leur impact.
La tâche du législateur national est donc fondamentale, mais ne saurait masquer l’importance tout aussi essentielle du travail des praticiens nationaux. Ce sont eux qui mettent en œuvre le droit pénal européen; ils doivent garder à l’esprit que l’obligation d’interprétation conforme leur permet de s’écarter d’une interprétation littérale des lois de transposition et de s’attacher au texte des instruments européens euxmêmes, et surtout à leur philosophie.
À cet égard, je voudrais souligner l’importance cruciale du dialogue avec la Cour de justice. Il revient aux praticiens nationaux de lui poser des questions préjudicielles afin de lui offrir l’opportunité d’interpréter les instruments européens, et de leur donner véritablement vie.