"Le Harcèlement Numérique" ou L'Homme Traqué
A l'occasion de la publication du cinquième ouvrage collectif édité par Présaje intitulé : "Le harcèlement numérique", un événement était organisé à la Maison du Barreau de Paris. Les auteurs avaient pris place sur l'estrade pour présenter l'ouvrage

Le 7 juin a été présenté à la Maison du Barreau de Paris le cinquième ouvrage collectif édité par Présaje, en partenariat avec les Editions DALLOZ, et intitulé : "a class="extlink" href="/ouvrages/harcelement-numerique/" target="_blank">Le harcèlement numérique", ou l'homme traqué.

Le directeur des travaux a été Jean-Luc Girot, ingénieur en informatique, et l'ouvrage présente les contributions de : Ariane Delvoie, Guillaume Desgens-Pasanau, Éric Freyssinet, Sébastien Laloue, Agathe Lepage, Daniel Martin, François Renault, Anne Sendra, Arnaud Tessalonikos.

Pour présenter l'ouvrage, Jean-Luc Girot, Olivier Ertzscheid et Jean-Marie Cotteret avaient pris place sur l'estrade.

Jean-Luc GIROT : OÙ SONT LES LIMITES ?

L'Homme, dans la société actuelle, est sans cesse sollicité par des entreprises commerciales en mal de chiffre d'affaires, par l'Etat pour le soumettre à l'impôt, par la police, par la justice...

Il est désormais impossible de ne pas figurer dans des bases de données en tout genre. Faut-il se protéger ? De qui ? Comment ? Est-on en danger ?

Où se trouve la limite de l'acceptable si l'on veut quand même profiter des nouvelles technologies et ne pas se laisser enfermer dans la défiance et le passé ?

Les entreprises ne peuvent fonctionner et prospérer sans connaître leurs clients. Elles ont donc mis au point des dispositifs de stockage et de traitement de l'information, afin de proposer à leurs cibles commerciales des produits et services toujours mieux adaptés à leur mode de consommation. Ces systèmes reposent sur la connaissance des individus, leurs habitudes, leurs acquis, leur niveau social, leurs moyens. Ces informations, couplées à des traitements très élaborés, permettent un ciblage extrêmement précis des personnes qui peuvent ensuite être approchées, ce qui améliore la productivité de l'effort de prospection.

Si l'on pousse à l'extrême la logique du ciblage, on va chercher à connaître chaque personne par le biais de ses biens, de sa profession, de sa catégorie socioprofessionnelle, de ses déplacements, etc.

L'entreprise va chercher à anticiper ses besoins pour être la première à lui proposer le produit dont elle n'a pas encore envie...

Mais qui pourrait vivre dans la vie moderne sans les technologies contemporaines qui nous entourent ? Il est illusoire de penser que le monde de demain sera plus pur. La liberté individuelle est issue d'un équilibre instable extrêmement vulnérable : attaquée par des entreprises trop curieuses, mal protégée par l'individu lui-même qui se livre trop facilement - par méconnaissance ou par imprudence - et défendue tant bien que mal par une panoplie technologie en perpétuelle adaptation et par la loi en lente évolution.

La liberté individuelle ne survivra que si nous nous donnons les moyens de la protéger.

Olivier ERTZSCHEID: L'OMBRE DE LA TOILE

Pour apporter ma pierre, j'aimerais me focaliser sur la puissance d'Internet dans la collecte d'informations nominatives. Les plus puissants moteurs de recherche de la toile, Google, Microsoft et Yahoo, cherchent à devenir des acteurs incontournables en proposant, outre des espaces gratuits de stockage en ligne, des boîtes aux lettres électroniques, des moteurs de recherche passant en revue à la fois le contenu d'Internet mais aussi celui de votre propre disque dur.

Sur Internet, le droit à l'oubli n'existe pas. Même si une page n'est plus accessible dans la navigation de son site d'origine, elle pourra être consultée si elle est restée stockée sur un serveur. Sous le prétexte d'un service toujours plus riche au bénéfice des usagers, ces sites se concoctent des bases de données de plus en plus indiscrètes. Aux Etats-Unis, il est possible, contre 50 dollars, d'obtenir une liste gigantesque de renseignements sur une personne.

Une étude récente a démontré que les enfants du cours élémentaire passaient en moyenne 5h30 par jour devant l'écran (télévision et ordinateur confondus). Luttons contre ce fléau. Protégeons les enfants des attaques d'Internet. Ils ne sont pas en sécurité chez eux derrière un ordinateur connecté.

Des risques bien réels les menacent : les prédateurs sont là, tapis dans l'ombre anonyme de la toile.

L'Etat ne nous protège plus vraiment. Nous sommes de plus en plus en prise directe avec le monde qui nous entoure. La dernière barrière qui nous protège risque assez vite de devenir limitée à notre propre corps. Notre corps dont on commence à ficher les coordonnées biométriques. Pour nous faciliter la vie ? Pour sécuriser notre existence ? Peut-être.

Mais en divulguant nos identifiants les plus intimes, ne risquons-nous pas de renoncer à notre bien le plus cher, notre liberté ?

Jean-Marie COTTERET: CONCILIER ÉCONOMIE ET DROIT

La question des fichiers n'est pas neuve. Depuis la nuit des temps, l'Homme a voulu ficher les individus et cela, bien avant l'apparition de l'informatique. Dès le concile de Trente, en 1545, il avait été question de constituer un "fichier des âmes". Pour exister en société, les individus ont dû se démarquer les uns des autres. C'est ainsi que sont nés les noms propres, à partir de noms communs permettant d'identifier les personnes. Ces patronymes ont permis d'alimenter peu à peu des fichiers nominatifs.

Venons-en aux informations nocives. Il convient de les replacer dans leur contexte d'usage précis. Entre l'individu et l'Etat, il existe un rapport d'autorité/obéissance. Ce rapport justifie probablement davantage un "fichage" que le rapport client/entreprise. Même si la mémoire collective mène la vie dure aux idées reçues, l'Etat n'est plus le "Big brother" surveillant constamment chacun d'entre-nous.

L'erreur initiale a probablement été de vouloir tout régir, tout contrôler, tout déclarer à la CNIL. Depuis l'avènement de la nouvelle loi Informatique et Liberté du 6 août 2004, il est prévu un contrôle a posteriori et non plus a priori, comme par le passé.

Et ce contrôle est assorti d'une plus grande responsabilisation des entreprises déclarantes grâce à la création de "correspondants CNIL". Le système évolue vers davantage d'autocontrôle et d'autorégulation. Lorsqu'une nouvelle obligation de déclaration est créée, chacun d'entre-nous doit se demander : qu'est-ce que j'obtiens en contrepartie ? Suis-je plus en sécurité ? La contrainte estelle proportionnelle au risque encouru ?

La dérive est toujours possible. Aujourd'hui, nos enfants sont persécutés par le monde virtuel. Ils sont en danger, il faut les protéger. Pour le reste, demandons-nous en individus responsables si nous sommes ou non traqués, et optons pour la règle du consentement préalable.

Le bon dosage entre nécessités économiques et protection juridique n'est pas donné. C'est une oeuvre collective.