La machine à produire des lois s'est emballée en France au cours des vingt dernières années. La complexité des problèmes de notre société appelle en outre des solutions de plus en plus souvent multidisciplinaires. Pour un magistrat, la révolution juridique, c'est dès lors la capacité à dégager au quotidien des solutions simples, efficaces et lisibles.
Depuis deux décennies au moins, nous sommes témoins de l'inflation législative, de l'explosion normative. Ce phénomène qui affecte nécessairement les relations entre les acteurs sociaux est diversement commenté dans ses aspects ponctuels sous l'angle du progrès ou du réformisme. Mais il est unanimement critiqué dans sa globalité. L'adage « trop de droit tue le droit » est mis en avant autant par les anti-réformateurs que par les réformateurs qui craignent de voir leurs projets tomber dans les oubliettes plus rapidement qu'il n'a fallu pour les concevoir, pire, de voir leurs réformes rester lettre morte.
Incontestablement, la machine normative s'est emballée. Elle a engendré les mécanismes d'une spirale infernale sous la forme, par exemple, de la technique de l'évaluation et de la révision programmée des textes dont le principe est formalisé au coeur même d'un nouveau dispositif. Ce mécanisme que l'on trouve par exemple dans les lois bioéthiques de 1994 trouve ses limites dans la difficulté de planifier et de mener à terme la révision programmée dans le texte dans un délai fixé, 5 ans en l'occurrence.
Mais pour le citoyen, l'usager, le justiciable ou le professionnel du droit, un tel mouvement engendre des contraintes fortes. Le principe « nul n'est censé ignorer la loi » reste théoriquement vrai, notamment grâce à Internet et ses sites institutionnels et privés qui mettent à disposition textes adoptés, versions consolidées, jurisprudence thématique et commentaires de spécialistes. L'équilibre semble préservé.
La difficulté majeure, nous la rencontrons à deux niveaux : dans la prévisibilité du droit qui se trouve affectée par l'accélération des réformes et les revirements de jurisprudence qui les anticipent ou les suivent ; dans l'élaboration de solutions multidisciplinaires qui restent lisibles pour les non-érudits comme d'ailleurs pour les spécialistes qui parfois y perdent leur latin.
A cette occasion, il sera loisible de repenser une véritable simplification du droit, d'accomplir des pauses législatives et de remettre le droit au service des citoyens plutôt que d'en faire l'objet d'un monopole jalousement gardé de ceux qui font de la réforme un fonds de commerce à part entière.
Loin des discours académiques, la vraie révolution juridique, c'est la nécessité de pouvoir dégager au quotidien, dans un contexte multidisciplinaire, des solutions simples, efficaces et lisibles à partir de fondements juridiques émanant de branches du droit multiples. Faire du droit une source de plus-value et non pas un fardeau dans l'activité économique. Si le législateur a de plus en plus de mal à préserver la cohérence des textes entre eux et la pérennité des principes fondamentaux dans leur caractère général, les praticiens doivent relever le défi de la synthèse au service du chef d'usine, du directeur d'hôpital, du responsable d'une collectivité publique, du salarié, du président d'association ou, plus généralement, du citoyen soumis à des bouleversements quotidiens de son environnement.