La Gouvernance : Un Quatrième Type Émerge
Issu des archives de Michel Rouger : un quatrième type de gouvernance émerge, en plus des trois modèles historiques ; monarchique, oligarchique et démocratique.

Dans 3 semaines, je vais participer à une réunion de conjoncture autour du Président d'un groupe du CAC 40. Nous sommes une demi douzaine de fidèles qui se connaissent bien. Chacun verse à ces débats trimestriels ce qui lui parait utile. Je proposerai de tirer les conclusions de nos travaux, il me dira : « Michel, je sais, René CARRON m'a dit que vous vous étiez croisés à Rome où vous avez parlé de gouvernance. Qu'avez-vous pu tirer de pratique et de concret de la fréquentation de tous ces grands cerveaux ? Expliquez nous, rassurez nous.

« Détrompez-vous ! Beaucoup de choses ! Ces réunions ont abouti, entre autres conclusions, à retenir l'émergence probable d'un quatrième type de gouvernance succédant aux trois précédentes que j'ai connues dans ma longue carrière, la monarchique, l'oligarchique, la démocratique. Emergence provoquée par la conjugaison de trois éléments.

Le premier concerne ce que nous appelons la gouvernance globalisée, extension mondiale de la gouvernance de type démocratique actionnariale prévalant dans le libéralisme anglo-saxon au cours des 15 dernières années, spécialement aux Etats-Unis. Réputée devoir être appliquée dans toutes les entreprises, cette gouvernance a fait l'objet d'un traitement différent, selon qu'elles appartenaient à l'économie réelle ou à l'économie financière. Chacune avait ses règles, avec des doses très variables de régulation et de contrôle. Elles ont été longtemps séparées, jusqu'à ce que leur séparation de corps les amène à divorcer dans le drame que nous vivons aujourd'hui. Ce système de gouvernance en sphères, indépendantes, voire étanches, a failli, gravement. Après quoi, un modèle de co gouvernance s'est installé aux Etats-unis, dans lequel la sphère étatique, fédérale, s'est mise à coopérer avec la sphère financière, dans une opération de sauvetage après naufrage. Sans qu'ait été fixée la durée de l'opération.

Après que la nécessité de faire face à la crise, ait conduit la France à transposer chez elle ce mode de co gouvernance, et que le choix ait été fait de la rendre temporaire, dans l'aide apportée pour financer le sauvetage, ou permanente, dans l'institution de la Médiation du crédit, nous observons que nous avons reproduit le même dispositif, mais à trois sphères. La sphère d'état, la sphère financière et la sphère économique. La Médiation du crédit, attachée au Ministère de l'économie et des fiances, fait opérer ensemble, dans des structures départementalisées, des représentants de l'Etat, des banques et des instances professionnelles. Une telle co gouvernance des difficultés de la sphère économique est originale, elle correspond au traitement utile de la crise qui est loin d'être terminée. Vous pouvez donc vous préparer à ce que l'entreprise que vous dirigez soit confrontée à cette réalité, lorsque les clients ou les fournisseurs des différents métiers de votre groupe seront concernés voire affectés.

Un intérêt positif de cette évolution réside dans la découverte par les structures étatiques qui ne connaissent que les relations d'autorité du haut vers le bas, de rapports de co opération avec des entreprises soumises à des pratiques de gouvernance, dont elles ignorent les modalités. Le monde bancaire, lui-même, qui a le souvenir, récent, de sa vie sous la tutelle étatique dont il s'est affranchi, a bien accepté, en rechignant, cette co-gouvernance avec l'Etat, pour sa propre sauvegarde avant le naufrage qui le menaçait.

Le deuxième élément a trait au mouvement de fond révélé dans nos réunions. La corporate governance introduite dans l'économie libérale occidentale il y a 20 ans, apte, selon ses inventeurs et prosélytes, à favoriser le contrôle de l'actionnaire propriétaire, n'a pas prouvé son efficacité sur le long terme. A tel point que malgré l'accumulation des contraintes destinées à corriger la multiplication des insatisfactions qu'elle inspire, la démocratie actionnariale a failli.

Orientée vers la croissance de la valeur de l'action, la fameuse share holder value elle a prouvé son caractère carrément néfaste. Les manageurs qui exerçaient leurs pouvoirs, qui détenaient l'usus des actifs confiés, premières victimes de l'abusus des actionnaires vendeurs en recherche de plus values, ont dérapé, en cherchant à se garantir des risques personnels qu'ils prenaient de trop bien valoriser le prix de l'action d'une entreprise vendue à leur détriment.

Soit pour se protéger, soit pour obtenir leur part du gâteau, certains ont favorisé le développement d'une économie de cupidité marquée par les rémunérations astronomiques, les tricheries, les scandales et les spoliations boursières de la période récente. La croyance idéologique que l'actionnaire pourrait, par sa culture et sa puissance, influer, seul, sur la bonne santé de l'entreprise et la crédibilité de ses objectifs, s'est révélée gravement trompeuse.

Après avoir constaté les conséquences catastrophiques de cette erreur globale, il est apparu qu'il fallait se diriger, à moyen long terme, vers une forme de gouvernance orientée dans l'intérêt de toutes les parties prenantes à l'entreprise, pas seulement dans celui du seul actionnaire. Ce fait suffit pour annoncer l'inévitable transformation de l'actuelle corporate governance. Elle poussera les actionnaires à s'organiser, à être plus exigeants, pour recevoir l'information détenue dans les centres de décisions, aux mains de managers chargés de réaliser l'équilibre entre les différentes parties prenantes. C'est à ce prix qu'ils obtiendront la sécurité de leur engagement dans l'entreprise, tout en étant plus éloignés des décideurs que ne sont les autres parties qui concourent à la production de résultats obérés par la crise.

Le troisième élément a trait aux méthodes et aux process par lesquels se mettent en œuvre les opérations de gouvernance, dont il est plus impératif que jamais d'assurer l'efficacité. Si le double mouvement s'affirme d'une gouvernance orientée dans l'intérêt des parties prenantes et d'une transformation du rapport entre les dirigeants et les actionnaires, il faut regarder concrètement quelles formes les cinq composantes de la gouvernance vont prendre : la transparence, la conformité et le rendu de comptes, les normes comptables et les systèmes d'évaluations.. Ma conviction est que nous sommes engagés dans la phase de décomposition qui précédera, avec le temps, la future phase de recomposition de l'actuelle gouvernance.

S'agissant de la transparence, nous avons vu publier des centaines d'ouvrages, organiser des milliers de colloques qui n'ont pas suffi pour nous dire, clairement ce que l'on entend par transparence. Pour illustrer la situation par une image, supposez que demain matin, pour des raisons de transparence dans l'appréciation des actifs bancaires non dématérialisés, nous décidions que tous les coffres-forts des banques seront dorénavant en verre translucide. Se posera instantanément la question : qui a droit à cette transparence et sur quoi ? quid des conflits entre les exigences collectives et les droits des personnes .Et comment rendre plus transparents les actifs immatériels opaques responsables du dernier Krach ?

Pour la conformité, la confusion est encore beaucoup plus grande. Le choix, mondial, n'est toujours pas fait entre la hard law qui prévaut dans chaque nation, différents types de mix law, qui existent dans les communautés intermédiaires ou régionales comme l'Europe, et la soft law qui renvoie vers les standards d'une gouvernance globale dans lesquels les droits de l'homme, la libre concurrence et l'ingérence des ONG ont leur influence. Une fois faite l'expérience des conséquences de la crise sur ces choix en instance, comment évolueront les rapports entre trois systèmes de normes à sphères géographiques distinctes. Surtout dans l'hypothèse où se développeraient des ambitions de multipolarité face à l'actuelle globalisation. Qui devra être conforme à quoi et où ? La réponse mérite d'être creusée. D'autant plus qu'on sait que le respect des procédures ne protège pas des catastrophes, comme on l'a vu, simplement chez nous, dans les affaires du Crédit lyonnais, d'Outreau ou d'AZF. Sans omettre le coût de la mise en conformité d'opérations qui s'en étaient affranchies. La Cour des comptes en a mesuré la charge dans les prestations fournies par les cabinets étrangers, seuls capables de répondre aux exigences de mise en conformité, et des délais imposés par le plan de sauvetage du Crédit lyonnais soumis aux autorités européennes.

Le rendu de comptes, l'accountability est à la mode. C'est une exigence justifiée que de contraindre celui qui a la responsabilité des actifs qui lui ont été confiés de rendre des comptes sur ce qu'il en fait. Rendre des comptes et accepter les sanctions attachées aux mauvais résultats semble constituer les bases de l'exercice de toute responsabilité. Hélas l'évolution des rapports entre les actionnaires et les dirigeants qu'ils cherchent à recruter, dans un marché très concurrentiel, a conduit à la rupture du lien entre résultats, rendu des comptes et rémunération. C'est le fond même de l'accountability qui doit être repensé dans une réflexion générale sur les principes de responsabilité plutôt que sur le principe de précaution.

Auparavant, nous ne pourrons pas échapper à une réflexion, encore plus délicate, sur les normes comptables qui font l'objet de débats de plus en plus convulsifs. Avoir la prétention de mettre en œuvre une gouvernance efficace, de transparence, de conformité et d'accountability, sera vanité tant que la façon de faire les comptes servira la domination des uns sur les autres.

Comment, aussi, ne pas remettre en débat les méthodes et les techniques d'évaluation quantitative, lesquelles en tous domaines, économique, financier, social, médical, sportif, politique, scolaire, déterminent la forme de la vie en société, alors que le quasi abandon des évaluations qualitatives déboussole une part importante de la population, et que le caractère extrêmement pernicieux du mésusage des mathématiques financières est démontré.

Pour conclure ce propos, en forme de rendu de compte de ce que j'ai vécu au comité Médicis, le pire n'est pas dans les contraintes de la gouvernance telle que vous la pratiquez dans votre groupe. La meilleure façon de la pratiquer est d'avoir les bons résultats obtenus par la satisfaction de vos clients. Mais il faut être très attentif. Les donneurs de leçons prolifèrent, qu'ils tirent de leur incapacité à comprendre ce qui allait arriver, et qui cherchent à affirmer la perfection de leurs remèdes, jusqu' à la tyrannie que leurs fausses certitudes leur inspire.

Partout où vous pourrez conforter les comportements de responsabilité, les valeurs de moralité professionnelle, les jugements qualitatifs, le respect de l'intérêt de toutes les parties prenantes aux entreprises de votre groupe, vous résisterez mieux à ces personnages que La Fontaine a si bien décrit dans le Meunier, son fils et l'âne. Fable contemporaine, comme son auteur, d'un Maître es gouvernance, le cardinal MAZARIN.