Académiques et experts : ont-ils des solutions ? Le point de vue réflexif autour de trois thèmes : l'archite
Académiques et experts : ont-ils des solutions ? Le point de vue réflexif autour de trois thèmes : l'archite
Deuxième table ronde du colloque PRESAJE/FIDES du 14 octobre 2009 sur le thème "Après la crise : du discrédit au crédit ?". Académiques et experts : ont-ils des solutions ? Le point de vue réflexif autour de trois thèmes : l'archite.
  • M. Eric BROUSSEAU

Nous avons compris dans la première table ronde que nous n’étions pas dans un monde idyllique, que nous étions même probablement dans un monde et dans une situation assez désespérés. On a discuté certaines solutions qui tiennent aux régulations macroéconomiques et financières.

Nous allons essayer dans cette deuxième table ronde de revenir sur ce qui concerne d’une certaine manière plus particulièrement les relations entre le droit et l’économie, qui consiste à discuter des régulations et des régulateurs.

Dans cette première table ronde, on a compris que l’un des problèmes du régulateur est son objectif, sa fonction objective.

Si les autorités monétaires américaines ont failli, c'est en partie parce qu'elles n'avaient pas que des objectifs liés à la stabilité du système financier américain. Elles avaient d’autres objectifs, des objectifs macroéconomiques, des objectifs géostratégiques. C’est sans doute une des raisons qui a conduit à la situation que nous connaissons aujourd'hui.

On a aussi évoqué le fait qu’éventuellement le régulateur n’est pas suffisamment puissant et est l’otage d’un certain nombre d’acteurs économiques et sociaux, et notamment les plus grands acteurs financiers.

Quant aux régulations, Michel CICUREL nous a rappelé que l'un des problèmes de la régulation est qu'elle arrive souvent trop tard, elle court derrière les innovateurs qui, de plus, sont plus pertinents puisqu'ils sont mieux payés au sein du système bancaire. Il y a donc un délai de réaction inhérent au système de régulation.

Pour autant, la solution tient-elle entièrement dans l'autorégulation ? C'est sans doute une des questions dont nous discuterons tout à l'heure.

Historiquement, dans tous systèmes économiques, il y a toujours eu un mélange d’autorégulation et de régulation, avec un régulateur de nature public qui se situe au-dessus des autorégulés, des autorégulateurs qui, par leur nature privée, défendent aussi certains intérêts, le régulateur public étant parfois en mesure de représenter l'intérêt général.

La question est effectivement qu’il n’est pas toujours suffisamment puissant, notamment dans un monde relativement globalisé avec, dans le cas de la finance et de la monnaie, une hyper-globalisation qui fait que la régulation se heurte souvent aux stratégies des acteurs qui peuvent assez facilement se délocaliser et qui, aussi, pose certains problèmes que nous avons entrevus dans cette première table ronde.

Il y a aussi un grand problème autour de la régulation qui est la complexité des régulations. A force d’empiler les régulations les unes sur les autres, elles deviennent totalement illisibles, totalement inefficaces, parfois en partie incohérentes, ce qui explique aussi les problèmes auxquels nous faisons face.

Pour introduire ces questions, nous aurons cinq interventions dans cette deuxième table ronde. Nous commencerons par Laurence SCIALOM qui est une spécialiste d’économie monétaire et financière, qui est une des premières françaises à avoir travaillé sur la crise, à avoir mis en place un groupe de travail sur la crise avant même qu'elle ne se déclenche et qui a pu proposer des analyses tout à fait pertinentes dès le début de la crise financière.

Nous enchaînerons ensuite par une intervention de Dominique DEMOUGIN, qui nous apportera non seulement une vision d'un spécialiste des questions de régulation et d’un spécialiste des relations entre droit et économie, mais aussi une vision un peu internationale, puisque Dominique est Français mais il a fait l'ensemble de sa carrière aux Etats-Unis. Vous lui pardonnerez d'ailleurs parfois ses problèmes avec le français.

Nous aurons ensuite une intervention de Bruno DEFFAINS qui est le pionnier de l’économie du droit en France, qui fera la liaison avec la deuxième partie de la table ronde où nous aurons des interventions plutôt de juristes. Bruno nous parlera des questions complexes que pose l'élaboration de la règle de droit pour les acteurs économiques.

Nous aurons ensuite une intervention d’Eric DEZEUZE, avocat au barreau de Paris et professeur à l’université Paris Descartes, qui nous parlera des régulateurs.

Nous terminerons par une intervention de Bertrand du MARAIS, qui est à la fois conseillé d'Etat et professeur à l'université de Paris Ouest Nanterre. Il interviendra sur les questions complexes d'indépendance et de capture potentielle du régulateur.

Je laisse tout de suite la parole à Laurence qui va nous introduire à ces questions complexes de régulation financière.

  • Mme Laurence SCIALOM

Merci Eric. La crise financière qui est née en août 2007 et qui a pris un tour véritablement systémique que l’on connaît à partir de la faillite de Lehman Brothers, de l’avis assez général maintenant, peut être analysée comme une défaillance massive du système de régulation financière tel qu’il a été conçu et tel qu’il a été mis en œuvre depuis le milieu des années 80.

En cela, je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit, sauf que je ne dirais pas que ce sont des erreurs humaines. Certes, le laxisme monétaire américain suite au 11 septembre et aux dévalorisations des prix d’actifs du début des années 2000 a été trop long, mais c'est surtout, à mon sens, une défaillance du système de régulation financière dans son ensemble, au-delà des erreurs humaines.

Il est facile aujourd'hui, il est aisé et probablement rassurant d'un point de vue collectif de hurler avec les loups et de dénoncer une finance avide de gains et irresponsable qui nous a conduits dans le mur. Les acteurs de la finance sont comme les acteurs de toute la vie économique : ils réagissent au cadre de contraintes et d'incitations qu'on leur impose. C’est ce cadre qui a failli. Les acteurs de la finance n’ont fait que jouer dans un cadre qui leur autorisait à jouer de la manière dont ils l'ont fait.

En fait, c’est ce cadre qu'il faut réformer profondément.

Il faut donc partir d’un diagnostic et comprendre comment une crise qui est née d'un petit segment de la finance, le segment subprime américain, a réussi à provoquer le cataclysme financier et réel maintenant que l’on connaît aujourd'hui, en partie par le canal du dévoiement d’une innovation financière qui, comble du paradoxe, était censée disséminer les risques et renforcer la résilience des systèmes financiers, à savoir la titrisation.

Dans cette tâche immense de réforme de la régulation financière, le décideur public est confronté à un dilemme. Réformer à chaud est toujours très délicat.

C’est toujours très délicat parce que cela repose sur des analyses qui ont été faites dans l’urgence, qui sont des analyses de court terme, qui sont donc probablement tronquées et, ce faisant, les solutions que l’on mettra en œuvre risquent de souffrir d’effets pervers durables qui n’auront pas été anticipés par les régulateurs. C’est le premier pan.

En même temps, on sait très bien que la phase dans laquelle on peut réformer est très courte. Une fois que la phase aiguë de la crise est passée, les lobbyings ressurgissent, les arguments en termes de concurrence de place se réintroduisent dans le débat et les tentations de passagers clandestins de certaines places financières ressurgissent.

Ce faisant, à mon sens, le réformateur ne doit pas laisser passer la fenêtre de tir qui est étroite et il me semble qu'il y a eu au G20 une vraie conscience de cela et que des bases intéressantes, certes probablement insuffisantes, ont été jetées.

Après ces considérations très générales, le problème est : quel diagnostic (très rapide) on peut porter sur les principales failles de la régulation financière et sur les pistes de réforme que l'on peut esquisser sur la base de l'analyse de ces failles.

Faute de temps, je me focaliserai sur la réglementation des institutions et pas des produits. On pourrait parler notamment en matière de titrisation, mais je me focaliserai sur la réglementation des institutions.

Le premier problème que pose cette crise est lié au périmètre de la régulation.

Force est de constater que, parmi toutes les institutions financières qui ont été renflouées, dans lesquelles a été mis de l'argent public, nombre d’entre elles n'étaient soit pas, soit peu, soit mal régulées. Il y a donc un problème de périmètre de la régulation.

Se pose également le problème du type de régulation à promouvoir.

Depuis la fin des années 80, la réglementation prudentielle s'est focalisée sur les ratios de solvabilité des banques, avec Bâle 1 que l’on appelait le ratio Cooke, Bâle 2, Solvency II (dont je ne vous dirai pas tout le mal que je pense ici, mais on pourrait y revenir dans le débat) dans une logique micro prudentielle.

La rationalité d'un tel choix reposait sur l'idée qu’en préservant la solvabilité des banques on préservait les intérêts de leurs principaux créditeurs, en l'occurrence des petits déposants qui sont dénués des capacités d'expertise, des incitations pour discipliner les managers de banque.

Par ailleurs, un autre élément faisait consensus : il fallait que cette capitalisation soit pondérée par les risques, c’est-à-dire en gros que plus les actifs étaient risqués, plus il fallait mettre de capital devant. Cette volonté a conduit à une volonté d'affiner la mesure du risque et l’évaluation des risques, et cela a conduit les régulateurs à valider les modèles de contrôle interne des risques des banques.

La première inflexion est en 1996 avec le premier amendement à Bâle 2 pour le risque de marché. Cela a été complètement entériné avec Bâle 2 pour le risque de crédit.

C'est un mouvement vers ce que l'on peut appeler par un raccourci de l’autorégulation, puisque c’est par des modèles qui déterminent normalement le capital économique que l’on va déterminer le capital réglementaire, même si on a deux autres piliers qui sont là en réalité pour donner une apparence de symétrie, bien que cela ne soit absolument pas symétrique en réalité.

L'ensemble de ces choix a été mis à mal par la crise de 2007-2008.

Il faut essayer de comprendre pourquoi. Cette approche de la régulation ignorait totalement la question du risque systémique et considérait finalement que les lois de la finance sont d'une certaine manière assimilables aux lois de la nature.

Pour essayer de faire comprendre cela, puisque nous avons un auditoire composé d’économistes et de juristes, je vais tirer la métaphore.

Quand l’ingénieur, par la connaissance qu’il a des lois de la physique, peut créer des structures qui sont robustes, qui sont résilientes aux chocs, même dans des conditions extrêmes de la nature, il peut le faire parce qu’il réagi à ce qu’il connaît des lois de la nature. En règle générale, la nature ne réagit pas aux choix de l’ingénieur.

Pour continuer, ce n’est pas parce que l’on construit des bâtiments aux normes antisismiques qu’il y aura plus de tremblements de terre, qu’ils seront plus fréquents et qu’ils seront plus violents.

Le problème est que cela ne se passe pas de cette manière en finances. En finances, cela ne se passe pas ainsi parce que les actions que les institutions individuelles entreprennent pour préserver leur propre stabilité peuvent miner la stabilité globale du système. Cet effet pervers est amplifié par les modèles de contrôle des risques que l’on a mis au cœur de la réglementation prudentielle.

Ces modèles considèrent le risque comme exogène, c’est-à-dire qu’ils considèrent que le risque qui se manifeste n'est pas dans l'interaction des comportements des agents.

En période de stress financier extrême le risque devient endogène, c’est-à-dire que le risque résulte des répercussions croisées des actions de chaque participant, les variations de prix d’actifs sont amplifiées par les actions des participants aux marchés qui, elles-mêmes sont guidées d'une part par l'affaiblissement de la confiance générale et donc des ventes liées à cela, mais également parce que les méthodes mêmes de couverture qui sont guidées par les modèles – et toutes les banques utilisent les modèles qui reposent sur des hypothèses très proches – n'intègrent pas les effets de ces interdépendances, et notamment l’assèchement total de la liquidité qui en résulte en période de stress extrême.

C’est pourquoi, sur la base de ce diagnostic, il a été acté – on verra ce qu'il en résulte – que les nouvelles réglementations, celles vers lesquelles on va, auront une dimension macro-prudentielle et plus uniquement micro-prudentielle, c’est-à-dire ne seront plus uniquement orientées vers l’objectif de préservation de la solvabilité des établissements individuels, mais vers des objectifs de stabilité globale du système financier.

Cela signifie notamment un calibrage du capital réglementaire en fonction du potentiel systémique des institutions avec tous les problèmes de mesure que cela pose et, dans ce domaine, des travaux se font un peu partout dans le monde.

Cela dépendra également du positionnement dans le cycle financier.

Dans le système actuel, des règles micro-prudentielles sont très pro-cycliques, c’est-à-dire accentuent le cycle.

On a une sous-évaluation systématique des risques, on l'a bien vu dans cette crise qui n'est qu'un cas extrême d'un scénario que l'on connaît bien. Les risques sont systématiquement sous-évalués dans la période d'euphorie financière et le capital réglementaire que l'on constitue pour faire face à ces risques est donc en réalité insuffisant.

Quand le cycle se retourne, on constate subitement toutes les fragilités financières cachées qui sont créées dans la phase ascendante du risque et il faut donc mettre plus de capital, justement au moment où l’on est dans un bas de cycle et donc au moment où, justement, on aurait besoin d'octroyer des crédits. Comment cela se fait-il ? Cela se fait souvent par du rationnement du crédit parce que ces périodes ne sont pas les meilleures périodes pour lever du capital.

Il y a d'autres mécanismes, mais j'essaie de faire très simple.

L'idée serait de trouver des dispositifs pour que les banques constituent un coussin de capital à travers le cycle en se conformant - j'aime bien la métaphore – finalement au précepte de Joseph (le fis de Jacob, le conseiller de Pharaon), c’est-à-dire mettre de côté durant les années de prospérité de quoi faire face aux années de vache maigre, sachant que quoi que vous disent les modèles, quoi que vous disent les experts, de toute manière les années de vache maigre reviennent.

Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder l'histoire financière longue. Vous lisez Kindelberger et vous êtes persuadés de ce que je vous dis ; il n’y a pas besoin de modèle très sophistiqué pour s’en convaincre.

Par ailleurs, d'un point de vue toujours micro-prudentiel, qu’a révélé cette crise ?

Cette crise a révélé que les banques, qui apparaissaient comme les mieux capitalisées du point de vue de Bâle 2, comme UBS, Crédit national suisse par exemple qui, si l’on prenait un ratio beaucoup plus simple non pondéré par les risques, un ratio de levier simple (par exemple total des actifs sur fonds propres durs, sur core capital) étaient parmi les moins capitalisées au monde.

Pour vous donner une idée, UBS a atteint un levier de 53 fin 2007. Pour Lehman Brothers, juste avant sa faillite, c’était juste un peu plus de 30.

Si l’on accepte l'idée que la réglementation doit viser à réduire les prises de risques excessives et si l’on accepte le principe que les institutions financières peuvent parier librement leurs propres fonds, mais qu'elles doivent en revanche être réglementées quand il s'agit de « parier » des fonds qui leur sont confiés, il faut à ce moment réglementer le levier simple.

L'intérêt d'utiliser un ratio de levier simple - les autorités suisses l'ont fait pour les banques dont je vous parle - pour déclencher l'action des régulateurs est que c’est un ratio facile à mesurer, non manipulable ; pour moi, c’est essentiel. Il fonctionne indépendamment de toute hypothèse complexe de modélisation et de procédure de calibration et, de cette manière, il réduit très fortement les risques de capture du régulateur par les régulés.

On a eu un phénomène massif de capture du régulateur qui est largement passé par une capture par une modélisation au nom de la complexité des produits et des modèles utilisés.

En même temps, cela protège les banques contre le risque de sous-évaluation des risques et contre le manque de capacité des modèles internes qu'elles utilisent de capturer le risque endogène.

Une autre évolution vers laquelle nous allons très probablement est une réglementation de la liquidité bancaire.

Une autre leçon de cette crise est que la plupart des établissements bancaires qui ont été renfloués étaient bien capitalisés au sens de Bâle 2, mais étaient souvent soumis à un risque d’illiquidité très fort du fait qu’un nouveau modèle s’était développé que l’on appelle originate to distribute qui créait une forte dépendance vis-à-vis du financement de marchés de gros.

Ce faisant, on peut penser que l'on ira vers une réglementation où l’on aura un calibrage des réglementations de liquidité ou de capitalisation en fonction du business model des institutions financières. Le cas de Northern Rock, la banque britannique qui a été renflouée et finalement nationalisée, est de ce point de vue un cas d’école.

Dernier point, qui me semble vraiment fondamental, et qui a été soulevé par M. CICUREL, la modernité de résolution de cette crise a conduit à créer des mastodontes financiers, des choses ingérables, excessivement complexes, on n’y comprend rien, non seulement « too big to fail », mais « too interconnected to fail », « too complex to fail »… On ne peut rien faire.

Un élément essentiel est d'arriver à gérer ce problème. Arriver à gérer ce problème, c’est créer des lois spécifiques pour gérer la défaillance de ces intuitions.

Dans le projet américain, porté par le Trésor américain, il y a ce volet. Je pense que l’on n’y coupera pas. Il faut aller vers cela.

Cela veut dire que toutes les institutions doivent savoir qu’elles peuvent faire faillite. C’est pourquoi on demande aux banques de faire leur testament d'une certaine manière, comment on dénoue les groupes.

En revanche, les institutions peuvent faire faillite, mais pas les fonctions vitales.

Cela veut dire qu'il faut créer des lois spécifiques. Quand Lehman s’est mise sous la protection du chapitre 11, c'est-à-dire d'un Code général des faillites, cela a été la catastrophe. Il faut sortir du dilemme où les autorités publiques sont obligées de renflouer, donc créer un aléa moral considérable et engager de l'argent public et donc un système où l’on a privatisation des gains et collectivisation des pertes si l’on peut dire. C'est cela ou alors on met en faillite et il se passe ce qu'il s'est passé en septembre 2008.

Il faut donc créer des cadres juridiques qui permettent d'agir précocement, de démanteler des groupes en maintenant les fonctions vitales que sont la collecte des dépôts, l'octroi de crédits notamment aux agents, les ménages, les PME qui n’ont pas d'autres moyens de financement que de se financer par financement bancaire, et notamment avec des systèmes de bridge bank, avec des systèmes d'institutions-relais avec une charte temporaire, et créer tout un système d'incitation pour que ces groupes réduisent leur taille, réduisent leur complexité, et cela en fait partie.

Dernier élément qui me semble très important, toujours dans la même idée, qui doit prendre appui là-dessus, je pense qu'il faudrait créer un nouveau type de dette hybride qui serait un type de dette qui se convertirait automatiquement en capital à partir du moment où certains seuils déclencheurs (par exemple le prix des CDS, on peut imaginer une batterie de seuils déclencheurs) seraient atteints.

Les détendeurs de ces dettes hybrides seraient bien rémunérés. Le spread entre la dette senior et ces dettes hybrides serait un indicateur d’alerte. En plus de cela ce ne serait pas de l'argent public. Il y aurait partage entre engagement et soutien du secteur privé, les détenteurs qui, étant détenteurs de créances, deviendraient actionnaires, et des fonds publics. Cela permettrait de réintroduire la discipline de marché qui a été totalement mise à mal par la manière dont a résolu cette crise. Merci de votre attention.

  • M. Eric BROUSSEAU

Merci beaucoup Laurence. Il n'y avait qu’une seule femme à cette tribune et il était tout à fait normal de lui laisser plus de temps pour parler, d’autant que c'est une des plus compétentes sur cette question autour de cette table. Je vais néanmoins passer la parole à des moins compétents (sourires) et nous allons commencer par Dominique DEMOUGIN qui, je vous l'ai expliqué tout à l'heure, a fait toute sa carrière à l'étranger, notamment très longtemps au Canada et en Allemagne depuis plusieurs années. Dominique va introduire son point de vue sur les problèmes de régulation du système financier, précisément, je crois, en introduisant l'idée que, pour réguler il faut comprendre ce qui se passe et qu'un des problèmes est que l'on a du mal à comprendre ce qui se passe.

  • M. Dominique DEMOUGIN

J’ai en effet enseigné au Canada et j'enseigne pour l'instant en Allemagne.

On a parlé de la responsabilité de la FED. On a parlé du déséquilibre et du déficit et du surplus (déficit aux Etats-Unis et surplus en Chine) et on a parlé des produits financiers sophistiqués.

Il y a des tas de choses dont on aurait dû parler aussi, par exemple la complexité des agences de notation. On n'en a pas parlé, mais il est clair que c'est un gros problème.

Comment faire fonctionner ces agences qui évaluent les papiers titritisés, qui nous disent si c'est bon ou moins bon, etc. ?

On aurait pu parler de the race to the bottom, la course vers le bas du point de vue de la réglementation. Je ne pense pas les Américains seulement aient eu des problèmes. Il est clair que l’on a permis sur des tas de places financières, non seulement à Londres, mais paraîtil aussi à Francfort et à Paris, des choses que l'on n'aurait pas dû permettre.

On n'a pas du tout touché au sujet du shadow banking - je ne sais pas comment on traduit cela en français -, qui sont ces institutions qui ne sont pas réellement des banques mais qui fonctionnent pour ainsi dire comme des banques, qui faisaient quasiment le business des banques et qui, au début des années 2007 pour les Etats-Unis, étaient devenues - il faut y réfléchir - aussi grandes que le système bancaire américain. La plus grande partie de ce système, dans les deux dernières années, a énormément souffert. Il a été réduit d’une façon énorme.

On vient juste de discuter de la question de too big to fail.

Ce qui me gêne quand j’écoute ces discussions, c’est qu’il ne s’agit que de discussions très réactives. On a une réglementation, on a ceci, on a cela, et on voit que cela ne fonctionne pas très bien. Que faudrait-il changer ? On ne se demande pas pourquoi.

Je me pose la question de façon différente : qu'est-ce qui a changé ? Aurait-on pu avoir la crise que nous avons eue aujourd'hui il y a vingt ans ? Si l’on dit non, quelles sont les différences ?

Oui, il y a la FED, oui, il y a les surplus, mais il y a des tas d'autres choses auxquelles on pourrait réfléchir.

Un élément me semble pertinent. Je ne suis pas du tout spécialiste financier. Je suis un micro-économiste et je réfléchis à la microéconomie.

Dans le système financier, les coûts de transactions sont assez grands. Il y a des tas de problèmes d'informations asymétriques et l'équilibre se forme étant donné le contexte. Des éléments sont sous-jacents. Je me demandais : qu’est-ce qui, dans les derniers dix ans, vingt ans, a changé de façon très profonde ? Je pense que c’est ICT (Information & Communication Technology).

Je suis aujourd'hui capable, en un instant, de transférer des milliards d'un endroit de la planète à l'autre.

Une petite idée me vient de mon voisin qui est médecin. J’habitais en Allemagne et je me suis mis le plus proche possible de la France à côté de Strasbourg. J’ai un très bon ami médecin, qui est professeur à l’hôpital de Strasbourg.

Il me téléphone il y a quelques mois : « Dominique, un trader de New York m’a appelé, qui voulait me vendre des stocks de Yahoo ». Pour ceux qui connaissent, c'était fin octobre de l'an dernier. Il me demande ce que j’en pense : « Devrais-je acheter ou pas ? Estce une bonne idée ? » Je lui ai répondu que si c’était réellement une bonne idée il ne lui aurait pas téléphoné de New York mais qu’il aurait trouvé quelqu’un d’autre à qui vendre à New York.

Je pense que cela reflète en même temps un problème. Un collègue économiste, qui donnait une presidential address à l’association américaine des économistes au début de l’année, disait qu’au travers de ces changements en coûts de ICT et communication technology, on est d’un coup passé, si l’on pense à l’environnement de la finance, du village où tout le monde se connaît à la grande ville où il y a énormément d'anonymat. Des tas de mécanismes auxquels on n'a pas réfléchi faisaient que, dans le village, cela fonctionnait bien. Par exemple, l'effet de réputation.

Quand le trader de New York appelle une personne à Strasbourg pour un mauvais deal, cela n’affecte aucunement sa réputation sur la place financière de New York.

Je n’ai aucune idée de comment changer cela. Je dis simplement qu’il faudrait essayer de réellement comprendre ce qui est sous-jacent qui a causé cette crise. Si l’on ne comprend pas cela, je ne pense pas que l’on puisse, d’une façon ou d'une autre, réglementer correctement.

Vis-à-vis de cela, deux petites remarques.

Une première remarque formelle. Madame MERKEL avait suggéré avec son ministre des Finances d’introduire une taxe sur certaines transactions financières. D’une certaine façon, rehausser un coût de transaction.

L'argumentation qu'elle avait donnée n’est pas, à mon sens, très bonne parce que l’idée était simplement de dire que ces affreux banquiers ayant causé cette crise, on va les taxer pour qu'ils nous aident. Je ne pense pas que ce soit nécessairement une très bonne idée de ce point de vue, mais du point de vue de ce que je vous ai indiqué tout à l’heure, le coût de transaction très bas, ce n’est pas nécessairement une mauvaise idée. Il faudrait y réfléchir.

Je ne sais pas si c’est bien ou si c’est mauvais. J’aurais tendance à penser, du point de vue du micro-économiste, que c’est peut-être une avenue à explorer.

A long terme, je pense qu’il faut, oui, repenser la réglementation. Je pense qu’il y a réellement un problème de gouvernance, mais qui commence au niveau politique. Je pense que l'on ne sait pas très bien comment l’approcher parce que cela nécessite de réglementer le système au niveau planétaire.

Même si 95 % des pays sont réglementés, si 5 % ne le sont pas, des tas de flux d’argent iront vers ces 5 %. On comprend cela tout de suite. Les coûts de transaction sont devenus très bas de ce point de vue. Il y a là réellement un problème de gouvernance politique. Sans le régler, je ne pense pas que l'on pourra régler le problème.

  • M. Eric BROUSSEAU

Merci beaucoup, Dominique.

Je vais maintenant passer la parole à Bruno DEFFAINS qui, je vous l’indiquais, est un des pionniers de la réflexion très intriquée entre droit et économie en France. Il va revenir sur les problèmes plus généraux de conception des normes juridiques pour essayer de réguler l'économie et sur la complexité des problèmes auxquels on est confronté.

  • M. Bruno DEFFAINS

Merci beaucoup. Si vous êtes prêts à rester jusqu'à minuit, on peut avoir une petite chance d’effleurer la question. (Sourires.)

Je vais prendre un angle d’attaque un peu différent parce que l’on a mis les banquiers sur la sellette, mais il me semble qu'ils n’ont pas été les seuls à l’avoir été depuis quelques mois et que les économistes tiennent une bonne place dans le discours populaire.

Vous avez accueilli mon collègue Dominique DEMOUGIN avec vos applaudissements et peut-être a-t-on ici une petite chance d’être écoutés.

Je voudrais souligner fondamentalement la critique qui a consisté à souligner l’incapacité à prévoir, à prévoir la crise, à prévoir les événements que l'on a été amenés à subir.

Bien entendu, on peut toujours répondre que cette incapacité est un peu inhérente à une économie de marché fondée sur le risque, fondée sur la complétude des relations contractuelles. Pour autant, je pense que l'on ne va pas abdiquer nécessairement. Je crois qu’il nous faut développer une aptitude à juger les conséquences de nos actes, de nos projets économiques, puisque c’est de cela dont il s’agit, de manière générale à essayer d’anticiper l'efficacité du fonctionnement de ces institutions de marché.

Il existe à mon avis un moyen de rendre l’avenir prévisible : l’usage de règles de droit qui imposeront des normes de conduite et nous donner de ce fait peut-être un peu d'espoir pour avoir des comportements prévisibles.

Cela suppose bien entendu que ces règles soient respectées. La crise, me semble-til, qui a commencé avec les subprimes, avec la violation de règles qui obligent le débiteur à s’acquitter de ses dettes, nous prouve manifestement que si le capitalisme est très riche de règles de toutes sortes, les règles en question n'ont en définitive pas les résultats escomptés, tout simplement parce que de nombreuses règles ne sont pas respectées.

Il me semble de ce fait que les leçons de la crise posent la question bien entendu de la régulation de la finance, mais plus généralement du rapport des acteurs économiques à la règle légale, à la règle réglementaire. Je ne vais pas rentrer ici dans une distinction trop subtile entre réglementation et droit, mais c’est, d’une façon générale, cette question qui est posée.

La crise que nous traversons a démontré que la plupart des agents ont contourné un nombre incalculable de dispositifs légaux ou institutionnels.

La question n’est donc pas tant - je crois que cela déjà été dit - de superposer de nouvelles règles à celles déjà existantes, mais d'imaginer de faire mieux, c’est-à-dire de reculer les limites de la régulation telle qu'on la conçoit aujourd'hui.

Clairement, c'est une des conditions évidentes du retour de la confiance sur les marchés. Nous sommes là pour parler du FIDES et je crois qu’il est inutile d’insister sur cette dimension.

Le débat que je propose d’ouvrir est le suivant : comment promouvoir cette efficacité dans le respect des normes légales ?

A mon sens - c’est ce que j’essaierai de développer ce soir -, il existe quatre moyens principaux. Je vais juste esquisser un certain nombre de points, quitte à revenir sur des choses évoquées ce soir par certains orateurs.

1- Le premier moyen est la qualité de la règle elle-même. Cela vous semblera relativement banal : « Il enfonce des portes ouvertes ». Je crois que cette qualité est une des conditions pour rendre le comportement prévisible.

Pourquoi ? La règle devrait pouvoir tenir compte de la capacité des personnes qui sont concernées à s’y plier. C’est simple. Il existe de nombreux domaines dans lesquels ces objectifs sont recherchés, et je crois que l’on a évoqué la circulation automobile qui est typiquement un bon exemple.

L’obligation de rouler à droite a pour objectif, au moins dans nos pays, de rendre les comportements prévisibles. Cela ne sert pas à satisfaire des principes jugés supérieurs. Je ne crois pas que l’on décide de rouler à gauche ou à droite pour des raisons philosophiques ou religieuses. Je laisse bien entendu le débat ouvert, mais je ne pense pas que ce soit fondamentalement cette raison qui nous amène à ce type de contrainte.

Or, c’est précisément ce type de contraintes que nous recherchons. Vous allez voir où je veux vous amener : on peut, à mon avis, souvent analyser les conditions qui provoquent le manquement à la règle en deux temps.

Dans un premier temps, la personne concernée par la règle de bonne conduite dont je suis en train de parler perd le contrôle de la situation sans qu'aucun manquement direct à la règle ne se produise.

L’individu qui a consommé trop d'alcool, que vous aviez dans la voiture, a perdu une partie de ses capacités à respecter les règles de la circulation routière, mais il n’a, pour l’instant, encore tué personne. Il a juste un peu trop bu.

L’individu qui signe un contrat de prêt n'a commis aucune violation, aucune violation de la règle, mais il a déjà perdu la maîtrise de la situation. Je pense que ce que l’on a vu est typiquement cela, avec des phénomènes de mimétisme dans les comportements ; il y a beaucoup de littérature passionnante sur cette question.

C’est précisément à ce second niveau, dans ce second temps, à ce stade, qu'il lui est conseillé d'avoir le goût du risque.

Imaginez-vous inviter l’automobiliste ivre mort à prendre le volant en ayant le goût du risque ? Bien entendu, non. C’est quelque chose de simple. C’est précisément ce que l’on a fait dans le domaine des crédits, dans le domaine de la finance : on a encouragé le goût du risque exactement comme si l’on avait encouragé l’automobiliste à monter dans sa voiture ivre mort et à prendre le volant. Quelque chose semble dérisoire, mais c’est exactement le type de phénomène auquel on a été confronté. Je crois fondamentalement que le capitalisme tel qu'il fonctionne aujourd'hui a peut-être un peu trop tendance à ignorer ce premier moyen de se prémunir contre l'irrespect des règles de droit.

2- Le second moyen, au-delà de la qualité intrinsèque de la norme, est bien entendu l’effectivité. Je suis un peu chargé de faire la transition entre les économistes et les juristes.

Pour qu’une règle de droit soit efficace, il ne suffit pas qu'elle soit légitime, il ne suffit pas qu’elle soit juste. Il ne suffit pas qu’elle ait été adoptée dans les formes qui soient juridiquement requises par les autorités compétentes. Encore faut-il qu'elle soit correctement et effectivement appliquée par ses destinataires. Pour cela, il faut au préalable que ces derniers l’aient jugée acceptable.

Ce que les théoriciens du droit appellent, me semble-t-il, l'effectivité, le fait que les prescriptions énoncées dans une norme soient vraiment respectées.

C'est à la fois un aspect et une condition essentielle de l'efficacité puisqu’une règle mal appliquée, on l’a vu, est une règle par définition inefficace. C’est là que le dialogue entre l’économie et le droit à toutes les chances d’être fructueux.

Certes, il existe dans toutes les branches du droit et à tous les niveaux de la hiérarchie des normes, des règles ineffectives parce que perçues par leurs destinataires comme inapplicables, inopportunes, inadaptées, mais une telle situation, si elle n'est pas nouvelle, paraît aujourd'hui encore plus inadmissible dans les conditions que nous connaissons, encore plus préjudiciable à l'autorité de l’auteur de la norme et à la crédibilité globale du système juridique.

Je crois que c'est aussi une des conséquences importantes de la crise qu'il convient de discuter.

Les normes d’origine étatique peuvent d'autant moins se permettre d'être inefficaces qu'elles se trouvent désormais confrontées à une concurrence. Mon collègue a évoqué la race to the bottom, la course, la compétition entre les normes juridiques. Je crois que nous avons là un impératif évident.

Comment faire pour aller dans ce sens ? Je retourne de nouveau dans l’objet de FIDES et des projets qui ont été évoqués au départ. Il semble indispensable d'intervenir à deux moments successifs : en amont de réflexion de la norme puis en aval de celle-ci.

En amont lors de l’élaboration, il est indispensable d’éviter les lois trop nombreuses au contenu trop général et aux prescriptions obscures, incertaines, exagérément complexes. Nul n’est censé ignorer la loi, certes, mais à condition qu’elle-même réponde aux obligations d’accessibilité et d'intelligibilité.

Il ne suffit pas, bien entendu, d'agir en amont. Il faut également agir en aval une fois la règle mise en application, et notamment en instaurant des procédures d’évaluation ex post – ce n’est pas la culture que nous avons, c’est une culture à développer – qui permettent de retoucher les dispositions légales et de mieux les adapter aux dispositifs de la réalité.

Il me semble de ce point de vue intéressant de remarquer que la crise a trouvé son origine dans une consommation soutenue par l’endettement, accompagnée d’un vaste mouvement d’innovations financières. Cela a été dit, les régulateurs ont passé leur temps à courir après les innovations, à courir sans jamais réussir à rattraper avec des règles appropriées.

Que les raisons tiennent à la faillite du régulateur, à la collusion des intérêts ou à la capture – je crois que mon voisin de gauche en parlera –, ce sont clairement ces questions qui ont été mal abordées, mal traitées aussi bien en amont qu’en aval de mon point de vue.

3- Le troisième point concerne bien entendu – vous allez me dire : comment faire respecter la norme, comment avoir des règles efficaces ? – la sanction.

Il s’agit de la sanction au sens le plus large du terme parce qu’elle exerce une pression constante en faveur du respect des règles de droit. Elle suppose bien entendu que des droits aient été définis. La sanction en elle-même consistera souvent en une réduction de ces droits.

On a là aussi, bien entendu, un souci parce que l’on observe que l'attribution des droits, la modification des droits est souvent critiquée parce qu’elle suppose une intervention étatique, voire une atteinte au bon fonctionnement du marché dans certains cas.

Elle suppose bien souvent de modifier les stratégies des acteurs par rapport à un fonctionnement libre et sans contraintes, mais ce n’est pas possible dans la mesure où – ce que j'ai envie d'évoquer là, mais c'est plutôt pour la discussion – tous ces débats autour du modèle français auraient peut-être mieux résisté dans la tourmente que d'autres modèles. Je ne sais pas si c’est là qu’il faut voir les choses, mais, clairement, le retour de l’Etat régulateur apparaît comme une nécessité.

Il s’agit bien entendu de restaurer le système bancaire. Vaut-il mieux discuter sur les fonds propres des banques ou sur un retour au modèle du Glass-Steagal Act ? Ce n’est pas mon domaine de compétence privilégié et je ne trancherai pas, mais c’est clairement à ce niveau qu’il convient d’agir.

On le voit dans d’autres domaines. Les progrès qui ont été faits dans le domaine de la politique de la concurrence, du droit de la concurrence ont été absolument considérables. Au prix de multiples adaptations, en particulier dans la définition des sanctions, je crois que l’on pourrait s’inspirer de ce qui se passe parfois dans certaines sphères du droit pour progresser dans d’autres, en particulier dans la sphère de la réglementation financière.

4- Le quatrième et dernier point que je voudrais évoquer sont les moyens, les moyens de produire le droit, les moyens de construire un système juridique efficace. Je pense au fonctionnement de la justice.

Concrètement, l'idée est qu’il ne convient pas simplement de s'interroger sur le contenu des normes à gauche ou à droite. Il faut aussi s'interroger sur les conditions de mise en œuvre des règles, avoir des conditions de mise en œuvre à la hauteur. Une justice de qualité est nécessaire pour avoir des règles efficaces, ce qui pose en particulier le problème de l'accès à la justice.

Pour résumer, je crois que tout ceci implique d'aider ceux qui sont en difficulté.

Je ne vous apprendrai pas que cette attitude est souvent déconseillée dans le système économique. On y voit une mise en défaut de la concurrence, de l’assistanat, du sauvetage des canards boiteux. C’est pourtant une des conditions sine qua non de la réduction du coût social des risques à travers des mécanismes de prévention qui doivent contribuer à assurer un système juridique efficace.

C'est une des conclusions majeures – on n’est pas là pour faire un cours d’économie du droit, mais de l’analyse économique du droit – des travaux qui se développent depuis une bonne trentaine d’années maintenant.

L’investissement dans les institutions légales ne doit pas simplement être vu comme un coût, comme une perte pour la société. C’est quelque chose qui rapporte.

Sans être keynésien primaire, il y a des effets multiplicateurs, y compris dans le fait d’investir dans la bonne qualité institutionnelle.

Voilà en gros le type de discussions qu’il me semble important d’engager. Je ne peux m’empêcher de terminer – ce n’est pas une boutade mais simplement peut-être une mise en perspective – en observant que toutes les crises font éclater des paradoxes.

Je suis en train de vous dire qu’il faut investir les ressources dans les institutions, dans le droit en particulier. Il me semble que les efforts consentis depuis bientôt une année l’ont été surtout pour soutenir le système bancaire. Le paradoxe est qu’à l’arrivée, j’apprenais pas plus tard que la semaine dernière que le principal intermédiaire pour l’endettement des Etats-Unis était Goldman Sachs. J’ai le sentiment que si certaines banques ont été mises sur la sellette, on observe tout de même à l’arrivée un renforcement de certaines d’entre elles, et cela a d’ailleurs été dit.

Concrètement, cela me dérange de voir les moyens de la collectivité renforcer encore un peu plus le pouvoir de ceux qui sont mis sur la sellette alors même que le message de la théorie économique serait plutôt globalement de dire : « Mettez le paquet sur les moyens de construire un système juridique de qualité, efficace, performant et respecté ».

Il est un peu dérangeant de conclure sur cette remarque, mais je n'irai pas plus loin.

  • M. Eric BROUSSEAU

Merci beaucoup. Je passe maintenant la parole à Eric DEZEUZE qui est un des spécialistes français du droit pénal des affaires et aussi un praticien. Il va nous parler de la manière dont il conçoit la capacité des régulateurs à réguler tant les produits que les comportements des acteurs.

  • M. Eric DEZEUZE

Je vous remercie. C'est en effet un point de vue très concret et pratique que je vais essayer de vous livrer et les quelques réflexions que les praticiens ont pu constater quant à l’intervention des régulateurs durant la crise presque passée.

Une chose est très marquante. On a pu constater une assez bonne efficacité des mesures de sauvetage. Les banquiers centraux sont massivement intervenus, ont apporté des liquidités. Si, comme le faisait M. CICUREL, on les inclut dans les régulateurs, on peut considérer qu'une fois la crise apparue il y a eu une forme d’efficacité de ces régulateurs sur le terrain du sauvetage.

Quant aux autres fonctions de la régulation que sont justement l’édiction et l’application de la norme, que sont également le contrôle donc la prévention éventuelle des risques et puis, lorsque des acteurs ont fauté, les sanctions, on a l'impression que ces régulateurs sont peut-être restés beaucoup plus timides, ont en tout cas été beaucoup moins visibles.

Je me contenterai d’exemples français, car c’est hélas ma seule expérience, et je me focaliserai peut-être un peu trop sur le régulateur boursier qui est l’Autorité des marchés financiers.

Lorsque l’on voit, et ce sera le premier trait de mon propos, ces interventions du régulateur qui peuvent paraître timides et relativement restreintes, nous avons quelques exemples d'interventions parmi lesquelles nous avons eu très peu d’interventions normatives au cœur de la crise.

Une intervention me vient assez naturellement à l’esprit : celle de l’Autorité des marchés financiers qui a souhaité interdire les opérations de ventes à découvert sur toute une série de titres d’institutions bancaires ou financières. C’est un des rares exemples, je crois, que l’on ait eu de véritable intervention, très nette : interdiction d’opération par le régulateur boursier.

On a également eu une intervention intéressante, conjointe, du régulateur boursier mais également du régulateur bancaire, l’Autorité de contrôle des assurances, de la commission bancaire et du Conseil national de la comptabilité qui ont rappelé les modalités du traitement comptable de certains instruments financiers dans les comptes. Il y a eu un rappel, peut-être un petit changement de doctrine sur les modalités d’évaluation des actifs financiers. On s’est détaché de la valeur de marché pour peut-être intégrer des considérations propres à une valeur sur des marchés asséchés. Là aussi, intervention intéressante où les régulateurs ont accepté une forme d'assouplissement des méthodes de valorisation pour tenir compte de la crise.

Sortis de ces quelques interventions, guère plus sur le terrain de la réglementation de la régulation à proprement parler.

On a également pu remarquer quelques interventions destinées à protéger le public contre certains titres toxiques. Nous n'allons pas parler des titres qui sont au cœur de la crise, essentiellement des produits de titrisation ou des fameux CDS de ces credits defaults swaps, mais plutôt d’une intervention récente de l’AMF et du CECEI, c’est-à-dire du régulateur des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, du 14 mai 2009 où un avertissement a été produit sur les CFD (contract for difference). On voit que les régulateurs ont la possibilité d’attirer l’attention du public sur des dangers liés à des produits financiers.

19 mai 2009 : la crise a commencé, je crois, avec des produits tout à fait identifiables voici plus de deux ans.

Autre forme d’intervention des régulateurs : la possibilité de procéder à des contrôles, à des enquêtes. Avec une difficulté d’identification, certes, dans la mesure où, notamment le régulateur bancaire, la commission bancaire, l’AMF sont tenus à une stricte obligation de confidentialité, de secret professionnel qui rend assez difficilement identifiables les enquêtes en cours, mais on a pu, par la politique de communication de certaines de ces autorités, je pense notamment à l’AMF, apprendre que des enquêtes étaient en cours sur l’information financière diffusée par certains établissements cotés au sujet de leur exposition au risque ou sur le retard qu’avaient eu certains établissements bancaires cotés à informer le public sur leur exposition au risque et à diffuser des annonces sur résultat, des profit warnings.

Il y a certainement eu quelques enquêtes, mais l’AMF n’a guère parlé que de trois établissements bancaires cotés qui avaient pu être sujets à de telles enquêtes en tout début de l’année 2008.

Autre forme d'intervention du régulateur : la possibilité bien entendu de sanctionner les comportements déviants.

Là, la crise financière n'a pas véritablement donné des exemples de sanction. Il faut aussi comprendre les limites de l'exercice. Nous sortons, espérons-le, à peine de cette crise. On rentrera dans des processus quasi judiciaires. L’Autorité des marchés financiers, la commission des assurances, la commission bancaire ont des possibilités de sanctionner les manquements à la réglementation. Ces procédures ont en général une certaine durée, sans parler bien entendu des procédures judiciaires où il y a un décalage de plusieurs années entre la commission de manquement et l’aboutissement devant la juridiction qui aura vocation à sanctionner.

Si l’on regarde les décisions de sanction qu’a pu rendre l’Autorité des marchés financiers en « connexité » en quelque sorte avec la crise financière, on ne voit guère qu’un prestataire de service d’investissement qui a été sanctionné pour avoir présenté certains de ces OPCVM. Elle avait présenté des OPCVM monétaires comme assez peu risqués et les avait commercialisés en présentant une très faible exposition au risque alors que ces OPCVM avaient engrangé les fameux produits toxiques de la crise des subprimes.

Un constat en quelque sorte assez décevant, qui traduit une action en demi-teinte du régulateur, avec malgré tout les réserves liées à la faculté qu'ont les observateurs.

Je le répète, les régulateurs travaillent avec une obligation de secret professionnel, avec même une nécessité d'intervention dans la discrétion. On pense aux difficultés qu’a connu une très grande banque confrontée à une fraude l’ayant conduite à acter des dégradations d'environ 5 Md€.

Des positions devaient être débouclées sur les marchés. Cela a pris trois jours à une banque pour pouvoir déboucler ces positions, en totale coordination avec l’Autorité des marchés financiers et avec la commission bancaire dans la plus totale discrétion, dans le plus total secret et, semble-t-il même, sans que le gouvernement en ait été informé, ce qui a pu être reproché à l’établissement en question.

Il ne faut donc pas trop s’étonner de ne pas avoir une grande manifestation, une grande visibilité de l’activité du régulateur. C’est peut-être lié à une forme de « chiffre noir » de la régulation si l’on peut prendre cette métaphore employée à la criminologie.

On peut en revanche se demander si, en dépit de cette discrétion, le régulateur n’avait pas vocation à faire mieux et s’il était véritablement confronté à des limites du champ de la réglementation qui lui interdisaient de se livrer à de meilleurs contrôles, voire d’anticiper les risques.

La question se pose notamment de savoir s’il n’existe pas des trous noirs de la régulation qui sapent l’efficacité du régulateur. Ceci a été largement avancé, je crois que vous l’avez évoqué, madame. On a notamment fait valoir qu’une grande partie des établissements porteurs des risques qui ont été sauvés étaient hors du champ de la régulation, n’étaient pas notamment des établissements bancaires à proprement parler relevant de la régulation des régulateurs bancaires, et notamment en France de la Banque de France.

Cette réflexion mérite d’être prolongée parce que l’idée n’est pas tout à fait exacte. D’abord, toute une série d’établissements qui, certes, n’avaient pas le statut d’établissement bancaire, étaient néanmoins des filiales d’établissements bancaires. On sait notamment que la commission bancaire dispose aujourd'hui de facultés de contrôles dits consolidés. La commission bancaire peut parfaitement contrôler des banques et des établissements de crédit, mais également contrôler l’intégralité des établissements que contrôle cet établissement de crédit.

Ces établissements relèvent a priori du champ d’intervention du régulateur.

Il y a également eu des formes de retour au bercail d’établissements non régulés qui, pour des raisons techniques, pour des raisons comptables, portaient des risques de ces banques à travers des véhicules d’investissements non consolidés, non régulés, mais que les établissements bancaires ont été obligés de réintégrer dans leurs actifs notamment pour des questions de réputation pour ne pas donner l’impression que des produits distribués par des véhicules qui, certes, n’étaient pas comptablement intégrables au groupe, méritaient néanmoins d’obtenir le soutien de l’établissement bancaire.

Là encore, ce retour au bercail a fait que les établissements en question ou les véhicules en question revenaient dans le champ d’investigation du régulateur.

Surtout, la question peut se poser de savoir si le régulateur français n’a pas été victime d’une sorte de « trou noir » de la réglementation propre aux produits toxiques ou aux produits potentiellement toxiques.

Là encore, la réglementation n'aurait pas vocation à se saisir de ces produits dans la mesure où ils ne sont pas des produits réglementés ou des produits négociés sur les marchés réglementés.

Là aussi, c’est un des diagnostics de la crise : les produits américains les plus toxiques, les fameux CDO, les CDS, les RNBS, c’est-à-dire des titrisations de crédits sur l’immobilier ne faisaient pas l’objet d’une réglementation. Ils ne faisaient pas l’objet de négociations sur les marchés réglementés.

Il faut toutefois être conscient du fait que, quand bien même il n’existait pas de marché ayant vocation à appréhender le fonctionnement de ces produits, ces produits sont là encore revenus au bercail en étant notamment réintégrés dans des OPCVM, en étant réintégrés dans des portefeuilles gérés par des acteurs régulés sur lesquels pesaient notamment des devoirs d’évaluation de leur risque ou des devoirs d’information de leurs clients, de sensibilisation de leurs clients aux risques liés à ces produits.

Ce n’est donc pas simplement parce qu’un tel produit n’était pas régulé qu’il échappait pour autant au pouvoir de contrôle du régulateur à travers justement ces acteurs.

On comprend que les prétextes qui ont pu être avancés pour expliquer que les régulateurs ne bénéficiaient pas des moyens les plus efficaces pour appréhender soit certains acteurs, soit certains produits n’étaient pas tout à fait pertinents.

On remarquera d’ailleurs que l’un des moyens mis en avant aujourd’hui par l’Autorité des marchés financiers pour retrouver un peu la main et être capable de réintégrer dans le champ de la régulation ces produits réputés toxiques est le vecteur de la distribution de la commercialisation des produits éventuellement non régulés.

Comme les acteurs de cette distribution et de cette régulation sont eux-mêmes des acteurs régulés, notamment dans son plan stratégique pour les années à venir, l’AMF a décidé de mener une attention toute particulière sur la surveillance de ces acteurs réglementés en considérant que ce serait également le moyen de surveiller des produits qui, peut-être, ne seraient pas eux-mêmes régulés ou négociés sur des marchés réglementés.

Une des dernières considérations qui peut être avancée est la timidité relative des autorités de régulation sur la question des rémunérations. On en a parlé, les débats passés ont permis d’exposer que cette question n’était peut-être pas au cœur de la crise financière, quoi que.

Lorsque la rémunération est justement une incitation à la prise de risque, il faut se demander s’il ne faut pas asseoir les modalités de cette rémunération sur des conditions qui peuvent limiter la prise de risque en question.

On sait que ceci a donné lieu à des réflexions à la fois au dernier sommet du G20 mais également des régulateurs européens.

L’Autorité des marchés financiers s’est jusqu’à présent contentée d’aborder la question sur le seul terrain de la rémunération des dirigeants d’entreprises cotées. Peut-être cette réflexion doit-elle être poussée quant à la rémunération des opérateurs de marché, des traders pour employer cet anglicisme, et peut-être aussi de manière plus vaste, et je ne crois pas que la réflexion soit portée, y compris au sein des organes internationaux de régulation, quant à la rémunération des gestionnaires de portefeuilles.

C'est une des questions de savoir si, à travers cette rémunération, les gestionnaires de portefeuilles ne sont pas poussés vers des produits présentant beaucoup plus de rendements, sur lesquels leur rémunération est assise, qui exposent bien entendu l’investisseur à beaucoup plus de risques.

Les régulateurs ont peut-être été confrontés à des « trous noirs » de la régulation, mais ces « trous noirs » sont réductibles et il y a des moyens pour eux de reprendre la main à la fois sur les acteurs et sur les produits pour peut-être essayer de mieux prévenir les futures perturbations des marchés financiers.

  • M. Eric BROUSSEAU

Merci beaucoup. Je passe la parole pour une dernière intervention à Bertrand du MARAIS, conseiller d’Etat et professeur associé à l’université Paris Ouest, qui va nous parler des questions de capture potentielle du régulateur. Le régulateur a des moyens, mais est-il capable de les utiliser ?

  • M. Bertrand du MARAIS

Merci beaucoup, Eric. J’ai compris dans le cheminement de cette table ronde que l’on partait du plus compétent au moins compétent et je suis donc extrêmement content de clôturer ces interventions. (Sourires.) J'interviens évidemment à titre personnel et académique en tant que professeur associé et codirecteur avec Eric BROUSSEAU du Master droit économique.

Je voudrais au passage remercier nos coorganisateurs, à savoir PRESAJE. Je ne peux m’empêcher de mesurer le chemin parcouru depuis la conférence que nous avions organisée le 12 décembre 2007, qui était d’ailleurs, si vous vous souvenez, la première conférence, me semble-t-il, à très haut niveau avec le gouverneur de la Banque de France et Michel PRADA sur la question de la crise financière.

Compte tenu du temps je serai bref et je vous renverrai assez lâchement à un article que j’ai fait dans le dernier rapport moral sur l’argent dans le monde de l’Association d'économie financière que j’avais appelé « Crise de la régulation ou capture du régulateur » et aussi aux travaux que nous avions faits dans le cadre du programme « attractivité économique du droit » sur les agences de notation.

Je voudrais vous proposer une réflexion – très classiquement pour un juriste – en deux temps. C’est plus de l’ordre de l’intuition que je ne démontrerai pas devant vous, mais je vous renvoie à l’article, une sorte de méta-explication de la crise par cette notion de capture des régulateurs.

Je vous proposerai d’en dégager un constat et quelques recommandations sur l’intérêt de développer, en France et au niveau européen, une recherche active telle que nous essayons de la développer dans le cadre de FIDES avec, j’espère, votre concours.

Cette méta-explication, il me semble qu’il y a eu – certains l’ont rappelé – un phénomène de capture des régulateurs. Pourquoi des gens aussi nombreux, aussi intelligents, se sont-ils trompés aussi longtemps ?

Je voudrais faire appel à la notion de capture au sens de Stigler, cet économiste de la concurrence, qui démontrait qu’il était plus intéressant, plus efficace pour un cartel de capturer le régulateur plutôt que de monter un cartel compliqué à mettre en œuvre, toujours coûteux et toujours fragile.

Il me semble que ce qui s’est développé dans les dix ou quinze dernières années est ce phénomène de capture.

Le vecteur de la capture a été le développement, me semble-t-il, de deux notions : la notion d’autorégulation et la notion de désintermédiation du financement de l’économie.

C’est d’ailleurs un sujet qui ne semble pas avoir été abordé. Finalement, le modèle des marchés désintermédiés ou plutôt du financement de l’économie de façon désintermédiée était-il le bon ?

L’objectif, me semble-t-il, était une intégration verticale très classique de l’industrie bancaire et financière autour de plusieurs instruments, des standards juridiques, des contrats, une approche aussi d’un certain nombre de transactions, des standards institutionnels. Le régulateur tel qu’on l’a vu se développer dans les années préalables, en tout cas sur le modèle de la SEC, et une standardisation aussi des produits financiers.

On l’a vu très nettement, me semble-t-il, à travers l’action des agences de notation qui étaient un des éléments de cette intégration verticale. Vous ne pouvez être noté si vous n’utilisez pas le bon droit, les bons montages, les bons contrats qui sont seulement compréhensibles par les bons avocats et les bons comptables et qui sont finalement d’ailleurs proposés par les bonnes banques de financement et d’investissement.

Ceci représentant l'ensemble de ces éléments de l'intégration verticale, reposant encore une fois sur une même philosophie renvoyant à l'autorégulation et à la désintermédiation.

Autorégulation qui permet par ailleurs de constituer des barrières à l'entrée puisque quel meilleur mécanisme d’exclusion de nouveaux entrants qu’un club qui fixe ses propres règles, les met en œuvre, etc. ?

S’agissant des modalités, je reprendrais la distinction très éloquente et en même temps très subtile que Michel PRADA nous avait fait l’honneur d’utiliser lors d'une de nos conférences. Les modalités cette capture ont été de deux ordres : une capture « utilisation » des régulateurs américains et britanniques par leur industrie locale et une capture « neutralisation » des régulateurs européens.

Par quels moyens ? C’est là que l’on arrive à la méta-explication. Me semble-t-il, par le moyen d’une démonstration scientifique de la supériorité de ces deux modèles désintermédiation financière et autorégulation, qui a permis de convertir tous ces régulateurs, car c’était une vérité.

Il n’y a pas de bon financement d’économie s’il n’est pas désintermédié et il n’y a pas de bon fonctionnement des marchés financiers s’ils ne sont pas dérégulés ou en tout cas le moins régulés possible.

Cette démonstration a été menée par des économistes de renom depuis une quinzaine d’années.

Faut-il brûler les économistes ? Non. Je proposerais de ne pas les brûler tous (sourires), d’où ma deuxième partie qui est un constat et quelques recommandations. Ceux qu’il ne faut pas brûler sont d’ailleurs clairement ici !

Le constat est que le débat théorique revêt un enjeu stratégique absolument considérable, un enjeu commercial et même un enjeu financier.

Démontrer scientifiquement que la fair value est vraiment un instrument efficace et le démontrer mathématiquement, pas de problème. Vous avez tous compris l’enjeu commercial, l’enjeu financier, etc.

Il me semble qu’il y a eu un manque dans les dix dernières années d’oppositions intellectuelles, d’oppositions théoriques – je souligne ce point – considérées comme crédibles par les responsables économiques, par les dirigeants privés, d’où l’importance stratégique, l’importance économique et aussi l’importance financière au niveau du bottom line des opérateurs financiers, des opérateurs industriels, etc.

Finalement, l’importance de financer des recherches rigoureuses, crédibles et variées, j’allais dire plutôt audibles.

Je reprends le point de M. CICUREL en disant : « Finalement, comment arriver à contrebalancer cette emprise, absolument considérable, de ce modèle dominant ? ».

Pour citer un exemple, quand le président OBAMA, il me semble avant le G20 du mois d’avril, a présenté son plan, l’une des toutes premières mesures était la création d’un « défenseur du consommateur bancaire ». C’est seulement hier que la commission compétente du Sénat et son chairman Frank BARNEY s’est officiellement saisie du dossier parce qu’il n’était pas possible juste avant l’été de réunir la moindre majorité au sein de ce seul comité pour étudier la question et la mettre à l’ordre du jour, alors que c’est presque ce qu’il y a de moins douloureux pour l’industrie bancaire.

Je suis un idéaliste opérationnel. Je pense que le contre-pouvoir est aussi et peut-être surtout en amont à trouver ailleurs que dans la règle de la seule régulation, c’est-à-dire le face à face des régulateurs et des régulés, par un développement du débat public, soutenu par des analyses théoriques, rigoureuses, variées, d'où le petit paragraphe dans la présentation de FIDES de dire qu'il y a une nécessité de créer une offre – notamment européenne, c'est clair, mais qui peut aussi rejoindre certains de nos amis anglo-saxons – j’allais dire de modèle économique, de modèle de policy design, de institutional design alternatif d’un modèle qui, sur le fond, s’est avéré dominant. Cette recherche doit être audible, c'est-à-dire accessible, compréhensible, c’est-à-dire opérationnelle pour les décideurs, et visible. C’est, je crois, le projet que nous menons à travers cette association, à terme cette fondation qui s'appelle FIDES.

Je vous remercie.

  • M. Eric BROUSSEAU

Il nous reste quelques minutes pour avoir un débat avec la salle.

  • M. Anisse HATTOUM, banquier

Je suis banquier. C’est dur à porter en ce moment. (Sourires.)

J’ai trois questions à vous poser, mais je voudrais auparavant insister sur le rationnement de crédit dont on a parlé tout à l’heure.

Personne ne s’est intéressé à la baisse de la demande de crédits par les consommateurs, les entreprises, personnes morales ou physiques. En tant que banquiers, nous avons vraiment une crise de la demande. Les médias ont tellement parlé de la crise que les personnes morales et les particuliers n’osent plus nous solliciter pour des crédits. Ce point est important.

Trois questions me paraissent pertinentes :

  • Quel est le rôle des agences de notation dans la crise ? Je pense cette question très importante, à laquelle il faut s’intéresser.
  • L’innovation financière est-elle aujourd'hui réglementée ?
  • S’est-on intéressé à la gouvernance des régulateurs ? Qui est derrière les régulateurs ? Qui régule aujourd'hui le marché ?
  • M. Eric BROUSSEAU

Merci, trois questions tout à fait passionnantes. La question du rôle des agences de notation, la question de la régulation de l’innovation financière et la question du contrôle des régulateurs, donc de la gouvernance des régulateurs, trois thèmes de colloque, trois thèmes de programme de travail pour FIDES pour les quinze prochaines années.

Plutôt que d’essayer d’avoir une réponse précise à chacune de ces questions, je vous propose de prendre une ou deux autres questions, et ensuite de terminer par un tour de table des intervenants qui piqueront les questions auxquelles ils préféreront répondre.

  • M. André DELION, Conseiller-maître honoraire à la Cour des comptes

Ce n’est pas en tant que membre de la Cour des comptes que je veux dire quelques mots mais en tant que codirigeant et président du comité scientifique de la revue de Paris I qui s’appelle les Annales de la régulation et comme préparant un prochain colloque à la Sorbonne qui aura pour titre : « Les Etats face à la crise ». C’est vous dire le plaisir que j’ai d’être parmi vous et les remerciements que je vous adresse.

Madame SCIALOM l’a rappelé, la crise financière est actuellement considérée comme ayant pour cause une défaillance des régulations financières. Je voudrais dire qu’il ne faut pas généraliser.

Autrement dit, dans les limites de leurs compétences nationales, nos régulateurs français en particulier sont considérés – je m’en aperçois par les échanges que j’ai – comme exemplaires en comparaison aux Allemands ou aux Anglais par exemple. Il s’agit donc bien d’une part des lacunes du système de régulation américain qui a laissé dans le vide la plupart des instruments et la plupart des établissements, des institutions, des organismes, des entités qui sont à la base de la crise et d’autre part des défaillances des régulateurs. La SEC, c’est évident, mais les autres n’ont pas été brillants non plus. Au point que certains ont été remplacés et tous critiqués et certains, même présidents d’organismes comme celui de la SEC, démissionnés.

Je voudrais toutefois poser ma question en introduisant de cette façon, les régulateurs nationaux ont de sévères limites d'action.

D'abord, la crise financière n'a pu se développer que sur un terreau de crise économique qui aurait pu faire l'objet d’une régulation d'un autre type, mais d'une régulation. Il n’y en a pas eu. La liquidité excessive mondiale a permis les effets financiers, donc la crise.

Dans un grand nombre de cas, des mécanismes échappent aux régulateurs nationaux parce qu’ils sont de caractères mondiaux : les disparités de rigueur et les primes aux moins-disants réglementaires, la possibilité de fuir une législation sinon une juridiction comme le dit l'OCDE en matière de paradis fiscaux, la liberté des prix financiers, l’opérateur mondial du marché des spécialistes des opérations financières et donc de la rémunération, les différences d’autonomie des Etats dont on va s’apercevoir (on y a fait allusion) en matière de décision monétaire BCE versus FED et pas seulement FED, les effets, au-delà de leur frontière, du G2 qu’évoquait M. CICUREL en matière économique et financière sur tous les Etats – et nous n’y pouvons pas grand-chose –, une disparité d’exigence de ratios européens, disparité de l’obligation de transparence, disparité de règles comptables, disparité de rémunérations.

C’est une vaste question, mais il faut se la poser. Au-delà des efforts du G20, comment assurer un certain nombre de régulations mondiales et lesquelles pour assurer l’efficacité de la régulation nationale ?

  • M. Eric BROUSSEAU

Là encore, un vaste programme de recherche pour les trente prochaines années, pas simplement pour FIDES mais pour l’ensemble de la communauté des économistes, l’ensemble de la communication des juristes : comment construire des régulations mondiales qui permettent de gérer cette économie globalisée et ces systèmes financiers globalisés ?

Une dernière question et je passe ensuite la parole aux intervenants pour une brève conclusion.

  • Un Intervenant, avocat.

J’ai été très content d’entendre les réactions concernant les liquidateurs.

Quelque chose n’a pas tellement été évoqué : depuis une vingtaine d’années, on constate des accusations de plus en plus fortes des activités bancaires : dans les années 90 sur toutes les opérations de marchés qui ont été réalisées, et depuis quelques années non seulement sur les opérations de marché mais sur les activités de crédit. L’activité même que l’on appelle de risque opérationnel, c’est-à-dire les activités de la banque mondialisée qui transforment la banque en unité de régulation.

Je me demandais si ce n’était pas de la faute des recherches d’économie des professeurs d’économie qui transforment la banque en unité de régulation… (Intervention inaudible)

  • M. Eric BROUSSEAU

La crise est-elle liée à l'économie ? Tout à l'heure, c’étaient les technologies de l’information. Je crois qu’il faut rappeler aussi ce que disait Laurence SCIALOM au début de son intervention : le problème n’est pas forcément d’accuser les acteurs. C’est de construire des systèmes avec les bonnes règles du jeu. Les règles du jeu de la finance d’aujourd'hui ne peuvent être celles du Moyen-Age. La technologie a changé, les acteurs ont sophistiqué leur comportement.

Nous sommes dans une salle avec un débat passionnant, mais il est vrai que le dîner approche, et surtout un cocktail vous attend à la sortie. Si l’on fait trop durer le débat, ce sera compliqué à gérer.

Je vais passer la parole une minute à chacun des intervenants pour qu'ils réinsistent sur un point sur lequel ils tiendraient particulièrement à revenir. L’objet de cette réunion est précisément de lancer des réflexions, de lancer des coopérations et, Michel CICUREL l’indiquait, il est important de poser des questions, et après on a du temps pour élaborer quelques réponses.

Laurence

  • Mme Laurence SCIALOM

Je suis pour le coup frustrée parce que j’avais des choses à dire sur chacune des questions posées, mais je vais faire vite.

Je prends la question sur la gouvernance des régulateurs. A mon sens, une tendance vers laquelle nous devons aller est une forte indépendance des régulateurs, mais couplée à une très forte responsabilité au sens accountability, le fait de rendre des comptes sur ce que l'on fait et sur ce que l'on ne fait pas, avec des systèmes encadrant l’activité des régulateurs de manière très stricte, comme on a pu le faire pour les banques centrales.

Cela n’a pas empêché Alan GREENSPAN d’avoir une politique laxiste, et il venait régulièrement rendre des comptes au Congrès. Il me semble que cet élément est important.

Je voulais réagir sur un autre élément : la question de monsieur sur les règles internationales. Il se passe actuellement en Europe quelque chose de très important : la mise en œuvre très rapide, quoi que sous une forme un peu édulcorée, du rapport de la Rosière.

On n'a jamais été aussi vite dans l’adoption d’un cadre qui permettra de gérer certaines choses, avec notamment un régulateur systémique en très forte proximité avec les banques centrales. Il me semble qu’une des failles des régulateurs a été quand l’on a créé l'indépendance des banques centrales, que l’on a souvent extrait la fonction de supervision des banques centrales. Cette crise a révélé la faillite des systèmes avec memorandum of understanding. Avec le FSA cela a été évident, la gestion du Northern Rock mais peu importe.

  • M. Eric BROUSSEAU

Vous pourrez écouter la cinquième conférence de Laurence autour d’un verre de champagne. (Sourires.) Dominique Demougin.

  • M. Dominique DEMOUGIN

La capture des agences de notation, absolument, je suis certain que c’est le cas.

Je ne pense pas que ce soit juste le réglementeur nord-américain. Je ne me permettrais pas de dire quelque chose sur le réglementeur français, il paraît qu’il y en a quelques-uns dans la salle. (Sourires.) Je vois que de grosses erreurs ont été faites du côté allemand et peut-être y en a-t-il eu aussi quelques-unes du côté français.

Une simple remarque pour conclure : les cinq grandes écoles américaines en business des Etats-Unis ont un budget plus grand que toutes les écoles de business du monde germanique ; j’inclus la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche. On se demande parfois pourquoi ils ont tellement d’influence. Je dis que ce n’est pas tellement difficile à comprendre.

Harvard Business School a encore pour l’instant, après la crise, un budget de 900 M$.

  • M. Bruno DEFFAINS

Laurence évoque l'indépendance du régulateur. Je voudrais évoquer les moyens.

Cela répond en partie aux questions. C’est disproportionné. On est en train de comparer les budgets des business schools. La stratégie développée par l'ensemble des acteurs de marchés, en particulier dans le domaine de la finance, est le contournement. Les économistes parlent de l’évitement de la règle. Eviter la règle n’est pas gratuit. Cela coûte très cher et cela donne de l'avance à ceux qui la conçoivent.

Clairement, il faut rétablir un équilibre entre les moyens des régulateurs et les moyens de ceux qui cherchent à éviter.

On sait que ce n’est pas facile. Regardez le tour de France. Vous voyez ce que je veux dire : on retrouve parfois quelques seringues et on sait bien où est le problème, mais on a en réalité du mal à contrôler.

Pour terminer et vous inviter à réfléchir, je vous invite à relire Max Weber sur l’éthique du capitalisme et comprendre que, dans ces conditions, une bonne façon de comprendre ce que je dis et de contourner la règle est de parler d'éthique. L’éthique est souvent instrumentalisée. Plus on parle d’éthique, plus on cherche à contourner la norme. C’est une conviction vraiment forte, sur laquelle il faut méditer.

  • M. Eric BROUSSEAU

Merci, Bruno. Eric Dezeuze.

  • M. Eric DEZEUZE

Merci. Un mot sur l'innovation financière et son encadrement réglementaire.

Est-elle encadrée ? Est-elle réglementée cette innovation financière ? J’ai tendance à dire que cela dépend. Une innovation financière qui va se tourner vers l'épargne publique, l’appel public à l’épargne sur des produits nouveaux, oui, ce sera réglementé et ce sera nécessairement encadré.

L’innovation financière sur des produits négociés de gré à gré en dehors de marchés réglementés, non.

Une des voies en train d’être tracées est d’essayer à tout le moins, y compris pour les produits financiers innovants qui sont négociés de gré à gré, de créer une obligation ou en tout cas une forte incitation à négocier ces contrats, à dénouer ces contrats sur des chambres de compensation, donc à centraliser les transactions de manière notamment à créer une plus grande visibilité et peut-être à mieux appréhender les risques systémiques que peuvent induire ces produits. C’est en tout cas une des orientations vers lesquelles se dirige l’OICV, l’organe qui regroupe les régulateurs de valeurs.

  • M. Eric BROUSSEAU

Bertrand du Marais.

  • M. Bertrand du MARAIS

Merci beaucoup. Trois points très rapides sur les agences de notation.

Sur les agences de notation, une page de publicité : je vous renvoie au rapport que l’on a fait à la Documentation française fin 2006 début 2007 où l’on montre que les conflits d’intérêt en matière de titrisation – absolument évidents, je le dis au passage – ont paradoxalement comme effet de brider l’innovation.

Ensuite, l'innovation financière est-elle régulable ? Je crois qu’elle l’est, ne serait-ce que par des règles sur le fond de précaution qui font partie du mandat du régulateur.

J’en arrive à la dernière question : gouvernance des régulateurs internationaux ?

Oui, tout cela est extrêmement intéressant, mais quel modèle suivra le futur super, hyper régulateur qui sera seul sur l’ensemble de tous les pays et qui sera vraiment merveilleux ? A la limite, le problème est : quel est son modèle et ce modèle est-il challengeable ? Je vous renvoie à ce que j’ai dit tout à l’heure.

  • M. Eric BROUSSEAU

Merci beaucoup, Bertrand.

J’avais dix minutes pour conclure ce colloque. Rassurez-vous, je ne vais pas les prendre. Je voudrais d’abord remercier nos partenaires de PRESAJE pour nous avoir aidés à organiser ce colloque qui illustre bien le projet que nous avons ici de réunir, au sein d’un forum, des académiques, des acteurs de la vie économique et sociale et des représentants des pouvoirs publics pour réfléchir à ces questions de régulation qui sont extrêmement complexes, qui font nécessairement appel à une réflexion pluridisciplinaire, à l'instar justement de ce qui a été honoré par le prix Nobel cette année où les deux lauréats sont des gens qui travaillent à la frontière du droit, de l'économie, des sciences de gestion et des sciences politiques.

Le projet FIDES est un projet en construction. L'idée est d'accueillir, au sein de ce projet, les initiatives, les coopérations, les propositions de coopération.

Nous sommes ouverts à toute prise de contact et à toute discussion pour aller plus loin et pour poursuivre les discussions que nous avons entamées ce soir qui portaient sur les thèmes de la régulation financière, mais il y a, au sein de FIDES, d'autres thèmes sur les questions environnementales, sur les questions sociales, sur les questions de globalisation, sur la concurrence entre les systèmes juridiques, sur la construction de systèmes internationaux de régulation.

Tous ces thèmes sont au cœur de FIDES et nous vous appelons simplement à venir construire avec nous ce projet.

Je termine simplement en remerciant chacun des intervenants pour l'expertise qu'il nous a apportée, et je vous invite à un pot pour terminer cette soirée autour d’une discussion et du cinquième exposé de Laurence.