Table ronde : Conséquences sur le système de santé et le patient
Deuxième table ronde des Entretiens de Saintes sur le thème de « la santé, malade de la justice ? ». Des experts de l'économie, de la santé, de la médecine et du droit débattent de l'impact de l'austérité sur les pratiques médicales, la responsabilité des professionnels de santé et l'accès aux soins. La discussion aborde également le principe de précaution, la vaccination contre l'hépatite B et la judiciarisation de la médecine.
  • M. Alain TREBUCQ

Nous allons cet après-midi reprendre les débats des Entretiens de Saintes avec un découpage en deux parties, avec une obligation d'horaires à respecter scrupuleusement si nous voulons profiter de l'autocar à 16 heures 30. Donc on arrêtera cette table ronde à 16 heures au plus tard pour la conclusion que fera Monsieur SARGOS durant une quinzaine de minutes, et le Président Monsieur Michel ROUGER conclura les Entretiens de Saintes 2008.

Deux parties pour cet après midi, avec les conséquences sur le système de santé, avec Claude LE PEN, Jean PETIT et Olivier SAUMON, et la deuxième partie sur les conséquences notamment pour le patient et l'usager du système de santé avec Madame Gisèle MOR et Monsieur Dominique MARTIN.

Ce matin on a parlé à la fois du principe de précaution, de sécurité sanitaire, des contraintes budgétaires qui pesaient aujourd'hui sur le système de santé, et il est indéniable que tous ces éléments-là ont des conséquences sur la responsabilité potentielle des professionnels de santé et on verra de quelle manière.

Je propose de commencer par Claude LE PEN qui est un économiste de la santé enseignant à Paris Dauphine. Ce matin on a abordé cet aspect de l'austérité budgétaire sur la paupérisation de certaines spécialités médicales, qui peut aussi être une conséquence de la sinistralité de certaines professions, encore que cela est parfois discuté. Je fais référence à un petit texte que j'ai trouvé dans la littérature, qui était l'avis rendu par le Comité consultatif national d'éthique à propos de sa saisine par Madame VAN LERBERGHE, ancienne directrice de l'AP-HP, sur la contrainte budgétaire qui pesait sur les dépenses de santé en milieu hospitalier. Claude LE PEN et Jean PETIT pourront réagir à cela.

Je lis les quatre lignes qui ont été rendues dans cet avis du CCNE : « Oui les enveloppes financières fermées font peser des risques sur l'accès aux soins. Oui les crédits limités entraînent des choix de santé dont la responsabilité ne peut pas reposer sur les seuls acteurs hospitaliers, qu'ils soient directeurs ou médecins ». Cela permet aussi de renvoyer cette notion de responsabilité vers le politique, problème que l'on a abordé ce matin, mais aussi sur les payeurs.

  • M. Claude LE PEN, professeur d'économie de la santé à l'université Paris-Dauphine.

Merci et merci aux organisateurs d'inviter un modeste économiste dans un débat dominé par les sphères éthérées de la science juridique vis-à-vis de laquelle on se sent très modestes nous les économistes, et très ignorants. En fait c'est faux, on n'est pas très modestes du tout. On est même très conscients de notre importance car la vraie révolution du système de santé de ces vingt dernières années n'a rien à voir avec le droit, elle a tout à voir avec l'économie.

Si le système de santé a changé ces dernières années, si les pratiques ont évolué, vous m'excuserez de penser que c'est beaucoup plus sous l'influence des problèmes économiques que des contraintes juridiques. Si on mettait sur la balance d'une part la question centrale dont on débat depuis ce matin, à savoir la question de la responsabilité médicale, et d'autre part des questions comme la croissance des dépenses de santé, la gestion des déficits, le financement des hôpitaux, les honoraires médicaux, la CMU, etc., peu de personnes soutiendraient que la première a eu plus d'influence que les autres sur notre système. En général quand je vais dans des colloques, c'est l'économie qu'on accuse de rendre malade la santé, et pas tellement la justice. Il est vrai - et cela devrait justifier notre modestie - que les économistes ne font pas l'économie, contrairement aux juristes qui dans une certaine mesure font le droit. Les économistes ne font qu'observer des phénomènes qui leur échappent, et qui trouvent leur origine dans la logique des intérêts, dans les rapports sociaux, ainsi que dans des phénomènes extérieurs comme la démographie ou l'évolution technologique, mais assez peu dans les analyses des économistes.

On est ainsi modestes vis-à-vis de la réalité, tout en étant certains de nous trouver au centre des problématiques.

Si maintenant on jetait un regard rétrospectif sur l'histoire de notre système de santé depuis 45, sans remonter avant, on mettrait en évidence quelques tournants importants ; or, j'en suis convaincu, l'époque que nous vivons correspond précisément à un de ces tournants.

Un des premiers de ces tournant date des années 1975-76 avec l'invention même du thème de maîtrise de dépenses de santé. Avant le début des années 70, on considérait non seulement qu'il ne fallait pas maîtriser les dépenses mais que la France était en retard et qu'il fallait moderniser le système. Il fallait « humaniser » les hôpitaux comme on disait, et faire disparaître les salles communes ; il fallait multiplier les professionnels de santé, et on recrutait 8 à 9 000 médecins par an ; il fallait étendre la protection sociale à ceux qui en était encore exclus, notamment les professions indépendantes. Le système était dans une phase d'expansion quantitative très intense.

Avec la crise de 74, le rythme de croissance de l'économie ayant été divisé par deux, on a inventé la thématique de maîtrise des dépenses de santé et plus généralement de la rigueur. La politique menée alors a allié une assez forte progression des prélèvements obligatoires et des mesures de containement des dépenses publiques d'essence essentiellement budgétaire ou tarifaire. On a ainsi inventé les médicaments à « vignette bleue » moins bien remboursés ; on a créé le secteur II en médecine de ville ; on a placé les hôpitaux sous « budget global », etc. En fait de maîtrise des dépenses, cette politique en a surtout partagé la charge au détriment des assurés sociaux. C'est du moins ce que ces derniers ont ressenti, entraînant au début des années 90 une nouvelle évolution.

C'est à cette époque en effet que s'est faite jour l'idée que les médecins - et plus généralement les professionnels - étaient aussi comptables de l'équilibre des comptes à travers leur pratiques et leurs comportements. La maîtrise des dépenses de santé n'est pas qu'une affaire de tarifs et de budgets, c'est aussi une affaire de prescriptions, une affaire de respect de normes de qualité, une affaire de responsabilité et de discipline collective. L'instauration des « références médicales opposables » en 1994, la création du « médecin référent » à partir de 1990, l'introduction des médicaments génériques en 1999, les disposition du Plan Juppé de 1996 sur les filières et réseaux de soins, ont été quelques unes de ces mesures qui ont consacré ce nouveau cours des choses.

Y faire adhérer les médecins n'a pas été simple. Il y a eu des tensions, des luttes et des divisions syndicales, des contestations en Conseil d'Etat ou au Conseil constitutionnel. Mais finalement, une certaine adhésion à cette idée. Les mentalités ont changé et les médecins sont aujourd'hui beaucoup plus comptables de la charge collective de la santé qu'ils l'ont été. Ils ne disent plus - et ils ne peuvent plus dire - « moi je soigne, et savoir combien cela coûte et savoir qui paie n'est pas mon problème ». Cette vieille idée qui a longtemps fondé une certaine idéologie médicale appartient au passé. .

Une autre révolution qui n'est pas advenue en France mais qui pourrait l'être, et qui l'est dans d'autres pays, est l'opposabilité de cette contrainte économique au patient. On a certes fiscalisé le financement, et introduit la CSG en 90  ; on a changé l'esprit du système en délitant le paritarisme ; mais on n'a pas introduit l'idée d'un rationnement économique, sous la forme : « ce traitement est utile mais trop cher pour la collectivité ». Tout Français a officiellement droit au traitement approprié à son état sans considération de coût.

D'autres pays n'ont pas cette philosophie ; l'Angleterre par exemple oppose une contrainte officielle de 30 000 livres sterling pour une année de vie gagnée environ. Cela signifie qu'un traitement efficace mais tel que le coût de l'année de vie sauvée excède cette somme n'est pas recommandé, et en pratique, pas utilisé. Le raisonnement est celui classique du « coût d'opportunité ». Dans un contexte de rareté des ressources, l'affectation de budgets à des soins dont la « rentabilité » médicale est insuffisante prive d'autres patients du bénéfice d'un traitement susceptible de « rapporter » davantage à la collectivité Ce raisonnement est effectif. Dire qu'il est facile à tenir serait abusif. En Angleterre comme en France, les associations de patients veillent et s'opposent à ce principe de rationnement économique. Mais la tradition britannique d'un système de santé frugal, orienté vers des objectifs de santé public, a facilité l'adoption d'un point de vue jusqu'à présent refusé sur le continent. Le rationnement en France - si rationnement il y a - sera implicite. Il sera dissimulé derrière un rationnel médical. Ou organisé à travers un dispositif administratif ralentissant l'accès à une innovation coûteuse : on en trouve de nombreux exemples dans les technologies médicales. Mais la doctrine reste que tout Français a le droit à un traitement approprié, comme le réaffirme encore la loi de 2004.

Qu'est-ce qu'un traitement approprié ? Est-ce que le coût fait partie de la définition d'un traitement « approprié » ? En France, non. Du moins pour le moment, car je ne suis pas sûr que cette doctrine soit viable. Nous assistons aujourd'hui à une explosion telle des coûts d'un certain nombre de traitements dans certaines pathologies que le problème se posera inéluctablement de savoir « si ça vaut le coup » de le financer. Le traitement médicamenteux le plus cher en France à l'heure actuelle, c'est environ 800 000 euros par patient et par an dans des pathologies très spécifiques, comme la maladie de Gaucher, une pathologie orpheline qui touche certes un tout petit nombre de patients. Mais il y a beaucoup de pathologies orphelines, et on voit arriver de plus en plus ce type de traitements très coûteux, y compris dans des secteurs qui étaient considérés de manière un peu extra-économique comme la cancérologie, et dans lesquels on ne regardait guère le coût des traitements pourvu qu'ils soient efficaces ou supposés tels.

Aujourd'hui on voit se fragiliser cette doctrine. On entend des experts s'interroger : « est-ce bien raisonnable de dépenser 200 000 ou 300 000 euros pour gagner quelques semaines de survie ? ». La Haute Autorité en Santé a reçu la mission de mener des études et des évaluations économiques à partir du 1er janvier 2008, alors qu'au moment de sa création en 2004, le législateur avait considéré qu'il y avait bien, conformément à la doctrine française, deux domaines, d'un côté la science et de l'autre côté l'économie et que la HAS devait être toute entière du côté de la « science ».

Son ouverture à l'économie est une vraie révolution doctrinale..

Mais il y a bien d'autres chantiers ouverts, qui me font penser, comme je le disais tout à l'heure, que le système aborde un nouveau tournant de son histoire.

Il y a la réforme de l'hôpital selon les lignes du rapport LARCHER ; l'introduction de la régionalisation selon la doctrine du Préfet RITTER ou celle un peu différente du député Yves BUR ; la naissance d'une véritable médecine de premier recours selon les conclusions des Etats Généraux de l'Offre de Soins (EGOS) ; ou encore une ouverture vers l'assurance privée appelée à prendre en charge au premier euro certains soins comme l'optique et le dentaire.

Chacun de ces dossiers est lourd de conséquence et d'enjeux et leur conjonction l'est plus encore. Ils devraient occuper l'agenda politique dés l'automne 2008 et plus vraisemblablement, durant l'année 2009.

En réalité, nous avons abandonné le système de santé de 1945. Ce dernier est mort, les Français ne le savent pas et entretiennent une nostalgie qui n'est pas de saison. En réalité, les fondamentaux du système ont changé : il n'est plus financé par les cotisations sociales ; il n'est plus paritaire ; la médecine n'est plus libérale. L'Etat est omniprésent et les caisses d'assurance-maladie « gèrent » le risque et ne se contentent plus de rembourser les soins. Nous évoluons vers quelque chose d'hybride qui ne sera ni le système « bismarckien » traditionnel ni un système à l'anglaise. Que sera-t-il ? Difficile à dire. Sans doute un système contractuel reposant sur une régulation étatique forte mais également sur des délégations de gestion à des acteurs privés. Peut-être donc une sorte de mixité privé-public sous régulation étatique dont nous pourrions être un peu les précurseurs en Europe, parce que tout le monde cherche un peu les mêmes voies.

Il y a donc quelque chose à inventer et le mode d'innovation ne se fera pas de manière théorique mais plutôt de manière empirique, par équilibre entre les intérêts des uns et des autres. En tous cas l'époque est assez passionnante de ce point de vue-là.

Didier TABUTEAU faisait référence ce matin - et il avait raison - au fait que dans le sujet « droit et santé », il faut inclure la régulation économique. L'organisation et la régulation économique du secteur résultent de lois, de décrets et d'arrêtés, mais ce ne sont pas des lois qui tombent dans le domaine des praticiens du droit. La loi de financement de la sécurité sociale votée tous les ans par le parlement est une loi qui organise la vie du système, mais ce ne sont ni les avocats, ni les magistrats qui en sont en quelque sorte les exécutants, les artisans. On peut bien sûr critiquer, on peut demander l'invalidation au Conseil d'Etat, voire au Conseil constitutionnel de telle ou telle disposition, et d'ailleurs on ne s'en prive pas, mais ce droit économique de la santé qui régit un petit peu notre vie est d'une autre nature que celui dont on parlait ce matin.

Je sens bien que la question que l'on me pose au titre du sujet « droit et santé » est : de combien le droit de la responsabilité renchérit les pratiques médicales ? A cause du droit de la responsabilité et à cause des assurances, la médecine est effectivement plus chère. Mais ce n'est qu'un déterminant très mineur de la croissance des dépenses de santé. L'origine de cette croissance, il faut la rechercher du côté de facteurs fondamentaux comme la longévité, le progrès technologique, la recherche de la qualité et de la sécurité, les aspirations à plus de bien-être et de qualité de vie, à l'enrichissement séculaire de la société.

Ce qui est certain, c'est qu'il n'y a aucun pays dans lequel le coût de la santé diminue ; ce qui est certain, c'est que le secteur de santé est aujourd'hui un secteur économique à part entière, qui représente plus de 10% du PIB, et va en représenter 15 dans quelques années ; ce qui est certain, c'est que nous vivons une société dans laquelle la santé est un vrai secteur économique au même titre que l'énergie ou les transports, même si les professionnels de santé ont un peu de mal à admettre que leur métier, fondé sur la compassion et sur le dévouement, sur l'idéologie du service, est aussi finalement une activité économique. Et si la loi et le règlement organisent le progrès de cette société hyper médicalisée vers laquelle nous allons, il reste que les mécanismes économiques sont « en denier ressort », comme disaient les marxistes, les déterminants essentiels du changement social dans ce domaine, comme dans d'autres.

  • M. Alain TREBUCQ

Merci Claude LE PEN. Peut-être qu'avant de lancer le débat avec la salle, je vais tout de suite donner la parole à Jean PETIT puisqu'il est à la fois médecin anesthésiste-réanimateur et responsable de la qualité au CHU de Rouen ; ces aspects économiques, que vous vivez quotidiennement à l'hôpital, sont constitutifs potentiellement d'une perte de chance pour le patient. Est-ce que les choix qui sont à l'origine ou les conséquences de cette austérité budgétaire doivent peser sur le médecin ou sur le politique ?

  • M. Jean PETIT, médecin anesthésiste-réanimateur, directeur de la qualité, CHU de Rouen

Vu de l'intérieur d'un établissement de santé, on vit bien entendu dans un environnement de rigueur budgétaire, de contrats d'étape pour le retour à l'équilibre, mais si on fait le lien avec ce que l'on a dit ce matin, en définitive il y a relativement peu de plaintes, peu de recours, peu de contentieux par rapport à d'autres pays.

En réalité, l'une des questions importantes qu'il faut se poser c'est de savoir pourquoi est-ce qu'il y a une perception de judiciarisation importante ou de judiciarisation accrue de la médecine aujourd'hui dans nos établissements, alors qu'en réalité tout prouve qu'il n'y a pas cette judiciarisation accrue.

Je ne veux pas vous assommer avec des chiffres, d'autant que tous les chiffres peuvent donner matière à discussion, mais je vais quand même vous en donner quelques uns. On peut tenter de comparer la situation française et la situation nord-américaine, qui n'est évidemment pas la référence, mais c'est le seul endroit où on a des chiffres un peu sérieux ; quand on regarde en Catalogne, en Espagne, quand on regarde en Belgique, aux Pays Bas, on a des chiffres proches toutes choses égales par ailleurs de la situation nord-américaine. Là où en France nous avons 4 000 recours civils et 3 000 recours administratifs, 7 000 en tout, aux Etats-Unis on en a 120 000. Là où en France sur ces 7 000 recours il y a 375 indemnisations pour un montant moyen de 30 000 euros, aux Etats-Unis on a 40 000 indemnisations pour un montant moyen d'un million d'euros. Cela a nécessairement un certain nombre de conséquences cette affaire, cela a des conséquences en matière de primes, on l'a vu ce matin, donc de motivation pour les médecins.

Un jeune obstétricien qui s'installe aujourd'hui en France, sa prime responsabilité civile va être aux alentours de 30 000 euros par an. Aux Etats-Unis si je reprends les chiffres, je suis désolé je prends les chiffres exacts, cela va de 90 000 dollars en Californie à 277 000 dollars en Floride. Vous voyez bien que même si les revenus sont loin d'être identiques, les conséquences sur les pratiques ne vont pas être les mêmes. En réalité la question qu'il faut se poser est : pourquoi y a-t-il peu de recours en France et pourquoi a-t-on une perception d'une dérive vers une judiciarisation accrue de la médecine ? Pourquoi y a-t-il peu de recours ? Vindication faible, est-ce que le Français serait peu râleur ? C'est peu probable... Par contre le Français a la perception d'un système de santé qui est d'un très haut niveau avec une accessibilité importante, et cela joue sûrement. Est-ce que l'efficacité du système défensif des médecins est à toute épreuve ? Peut-être. Quoique. Est-ce que le dispositif de recours est peut-être un peu inadapté ? C'est possible.

En réalité, je vais essayer de vous convaincre que nous avons des mesures particulièrement efficaces de régulation d'une part et de prévention d'autre part. L'outil de prévention a développé une efficacité extrêmement importante. La perception accrue de la dérive vers la judiciarisation est probablement liée à une espèce de confusion entre ce qui a été évoqué ce matin, le risque collectif et les risques individuels, elle est probablement tirée par l'augmentation des primes d'assurance, cela a été vu là aussi ce matin, elle est probablement tirée aussi par la mise en tension du système du fait de la multiplication des décisions et des textes législatifs et réglementaires, et puis par une certaine perception de harcèlement face à ces textes réglementaires et à la multiplicité des dispositifs de prévention.

Ceci dit, on a vu quand même qu'il y a encore un certain nombre de trous et si lourd que puisse être notre système normatif, on a observé à propos notamment de la sécurité en radiothérapie qu'il y avait des trous dans le système. Ces mécanismes de prévention et de régulation sont peut-être particulièrement efficaces, peut-être, cela reste à démontrer. Nous avons donc une régulation sanitaire importante, une réglementation importante, et nous avons développé depuis le début des années 90, ce qui est très récent en France par rapport à d'autres pays, des recommandations de bonnes pratiques professionnelles. On a finalement au sein des établissements de santé et même à l'extérieur renforcé les dispositifs de médiation. Les CRU-QPC, commissions pour la relation avec les usagers et la qualité de la prise en charges, sont des espaces de discussions assez souvent ouverts et même quelquefois très francs entre les représentants des usagers et les professionnels de santé.

On a créé, je n'y reviens pas cela a été vu ce matin, un dispositif d'indemnisation des aléas thérapeutiques. On a accumulé toute une série de dispositions telles que la certification des établissements de santé, l'évaluation des pratiques collectives, l'évaluation des pratiques individuelles. On a créé un dispositif qui s'appelle l'accréditation des médecins et des équipes médicales exerçant des activités à risques. Tout à l'heure, je vous ai dit qu'au jeune obstétricien on lui demande 30 000 euros d'assurance responsabilité civile, s'il s'engage dans un dispositif d'accréditation de son équipe médicale ou de lui-même, l'assurance maladie lui en rembourse 66% ; il n'y a pas un autre pays dans le monde où on a mis en place un système incitatif de ce type.

On a un dispositif (débutant) d'évaluation des compétences des métiers de la santé, l'assurance maladie elle-même a mis quelques normes, le contrat de bon usage, les accords cadre de bonnes pratiques, la DHOS veut absolument communiquer et fournir une information objective aux citoyens en écho de ce que l'on voit dans « le Point » et ses palmarès par exemple. Donc nous commençons à trouver sur le site du ministère des indicateurs. Peu de gens le savent, la presse ne l'a quasiment jamais repris mais la Haute Autorité de Santé et la DHOS fournissent des informations très objectives sur la qualité. Il ne faut pas oublier non plus l'association des usagers à l'élaboration des politiques nationales ou régionales en termes de santé au travers d'un certain nombre de mécanismes, de conférences régionales ou nationales. Alors, si j'en viens à ma conclusion aujourd'hui finalement en revenant sur les chiffres des Etats-Unis, au fond le pire n'est jamais certain.

Il faut absolument que l'on se mobilise pour faire en sorte qu'il ne survienne pas. Donc il faut que l'on arrive à renforcer ce dispositif de prévention et de régulation, probablement en le simplifiant. En préparant ce petit topo, l'un de mes collègues me disait : c'est curieux ce titre «  la santé malade de la justice ». En définitive, la santé ou en tous cas la médecine souffre davantage d'une espèce d'indigestion de normes préventives non coordonnées que de la justice. Donc on a aujourd'hui à renforcer notre dispositif, probablement le simplifier, et de ce point de vue on restera dans une situation qui est relativement favorable par rapport aux pays qui nous entourent.

  • M. Alain TREBUCQ

Y a-t-il quelques questions dans la salle ?

  • Un intervenant

A vous entendre tous les deux, je me dis que l'on revient de loin quand même parce qu'il n'y a pas si longtemps l'opinion publique professait l'idée que la santé n'a pas de prix. Evidemment pour un économiste, on n'en est plus là heureusement, simplement je voudrais poser la question surtout à Monsieur LE PEN : est-ce que la notion de coûtsavantages est développée ou se développe dans ce secteur ? Je suis toujours frappé du fait que cette notion relativement simple, que pratiquent les entreprises tous les jours lorsqu'elles prennent des décisions, est plus difficile à mettre en œuvre dans le secteur public, notamment sur le plan des infrastructures. C'est quand même un cas assez typique la santé, pour certaines pathologies il y a des partis à prendre, des progrès à faire, il y a des coûts et il y a aussi un output, alors est-ce qu'on fait ce genre de comparaison ? Est-ce qu'on commence à le faire ? Est-ce que cela se développe ? Cela me paraît quand même indispensable, ce n'est jamais que de l'allocation des ressources.

  • Claude LE PEN

Oui tout à fait. Didier TABUTEAU faisait allusion ce matin au rapport bénéfices/risques qui est crucial du point de vue des politiques de santé publique. En ce qui concerne l'économie de la santé, officiellement la notion de rapport coûts/efficacité n'est pas reconnue comme un élément de décision. L'élément de décision officiel, c'est le bénéfice pour le patient : dès lors que le patient bénéfice d'un traitement, celui-ci doit être disponible sans considération de coût, quitte à ce que le prix des biens et services soit âprement négocié avec les industriels et autres professionnels.

En gros on a un système dichotomique qui fonctionne en deux temps : premier temps, un jugement sur la valeur thérapeutique d'un bien ou d'un service médical pour envisager son remboursement ; deuxième temps, une négociation des conditions économiques de mise à disponibilité. Les deux temps sont déconnectés et cette déconnexion est même vécue comme un avantage : on ne mélange pas la science et l'économie ! Ce que font les Anglais, à travers leur institut NICE, c'est un temps unique : la question est de savoir si finalement un bien ou un service « vaut son coût » compte tenu de son efficacité clinique. Mais cela suppose qu'on accepte de renoncer à un traitement efficace parce qu'il est trop cher. Cela suppose qu'on dise que la vie qu'on sauverait grâce à ce traitement reviendrait trop chère à la collectivité pour qu'elle « l'achète ». La doctrine française jusqu'à présent s'est refusée à considérer que le bénéfice médical et le coût étaient dans le même univers, que coût et efficacité sont des substituts, qu'il existe deux axes d'évaluation équivalents et que la décision publique synthétise ces deux dimensions. On n'imagine pas un ministre déclarer sur TF1 qu'une technique est formidable mais qu'elle est trop chère pour être mise à la disposition des Français Notez que cette attitude n'est pas illogique dans un régime de fixation administrative des prix. Après tout, si la tutelle trouve un traitement trop coûteux, elle peut toujours en baisser le prix. Les choses sont différentes quand les prix sont, comme en Angleterre, des prix de marché qui ne sont pas modifiables par la puissance publique.

On se retrouve alors dans la situation classique du consommateur qui compare les coûts et les avantages des différents produits. Or, la mondialisation fait que les groupes ont de plus en plus de stratégies de prix mondiaux pour les produits innovants. Et la France ne représentant après tout que 5% du marché mondial, il est tout à fait plausible qu'un groupe refuse de mettre un produit sur le marché si le prix ne correspond pas à son prix mondial. On a même des exemples allant dans ce sens. Cette évolution vers une administration qui sera plus « price taker » que « price maker » peut conduire à une révision de la doctrine dominante. Dés lors que je ne fixe plus le prix, je peux légitiment me demander si celui-ci n'est pas trop élevé au regard du bénéfice pour le patient et fixer des critères de remboursement fondés sur le ratio coût/efficacité. C'est une vraie évolution et je vous ai dit que l'extension des compétences de l'HAS à partir du 1er janvier 2008 ouvre la possibilité théorique à ce genre de raisonnements.

  • M. Jean PETIT

Deux éléments très brefs de réponse complémentaire. Premièrement s'agissant des produits coûteux, aujourd'hui dans le contrat de bon usage des médicaments et des produits et prestations, l'assurance maladie ne nous autorise plus à utiliser des produits qui ne rentrent pas dans des classes d'indication très précises. C'est un premier élément de réponse. Deuxièmement dans le cadre de l'hospitalisation publique et certains établissements privés à but non lucratif, nous avons une nouvelle gouvernance qui se met en place avec des structures en pôles ; dans le cadre de ces structures en pôles on suit bien entendu un certain nombre d'indicateurs et on tend à mettre en place des indicateurs de performance avec des tableaux de bord composites dans lesquels il y a des éléments d'activité, des éléments de coûts et des éléments de qualité en termes de satisfaction clients ou d'efficacité et de sécurité.

  • M. Claude LE PEN

Je confirme et j'ajoute qu'en Angleterre, le raisonnement médico-économique a été attaqué par des patients sur le thème : on me dit qu'une année de ma vie vaut 30 000 livres sterling, mais ce n'est pas vrai. Pourquoi vaut-elle £ 30 000 ? Moi je considère qu'elle en vaut £ 100 ou 200 000. Pour l'instant, les tribunaux ont plutôt validé la démarche, les contestations portant plutôt sur la transparence des modèles de calcul. Les associations et les fabricants n'ont pas obtenu gain de cause sur le principe, le motif étant que l'argent économisé sur un traitement « trop cher » était mieux utilisé collectivement. En revanche, les éléments conduisant à cette conclusion doivent être publics et partagés.

  • M. Alain TREBUCQ.

Une intervention dans la salle ?

  • Un intervenant

Je voudrais demander à Claude LE PEN et Jean PETIT si ce choix que l'on fait actuellement en France de ne pas faire de calcul ou de réflexion coûts-avantages relève à leur avis uniquement d'un choix sociétal ou d'un choix politique ? Est-ce qu'il ne relève pas aussi du fait que les indicateurs économiques qui sont utilisés dans les pays anglo-saxons comme par exemple les QALYs sont des indicateurs très contestables y compris sur le plan économique ?

  • M. Claude LE PEN

C'est vrai que les indicateurs de mesure du résultat sont contestables et qu'il existe des attitudes variées à leur égard. Les Anglais, les Néerlandais, les Suédois les adoptent, mais les Allemands les refusent. Nous sommes en France dans le camp du refus pour des raisons sans doute plus culturelles que techniques. La plupart des médecins ou des spécialistes de santé publique trouvent ces indicateurs simplistes ; mais je pense qu'ils trouveraient simpliste tout indicateur synthétique d'efficacité destiné à entrer dans un calcul de type coût-efficacité. Il y a d'excellentes raisons techniques de justifier un refus qui trouve son origine dans des facteurs culturels, voire politiques.

  • M. Alain TREBUCQ

Sur cette thématique-là, je voudrais l'avis du professeur MILHAUD qui représente ici l'Académie de médecine. Est-ce que ce principe de précaution est pour le patient français aujourd'hui potentiellement une perte de chance ? Et peut-être que Didier TABUTEAU voudra réagir par la suite.

  • M. Gérard MILHAUD, président de la section de médecine sociale à l'Académie nationale de médecine.

Tout d'abord deux définitions. La prévention c'est le moyen que l'on a de combattre efficacement un danger connu, par exemple la peste se transmet comme cela, on prend les moyens pour qu'elle ne se transmette pas. Le principe de précaution qui a été mis en place par Monsieur BARNIER à propos de la protection de l'environnement est beaucoup plus confus puisqu'il vise à empêcher l'irréversible, c'est-à-dire qu'en fonction de risques inconnus, on met en œuvre tous les moyens pour les prévenir. Il y a tout de même une petite restriction qui a été rajoutée avant de l'adosser à la Constitution, ce que l'on ne peut que déplorer, c'est de dire : à condition que le coût économique soit compatible. Mais on oublie généralement cette portion de phrase. Ce qui veut dire qu'à la limite, face à des risques nécessairement inconnus, on peut faire et dépenser n'importe quoi, alors - comme on l'a dit ce matin - tant qu'on est très loin du tribunal, très loin du juge, très loin de l'avocat et de la plainte, tout va bien.

Mais il faut bien voir que ce dont on a discuté ce matin s'adresse surtout à une pratique médicale mais ne concerne que très indirectement la découverte médicale. Or si aujourd'hui nous avons la plus longue espérance de vie d'Europe, voire du monde, c'est peut-être aussi à cause des progrès médicaux. Quel est l'avenir de la recherche et du progrès médical en France confronté à un principe de précaution vu sous le regard du juge ?

Je vous donnerai un exemple : pour revenir en 1930, le cerveau était considéré par les chirurgiens comme intouchable. Un chirurgien américain Monsieur CUSHING n'était pas de cet avis et a commencé à opérer un certain nombre de malades atteints de tumeur du cerveau. Le premier malade opéré meurt, le deuxième meurt, le troisième meurt, jusqu'à trente. La trente et unième opération réussit. Imaginez la mise en application du principe de précaution, il aurait eu certainement quelques ennuis très sérieux. D'autre part, quand vous essayez un nouveau médicament, le moment le plus difficile peut-être, c'est le passage de l'animal à l'homme, la première injection, que va-t-elle provoquer ? C'est inconnu. Donc on peut imaginer que l'application du principe de précaution ne desserve le progrès médical fait en France et conduise ainsi, comme le dit ATTALI, à renoncer à ce genre de travaux et de progrès faits en France et que finalement au nom de pensées assez généreuses mais floues, on atteigne exactement l'inverse de l'objectif qu'on s'était proposé.

  • M. Alain TREBUCQ

Un commentaire de Didier TABUTEAU ? Non. Est-ce quelqu'un veut réagir ?

  • Mme Gisèle MOR.

Je ne pensais pas que c'était le sujet d'aujourd'hui mais je trouve que ces propos sont un petit peu provocateurs, je vais donc être à mon tour provocante. Je crois que vous avez là interprété le principe de précaution d'une manière inadéquate. Qu'est-ce que c'est que le principe de précaution, en tout cas rapporté à la question médicale ? C'est le rapport bénéfices-risques. Lorsque vous parlez de vos interventions du cerveau, reposez-vous la question du rapport bénéfices-risques, de l'information des patients et du consentement. Je crois qu'il ne faut pas déplacer le problème, le principe de précaution tel qu'il est vu par la Constitution, en matière environnementale c'est une question. Le principe de précaution en matière médicale c'est une autre question, c'est rapporter chaque fois au rapport bénéficesrisques d'un traitement.

  • Un intervenant

C'est un peu facile de définir le principe de précaution en fonction du but que vous voulez lui faire jouer, si vous le redéfinissez de manière à le rendre acceptable, d'accord, mais dans ce cas-là les mots ne veulent plus rien dire.

  • Mme Gisèle MOR

Je ne le redéfinis pas de manière à le rendre acceptable, je dis simplement qu'en matière médicale, la question qui se posera toujours par rapport à la question de la responsabilité, sera la question du rapport bénéfices-risques, notamment en matière de responsabilité médicamenteuse.

  • Un intervenant.

On peut tout à fait soutenir que le rapport bénéfices-risques n'a rien à voir avec le principe de précaution. Moi c'est ce que je pense.

  • Mme Gisèle MOR

On va faire un colloque sur le principe de précaution.

  • M. Alain TREBUCQ

L'heure tourne et il faut respecter cet impératif de 16 heures. Je vais donner la parole à Maître Olivier SAUMON. On n'est pas très loin d'ailleurs du sujet que l'on vient d'évoquer quand on pense effectivement à la judiciarisation de certains dossiers qui peuvent éventuellement aboutir à une perte de chance. Je prends un exemple concret qui peut être éventuellement un peu polémique, la vaccination contre l'hépatite B.

Aujourd'hui en France, pays qui a découvert ce vaccin d'ailleurs, on a un effondrement de la couverture vaccinale, avec les risques que cela fait courir notamment aux adolescents et aux jeunes adultes. Alors sur ce sujet-là Maître Olivier SAUMON, comment peut-on y répondre ?

  • M. Oliver SAUMON, avocat au barreau de Paris, membre du Conseil de l'ordre, représentant le Bâtonnier, chargé d'enseignement à l'université Paris Descartes.

Merci Monsieur TREBUCQ de cette introduction. Je vais vous dire quelques mots sur la question de la vaccination contre l'hépatite B mais puisque vous invitez les juristes de cette deuxième table ronde à réfléchir sur les conséquences éventuellement pathogènes des évolutions législatives et jurisprudentielles sur le système de santé et le patient, disons quelques mots là-dessus. Comme avocat, je répondrai par une autre logique.

Et si la santé, longtemps malade du non droit, était désormais en voie de guérison grâce au droit ? La sécurité juridique mais aussi l'humanité veulent que les patients ne restent pas dans l'angoisse. Si la santé est malade, alors la justice est certainement son remède. La sécurité sanitaire est aujourd'hui une composante naturelle et obligatoire de nos démocraties modernes. Les politiques sanitaires sont présentes dans de nombreux secteurs de notre société : maîtrise des décès dans les accidents de la circulation, environnement, alimentation, tabac, alcoolisme mais aussi grandes catastrophes sanitaires : sang contaminé, hormone de croissance, amiante, vache folle, hépatite C, et demain pourquoi pas l'hépatite B...

C'est ainsi que la sécurité sanitaire est légitimement devenue la préoccupation quotidienne des professionnels de santé. C'est ce qui permettra de prévenir, de guérir, d'être vigilant pour que la science médicale s'exerce dans la confiance.

La sécurité sanitaire c'est tout simplement l'anti principe de précaution de l'article premier du serment d'HYPPOCRATE « primum non nocere » qui, pour les latinistes ignares comme moi veut dire « d'abord ne pas nuire ».

Mais parlons un instant du principe de précaution.

Je crois que c'est un peu comme la justice pénale dont on parlait ce matin. Il convient de ne pas le diaboliser ce principe. Je vous défie de trouver dans notre jurisprudence beaucoup de décisions de justice qui viennent condamner sur le fondement du principe de précaution. Il faut vraiment prendre son microscope pour les trouver. Donc sur le plan juridique pour l'instant, je ne suis pas sûr que ce soit véritablement un sujet. Incontestablement dans notre démocratie moderne il fallait mettre en harmonie les progrès scientifiques de la médecine avec les progrès juridiques des droits des patients, mais aussi ceux des médecins.

A vrai dire, il a fallu une longue réflexion et une longue maturation pour dégager les enjeux de la solidarité nationale. La loi du 4 mars 2002 qui a conçu ce dispositif spécifique en matière d'indemnisation des accidents médicaux a créé d'une part, un droit à indemnisation pour les victimes d'accidents médicaux non fautifs assurés par un mécanisme de solidarité nationale et d'autre part, un dispositif de règlement amiable des litiges nés entre médecins et patients victimes. Obligation d'information, accès du patient à son dossier médical, indemnisation de l'aléa thérapeutique et bien évidemment infection nosocomiale font partie dorénavant des nouvelles problématiques confiées aux juges. C'est une évolution de la société dans son rapport au handicap notamment quand aucune faute ne peut être reprochée au médecin. C'est aussi une évolution de la société dans son rapport au droit.

Elle s'inscrit dans la construction d'une certaine idée de la démocratie sanitaire dont la garantie est la règle de droit. Ces références spécifiques sont une réponse à l'inadéquation des références anciennes (jurisprudences contraires entre les deux ordres de juridiction laissant des victimes sans réparation, disparité dans l'évaluation des préjudices, délais de prescription non harmonisés, etc.).

Avant la loi du 4 mars, nous discutions des raffinements de la jurisprudence administrative et de la jurisprudence du juge civil, où chacun finissait par s'y perdre. J'évoquerai sur cette évolution quelques axes concrets. Le premier, nous en avons déjà beaucoup débattu et je passerai rapidement : c'est l'affirmation de la responsabilité pour faute du médecin qui est à mon avis un point important pour rendre la confiance nécessaire si cette confiance devait avoir été perdue.

Le deuxième axe est la création des fonds d'indemnisation, du FIVA à l'ONIAM, ce sont ainsi des droits spécifiques qui sont créés et qui répondent à une nécessité d'intermédiation dans un environnement pathogène. Mais cette idée n'est pas nouvelle. Victimes des accidents de la circulation, victimes des accidents de terrorisme, victimes d'infractions pénales, depuis 1985 nous sommes ainsi en présence d'une mutualisation croissante du risque et notamment du risque sanitaire.

Venons-en maintenant à notre troisième thème : le devoir social de répondre aux handicaps par la solidarité nationale. Les accidents médicaux les plus graves sont désormais confiés à des commissions régionales de conciliation et d'indemnisation et à l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) mais ce sont aussi des missions spécifiques comme l'indemnisation des victimes de vaccinations obligatoires ou la reprise des obligations de l'Association France Hypophyse nées de son rôle dans le traitement des patients par l'hormone de croissance extractive. Nous savons que la saisine des CRCI nécessite que soit vérifiée préalablement la recevabilité de la demande. La commission doit estimer si les dommages dont elle est saisie présentent un caractère de gravité suffisant. Est-ce choquant ? Est-ce un artifice juridique ? Non, c'est l'évaluation et la prise en compte de l'impact de l'accident médical sur la vie sociale de la victime. On apprécie justement là le risque qui est socialement indemnisable. Un autre thème de réflexion et ce sera mon avant dernier, c'est celui du nécessaire dialogue entre le médecin, le patient et la loi. Ce matin on disait qu'incontestablement il y avait un manque de dialogue et qu'il fallait restaurer ce dialogue et j'y crois tout particulièrement. Il est vrai que dans la loi du 4 mars 2002, il y a un certain nombre de dispositions qui ne sont peut-être pas culturellement bien encore passées dans le monde de la santé. Je veux parler par exemple de l'obligation d'information après l'accident médical.

Il y a dans la loi un article qui invite le médecin à discuter dans le cadre d'un entretien avec le patient de l'accident médical. Peut-être devons-nous avoir une réflexion sur cette question ? Est-ce au médecin de parler de l'accident médical ? Faut-il confier cette mission à un tiers ? Mais qu'en est-il du secret professionnel ? L'accès au dossier médical reste un point complexe et difficile. De même, comment est appliquée une notion comme celle de la personne de confiance ? On intervient parfois dans des colloques où ni les uns ni les autres ne savent exactement de quoi il s'agit.

Dernier thème : la recherche d'une garantie de sécurité juridique pour une indemnisation juste et personnalisée. La nomenclature dite « DINTILHAC » est ainsi un long serpent de mer qui a abouti récemment par le dépôt en 2005 du rapport du Président de la deuxième chambre de la Cour de cassation, Jean-Pierre DINTILHAC. Sans qu'il y ait lieu de rentrer dans la complexité de cette nomenclature, elle va permettre de s'y reconnaître par une définition précise de chacun des postes.

Un dernier mot pour finir concernant l'hépatite B. On a vu une évolution jurisprudentielle ces dernières années qui est intéressante. Le juge judiciaire et le juge administratif ne sont pas tout à fait d'accord sur la manière dont il convient d'apprécier ces questions concernant la vaccination contre l'hépatite B.

Un mot concernant le juge judiciaire. On a eu une décision importante, c'est la décision de la Cour de cassation du 23 septembre 2003 après une condamnation d'un laboratoire qui était en l'occurrence le laboratoire GlaxoSmithKline. Le tribunal de grande instance de Nanterre et la cour d'appel de Versailles avaient condamné, et la Cour de cassation est venue dire que le défaut du vaccin comme le lien de causalité entre la vaccination et la maladie n'était pas fait. Il n'y avait pas lieu à rentrer en voie de condamnation. Cette jurisprudence en restera-t-elle là ? Le juge administratif quant à lui a une appréciation différente et si vous voulez avoir des informations précises, je vous invite à lire les excellentes conclusions du commissaire du gouvernement Terry OLSON. Ces conclusions ont été suivies dans quatre arrêts rendus le 9 mars 2007 où le juge administratif est venu reconnaître dans un certain nombre de cas qu'il pouvait y avoir un événement déclencheur entre la vaccination et le déclenchement de maladies comme la sclérose en plaques.

Le juge administratif a enfermé dans diverses conditions la réparation. C'est peut-être là l'innovation la plus intéressante, c'est-à-dire que le juge administratif a pris en considération un élément temporel : le juge administratif vérifie si le déclenchement de la sclérose en plaques est proche de la date de la vaccination. Ce délai est approximativement de trois mois. Un certain nombre d'auteurs ont ainsi pu dire que la vérité scientifique s'éloigne de la vérité judiciaire. Mais sur le plan judiciaire, il est aussi vrai que cet élément temporel qui vient caractériser le lien de causalité n'est pas satisfaisant.

Il faut néanmoins préciser pour en terminer sur ce point que cette jurisprudence a été rendue non pas tant en matière de responsabilité médicale classique mais dans le cadre de contentieux où le patient souhaitait faire reconnaître le caractère de maladie professionnelle. En tout cas ce que nous pouvons dire, c'est que cette jurisprudence concernant les vaccinations obligatoires nous interroge et pose une véritable question de politique vaccinale.

  • M. Alain TREBUCQ

Merci Maître SAUMON. On entre là dans la dernière phase de nos débats de ces Entretiens de Saintes avec Mme Gisèle MOR et Dominique MARTIN. Deux éléments très brefs pour lancer la discussion sur ce thème des conséquences, notamment pour le patient. Jean PETIT l'a dit dans son intervention, malgré tout ce que l'on a évoqué, on assiste effectivement en France à un faible niveau vindicatif de la part des patients. Est-ce uniquement la conséquence d'un système de santé largement perçu comme très efficace et une confiance importante dans ce système ?

L'autre élément, c'est effectivement cette tendance qui est d'aller vers la responsabilisation du patient. On l'a vu notamment avec ces Etats Généraux des malades du cancer qui ont été organisés par la Ligue nationale contre le cancer à plusieurs reprises au cours de ces dernières années, et qui ont abouti à un certain nombre de décisions qui ont été intégrées au Plan cancer dans l'intérêt des patients souffrant de pathologies malignes. Est-ce que cette responsabilisation du patient est le meilleur rempart contre la montée de ce caractère vindicatif des patients, même si effectivement cette montée reste encore assez faible en France ?

  • Mme Gisèle MOR

Je devais intervenir ce matin, on me fait intervenir cet après midi et donc mon sujet, celui que j'ai préparé n'a strictement rien à voir avec celui de cette table ronde. Je vais improviser et tenter de répondre à ces questions. De plus vous savez que je suis sensible à cette question du vaccin de l'hépatite B. Je connais bien cette jurisprudence, et pour cause, j'en suis à l'origine. Je vais essayer de répondre à tout cela. Peut-être sentirez-vous de l'impréparation dans mes propos, je m'en excuse. D'abord merci d'avoir lancé mon intervention en parlant du patient et en disant qu'il faut à la fois le responsabiliser et le mettre au centre car c'est effectivement ce qui fait partie de mon combat en tant qu'avocate de victimes.

J'ai choisi de représenter en justice les victimes d'accidents médicaux, c'est un vrai choix, et l'un de ces engagements est de mettre le patient, la victime au centre de ce processus, ce qui rejoint un petit peu ce que nous disions ce matin lorsque nous parlions de la pénalisation et du rôle des parties civiles. Est-ce qu'elles ont un rôle accessoire ou est-ce qu'elles ont un véritable rôle ? Je considère qu'il faut respecter l'intelligence du patient a fortiori lorsqu'il devient victime, l'expérience m'a montré que les victimes avaient beaucoup de bon sens, comme de l'intuition, elles ont souvent saisi avant qu'on leur explique. Ce bon sens il faut le respecter et le prendre en considération. On a malheureusement un petit peu tendance à penser que le malade, le patient, la victime sont des gens qui ne comprennent pas et à les écarter. Pourquoi est-ce que je dis cela ? Tout simplement parce que je reçois des victimes en permanence et que je les vois arriver finalement avec le sentiment d'une insulte à leur intelligence, le sentiment de choses qu'on leur cache, le sentiment de non dit.

J'en veux pour preuve, c'est un exemple que je prends souvent et aujourd'hui il est particulièrement dans l'actualité : lorsque j'ai reçu à mon cabinet les premières victimes de l'hormone de croissance, la toute première famille à avoir déposé plainte s'est assise dans mon bureau en me disant : vous savez Maître (ce sont des gens très simples), notre enfant est en train de mourir, il est en train de mourir d'une maladie du cerveau, une maladie neurologique, on nous a expliqué que c'est la maladie de Creutzfeldt-Jakob, c'est une maladie terrible. Et on ne comprend pas pourquoi, alors que notre enfant est en train de mourir d'une maladie neurologique, qu'on le soigne dans un service où il a été traité depuis sa plus petite enfance pour grandir.

Nous considérons qu'au travers de cela on nous ment. On nous cache quelque chose et ce qui nous intéresse, c'est de savoir ce que l'on nous cache. C'est parce qu'ils avaient perçu qu'on leur cachait quelque chose, parce qu'ils n'ont pas accepté la dissimulation, parce qu'avec leur bon sens ils avaient perçu que la dissimulation cachait quelque chose de grave, parce qu'ils se sont sentis insultés, que des gens simples ont poussé la porte d'un cabinet d'avocats. Le patient doit être au centre et il a véritablement le droit à des explications.

Vous vous posiez la question de savoir pourquoi malgré un système judiciaire relativement ouvert nous n'avions pas une judiciarisation à l'américaine ? La réponse est que le parcours chez nous est extrêmement difficile, il est difficile et coûteux Il ne faut absolument pas négliger cela. On a parlé d'économie de la santé, il faut aussi parler d'économie du droit. C'est un contentieux extrêmement difficile et c'est un contentieux qui au bout du compte peut être coûteux. Difficile pourquoi ?

Vous avez d'un côté un médecin, un hôpital, un corps véritablement soudé avec des assureurs, des médecins conseil et des avocats, parfaitement rodés à ce contentieux. Je ne leur en fais pas le grief, je fais simplement le constat d'une inégalité de moyens. Vous avez de l'autre côté une victime affaiblie économiquement parce que par définition, lorsqu'on est victime d'un accident médical, on n'est pas au mieux de sa forme et donc pas dans la situation économique la plus enviable. Vous avez peu d'avocats spécialisés en victimes, il faut le dire aussi, vous avez par ailleurs peu de médecins conseils spécialisés en responsabilité médicale. Les médecins conseil il y en a, mais lorsqu'on les interroge et les missionne sur des questions de responsabilité médicale, c'est beaucoup plus difficile que lorsqu'il s'agit simplement de faire de la réparation de dommages corporels, d'évaluer une IPP ou de dire ce qu'est un pretium doloris, ce n'est nécessairement pas le même métier.

La victime a donc des difficultés à se faire assister, représenter dans ce type de contentieux et c'est réellement un frein. Le frein économique aussi, nous n'allons pas engager ici un débat sur l'aide juridictionnelle mais nous savons ce que c'est, c'est vraiment un contentieux que l'on est découragés de faire au titre de l'aide juridictionnelle, c'est évident.

Vous êtes payé au tarif d'un divorce, cela n'a strictement rien à voir, et puis l'aide juridictionnelle par exemple ne prend pas en charge le recours devant les CRCI, parce que l'on n'est pas dans la juridictionnalisation, on n'est pas dans du contentieux. De même que l'aide juridictionnelle ne prend pas en charge la phase précontentieuse en matière administrative. Cela ce sont véritablement des freins. Je ne crois pas que le frein soit dans la culture des gens ou dans le fait que les gens croient plus à leur médecine en France, ou que la médecine soit plus performante en France qu'ailleurs.

Je crois que vraiment la France ne facilite pas l'accès aux droits des victimes. C'est le constat que je fais chaque jour dans mon cabinet.

Une autre chose que je voulais dire aussi, qui était plus le sujet de la table ronde de ce matin, mais qui est importante aussi par rapport au sentiment des victimes et en tous cas leur accessibilité et leur souhait d'accéder à la justice. Encore une fois les victimes n'entrent pas dans un cabinet d'avocats ou ne vont pas dans une association de victimes avec une demande indemnitaire, mais véritablement avec une demande de renseignements et de connaissance. Non seulement nous ne sommes pas capables de faciliter l'accès à la justice mais nous ne sommes pas capables non plus de faciliter l'accès à la connaissance ! Quelque soit le procès, quelque soit la méthode utilisée, que l'on aille à la CRCI, dans une expertise, etc. tous les systèmes aujourd'hui sont insatisfaisants pour répondre à la question de la connaissance.

J'ai quelques propositions qui pourraient faire avancer le système, peut-être aller même vers la déjudiciarisation pour réserver à la judiciarisation ce qu'il y a de plus grave. Engageons-nous dans un processus d'accompagnement des victimes, plutôt que la victime aille dans un centre de médiation ou voir le médiateur de l'hôpital, etc. avec une personne de confiance etc. Mettons à la disposition des victimes des professionnels véritablement compétents qui soient capables de les accompagner et de poser des véritables questions, cela va du médecin conseil jusqu'à l'avocat, ouvrons-leur des portes de manière systématique de cet accompagnement à tout les stades du processus qui doit conduire à révéler la vérité, rendons aux gens leur intelligence, mettons à leur portée la connaissance et là vous aurez effectivement un mouvement de déjudiciarisation.

Par contre, vous pouvez continuer effectivement ce qui est à l'heure actuelle, c'est-à-dire ne pas permettre l'accès au droit aux victimes, et à ce moment-là vous aurez un sentiment d'insatisfaction qui fera grossir non seulement le contentieux à un moment donné mais également la révolte des patients. Vous verrez fleurir de plus en plus d'associations de victimes, vous aurez de plus en plus d'articles de presse, on ira plus facilement au pénal que l'on sera insatisfait. Je crois qu'il y a véritablement quelque chose à repenser dans le système, on a essayé de penser cela en créant les CRCI, je m'excuse mais je pense que c'est un véritable échec aujourd'hui que cet accompagnement-là !

Il suffit simplement d'assister ses clients aux expertises pour se rendre compte que véritablement elles les laisse insatisfaits. Il n'y rien qui ressemble plus à une expertise judiciaire qu'une expertise CRCI, on n'a pas avancé sur ce processus-là. L'expertise pourrait faire un sujet de colloque tout entier tellement il y a de choses à dire. La comparution devant la commission est aussi quelque chose d'extrêmement éprouvant avec des gens qui ne disent même pas leur nom, qui ne disent même pas qui ils sont et qui finalement regardent cette victime et n'assument même pas les décisions qu'ils ont à prendre parce qu'ils ne les donnent pas eux-mêmes ! La victime là encore le ressent comme une injure : qu'est-ce que c'est que ces gens-là qui me regardent et qui ne me disent pas qui ils sont et qui finalement vont prendre une décision sans même l'assumer à mon égard ? Là aussi il y a un véritable dysfonctionnement. Voilà ce que je pouvais dire dans le cadre des répercutions sur les patients, ce qui n'était pas mon sujet initial.

  • M. Alain TREBUCQ

Merci Madame pour cette capacité à vous être adaptée à nos contraintes d'estrade. Et donc je passe la parole à Dominique MARTIN qui va être le dernier intervenant de cet après midi.

  • M. Dominique MARTIN

Je crois que vu l'heure, il faut que je sois extrêmement court. Je ne vais pas engager un débat avec Maître MOR sur le dispositif, je crois qu'il est un peu tard pour cela. Je devais intervenir sur la question de la judiciarisation, il me semble que là aussi tout a été dit, de même que sur les modes alternatifs d'indemnisation qui ont été mis en place à travers les CRCI et ONIAM, et également ce qui a été évoqué par Maître LEGUEVAQUES ce matin : le traitement des accidents collectifs qui sont des nouveaux modes d'indemnisation extrêmement intéressants. Du coup, comme quasiment tout a été dit je souhaite simplement répondre à une question qui a été posée ce matin par Monsieur MARCHAND, je crois qu'il n'est plus là malheureusement, sur la question de la dualité de juridiction qu'il a mise en cause. Je souhaite exprimer mon désaccord avec sa position pour plusieurs raisons.

D'abord je ne vois pas en quoi la responsabilité médicale aurait une spécificité particulière qui ferait qu'elle échapperait à la dualité de juridiction, cela ne me paraît pas raisonnable. Soit on pense qu'il y a un problème global de dualité de juridiction et on le traite, soit je ne vois pas trop quelle est la spécificité de la réparation, sauf à penser que effectivement le seul juge compétent en matière de réparation serait le juge civil et que le juge administratif serait moins compétent.

Cette analyse me paraît fausse pour plusieurs raisons. D'abord, dans ce qu'il a évoqué sur cette espèce de compétition automobile entre l'un et l'autre, entre les deux présidents des cours suprêmes, je ne suis pas sûr que ce soit toujours celui que l'on croit qui arrive le premier. Quelque chose a été dit tout à l'heure qui montre que parfois et même souvent, le Conseil d'Etat n'est pas le dernier à arriver en cette matière. Par ailleurs, il y a eu un rapprochement évident entre les deux ordres de juridiction sur de nombreux sujets. Que ce rapprochement se poursuive, cela est souhaitable et on voit bien à travers notamment les dispositifs comme celui des commissions régionales qui sont des guichets uniques que ce mouvement va se continuer.

L'idée que le juge civil serait un meilleur technicien de la réparation que le juge administratif, ou plutôt que le juge administratif serait un plus mauvais technicien en la matière, là aussi il me semble qu'il y a quand même derrière des idées qui méritent d'être discutées. Derrière cela on voit bien que le premier élément qui vient à l'esprit et qui est largement répandu est que le juge civil indemnise plus que le juge administratif : il est meilleur parce qu'il indemnise plus ! Sur ce point-là, deux ou trois choses.

La première, en matière d'indemnisation je ne suis pas certain que le plus soit nécessairement le mieux ; c'est évidemment le mieux du point de vue individuel, du point de vue de la victime et de ses conseils, cela on le comprend parfaitement. Mais ce n'est pas forcément le mieux du point de vue sociétal, du point de vue de l'intérêt collectif, cela peut se discuter. Le plus n'est pas nécessairement le mieux dans tous les cas. Par ailleurs, les différences entre les juridictions civiles. Je donnerais un exemple, les barèmes des cours d'appel : la cour d'appel d'Aix en Provence indemnise un même préjudice à un niveau quatre fois supérieur à la cour d'appel de Douai, donc cela pose quand même un problème d'équité sur lequel je vous laisse réfléchir. Deuxièmement je ne suis pas certain que ce soit un exemple d'efficacité remarquable en termes d'organisation et j'ajouterais que cette différence entre les cours civiles de Douai et d'Aix par exemple, me paraît bien plus importante que la différence en moyenne entre les juridictions civiles et administratives. Donc les idées qu'il faudrait nécessairement supprimer cette dualité de juridiction pour des raisons à la fois d'équité et de technicité sont des idées qui me paraissent parfaitement sujettes à discussion. Je voulais simplement répondre à Monsieur le Ministre indirectement, puisqu'il n'est plus là, sur cette question et défendre les juridictions administratives qui me paraissent avoir été injustement attaquées sans qu'il y ait eu de réponses ce matin. Je vais laisser le temps au président SARGOS d'intervenir et de conclure.

  • M. Alain TREBUCQ

Merci et bravo à tous les intervenants qui ont non seulement respecté l'horaire mais qui l'ont même devancé un petit peu, ce qui nous laisse quelques minutes pour une ou deux interventions dans la salle. Monsieur DUPUYDAUBY.

  • M. Michel DUPUYDAUBY

Il y a eu beaucoup de médiatisation, on l'a rappelé ce matin, sur ce sujet de la responsabilité dans laquelle les assurances ont été mises en cause à différentes reprises. Je trouve que la terminologie n'est pas bonne lorsque l'on dit la médecine malade de la justice. Pour moi cela ressemble un petit peu à un tableau de Paul Klee, qui est un immense rectangle bleu avec juste un petit point rouge Et on ne voit que le petit point ! Il y a, peut-être, 450 à 500 000 professionnels de santé libéraux entre les 150 000 médecins, les kinésithérapeutes, les infirmières libérales et dans tout ce monde-là, il n'y a un problème que pour 7 à 8 000 d'entre eux qui sont un certain nombre de professions à risques dont on a beaucoup parlé. Le débat tournait autour de ceux-là, la chirurgie, l'obstétrique, et peut-être à un moindre degré l'anesthésie. Il faut bien mesurer la dimension du problème : il n'y a pas un doute général sur l'ensemble de la médecine ou de la para médecine. Il y a des problèmes à régler qui sont d'ailleurs assez spécifiques à chacune de ces trois spécialités, qu'elles se trouvent en libéral ou en hospitalier, mais pas plus. Je voulais le rappeler parce qu'en parlant du global, on donne une image qui me semble être fausse de l'ensemble du sujet. Nous avons une médecine de qualité.

  • Mme Gisèle MOR

Heureusement que nous avons une médecine de qualité, mais, je n'ai pas en main de statistiques, je crois qu'il ne faut pas limiter le contentieux ou la recherche de contentieux justement à ces spécialités-là, ce sont les plus graves, ce sont celles qui ont les conséquences les plus graves, notamment en matière d'obstétrique, celles qui coûtent cher, pour autant dans nos cabinets nous voyons arriver de plus en plus de contentieux autres. Il concerne notamment les services d'urgence. C'est vraiment un vrai contentieux naissant qui montre un vrai dysfonctionnement qui devrait éveiller l'attention des pouvoirs publics sur ces questions-là.

On a de plus en plus de demandes au niveau des médecins généralistes, la responsabilité des généralistes et de plus en plus souvent recherchée sur des questions de diagnostic, d'orientation vers des spécialistes. C'est peut-être aussi la conséquence de nouveaux systèmes de soins où on ne va plus directement chez le spécialiste, etc. Il y a là un contentieux naissant.

  • Un intervenant

Je suis resté un peu sur ma faim ce matin, frustré après l'intervention de Christian SAOULT, parce qu'il donnait une image catastrophique et misérabiliste du système de santé français. Avant qu'il quitte le colloque, je lui ai expliqué que l'image qu'il a du système français n'est pas exacte et qu'il n'est pas vrai que le système génère autant d'inégalités qu'il le dit, même s'il y en a. A Dauphine, on a fait le rapport sur le non recours à la CMU, demandé par le fond CMU. Pourquoi certains médecins refusaient la CMU ?

Avant de dire que des médecins refusent la CMU, il faut dire qu'avec la CMU, on a donné une assurance complémentaire à 5 millions de personnes, que ces 5 millions de personnes pour la première fois ont pu avoir accès à des soins auxquels elles n'avaient jamais eu accès. Leurs dépenses de santé ont augmenté tout en restant plus faibles que celles des autres. La création de la CMU est un progrès qui a réduit les inégalités en France. Il y a des effets secondaires, un certain nombre de médecins, c'est vrai, refusent les patients CMU au motif que cela amène dans les cabinets une clientèle porteuse de difficultés matérielles et administratives, et qui en plus réclament des soins gratuits.

On ne peut pas tirer de ce phénomène avéré l'idée que le système est en train de dériver, que les inégalités s'aggravent, etc. Ce dispositif a amélioré incontestablement l'iniquité, il n'est pas parfait, améliorons-le mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Je pense que c'est important à rappeler pour ne pas rester sur cette note négative.

Un autre sujet de réflexion est sur la causalité évoquée ce matin. Je vous apostrophe collectivement sans avoir la légitimité pour cela, il me semble que vous avez des conceptions très déterministes de la causalité, une cause, un effet.

En médecine, en sociologie, etc., on a une appréciation très probabiliste, il y a la probabilité, et la cause n'est jamais une cause individuelle. En médecine, on déduit qu'un médicament guérit du fait qu'un nombre significatif de gens sont guéris parmi un nombre de gens traités, et que si ce pourcentage de gens qui guérissent parmi ceux qui sont traités est au-dessus d'un certain seuil, défini a priori comme étant dans les normes statistiques, on dira que le médicament guérit, mais on est dans une impossibilité scientifique d'affecter un traitement à une guérison individuelle, c'est absolument impossible. Tout ce qui est après la cause est forcément un effet.

On peut raisonner comme cela, mais on sait que c'est logiquement inexact. On peut avoir des raisonnements de preuves inverses, tant qu'on n'a pas démontré que ce n'est pas la cause, on a une présomption de cause. Mais en matière de preuve, la médecine est une science sociale c'est-à-dire qu'elle ne raisonne pas sur l'individu, elle raisonne sur des groupes d'individus, sur des populations dans les essais ; les essais cliniques sont des méthodes collectives.

On soigne un individu, mais on établit la preuve de l'efficacité du traitement de manière collective, sur les statistiques. Tout le progrès de la science a été de dire : on refuse un ordre mondial qui établit des normes statistiques pour établir l'efficacité des traitements et se méfier du jugement individuel, se méfier de l'expérience clinique, se méfier de l'autorité du maître qui disait : « mon cher ami, moi je sais que tel traitement soigne parce que cela fait 30 ans que je fais cela, et j'en sais beaucoup plus que vous ». Donc on a objectivé l'efficacité, on a des critères exacts d'efficacité mais statistiques, une espèce de relation d'incertitude. Plus on peut se prononcer sur l'efficacité, moins l'individu est en cause, et plus les populations sont en cause, donc scientifiquement on aura du mal à imputer. Il faut après regarder les histoires, les chroniques. La science médicale en matière de preuve est une science statistique.

  • M. Alain TREBUCQ

Il reste trois ou quatre minutes maximum pour une dernière intervention. Madame ?

  • Mme Marie-Louise DESGRANGE

Ce matin, je suis intervenue en tant que magistrat pénaliste, représentant le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation. En tant que magistrat, ce que je voulais dire au terme de ce colloque sur "la santé malade de la justice", c'est que l'on assiste à une double contradiction.

D'une part, on se plaint beaucoup des juges, non seulement en matière médicale mais dans toute matière, mais on va aussi devant eux de plus en plus. Par ailleurs, on constate une consommation médicale de plus en plus développée de nos jours et on veut aboutir au risque zéro, en matière médicale comme dans d'autres domaines ; c'est une utopie. Alors, de cette double contradiction, que peut-on en tirer au terme de ces échanges extrêmement intéressants sur « la santé malade de la justice » ?

Qu'est-ce qui est malade ? La santé ? La justice ? Je pense que nous sommes, nous les magistrats, tenus d'appliquer les lois qui sont notre substrat. Elles sont votées par les politiques que nous avons élus ; elles sont ce qu'elles sont. Si comme je viens de l'entendre, les dispositions qui concernent l'indemnisation des fautes, de la responsabilité sans faute, les CRCI fonctionnent mal, je le déplore vivement. J'ai entendu Madame MOR le dire, j'en suis attristée parce qu'effectivement, c'est une manière d'éviter la judiciarisation à l'extrême que l'on connaissait avant cette disposition de la loi KOUCHNER. Je regrette, comme elle l'a dit, que l'aide juridictionnelle ne permette pas l'accès à la CRCI, et donc à une procédure de conciliation.

Les magistrats qui ont à traiter les problèmes de responsabilité médicale, civils ou pénaux, les traitent avec le plus d'attention possible, sachant les aspects humains très forts dans ce domaine de la vie et de la mort, plus forts que si vous traitez des problèmes de loyers, de successions ou de libéralités. Les magistrats en ont une conscience très vive et font ce qu'ils peuvent avec les moyens dont ils disposent. Je tiens à le dire à l'assemblée ici présente, la lenteur de la justice n'est pas forcément imputable aux juges, mais aux nécessités des instructions et des expertises qui permettent aux juges d'être mieux renseignés pour juger. Je sais bien que dans cette matière de la responsabilité médicale, qui touche au plus fort de l'humain, c'est-à-dire à la perte d'un être cher, à une mort injustifiée, à des blessures invalidantes, les magistrats ont une vive conscience de ce qu'ils sont souvent peu satisfaits des solutions et des décisions qu'ils rendent, compte tenu des textes dont ils disposent. Voilà ce que je tiens à dire avec beaucoup d'humilité, en tant que magistrat, à la fin de cette journée extrêmement intéressante sur les rapports délicats de la santé et de la justice.

  • M. Alain TREBUCQ

Merci Madame.

  • M. Dominique MARTIN

Je ne voulais pas répondre à Maître MOR mais comme vous avez rebondi sur la question des CRCI, je me permets quand même d'intervenir. Chaque point de vue est évidemment parfaitement légitime et Maître MOR a bien le droit d'avoir le sien. Simplement vous imaginez que ce n'est pas le point de vue du directeur de l'ONIAM. Quelques chiffres, après chacun en fait ce qu'il veut, mais enfin le nombre de dossiers déposés dans le dispositif est maintenant supérieur à 3 500 par an. Le budget d'indemnisation de l'ONIAM passe les 100 millions d'euros, c'est-à-dire que l'ONIAM est de très loin maintenant le premier assureur en responsabilité médicale en France. Le taux d'acceptation des propositions de l'ONIAM est de l'ordre de 97%, etc. Je peux vous donner bien des chiffres qui montrent que ce dispositif fonctionne. Après qu'il y ait des améliorations et notamment qualitatives sur la gouvernance et sur les points qui ont été évoqués par Maître MOR, avec lesquels je suis parfaitement d'accord en termes de qualité, sont des réalités, mais je ne peux pas laisser l'impression en conclusion de cette journée que ce dispositif ne fonctionnerait pas, ça n'est pas le cas. Ce dispositif a pris toute sa place, doit continuer à prendre sa place tout en améliorant des éléments qualitatifs qui sont tout à fait évidents et encore une fois, je partage en partie l'analyse qui a été faite mais je souhaitais au moins rectifier cette question-là.

  • Mme Gisèle MOR

Sans polémiquer, je n'ai pas dit que le système ne fonctionnait pas mais qu'il fonctionnait mal en cela qu'il ne répondait pas au vrai besoin de la victime qui est celui de savoir, et qu'il pouvait être traumatisant.

  • M. Alain TREBUCQ

Merci à tous les intervenants. Merci à Madame MOR. Je passe la parole à Monsieur Pierre SARGOS qui va conclure ces Entretiens de Saintes. Merci à tous.

  • M. Pierre SARGOS

Il y a toujours une part d'arbitraire dans la conclusion d'un colloque aussi riche et diversifié que celui qui nous a réuni aujourd'hui. Conclure en une vingtaine de minutes après la simple écoute des interventions c'est en effet sélectionner, écarter ce que l'on n'a pas sélectionné et mettre en exergue certains points au détriment d'autres, sans même parler des oublis involontaires.

Les efficaces organisateurs de ce colloque lui ont donné un titre provocateur : « la santé, malade de la justice ? », encore accentué par la typographie du carton d'annonce qui évoque la collection de la série noire.

Quitte à provoquer à mon tour, l'ensemble des débats me conduit à vous proposer un autre titre générique de ce colloque : « La santé malade de la santé ? ». Cette maladie, si on l'analyse dans une mise en perspective historique de la santé et de ses rapports avec la justice, présente trois principaux aspects qui, et c'est l'aspect positif, ont débouché sur des amélioration et des enrichissements ; mais s'amorce maintenant la plus grande menace qui ait sans doute jamais pesé sur la santé et la façon qu'a la justice de l'appréhender.

La santé est d'abord malade des remises en cause de ses pratiques, un temps considérées comme bonnes - au sens de recommandations de bonne pratique conformes aux données acquises de la science - puis s'avérant inutiles ou, pire, dangereuses.

Or rien n'a sans doute un effet plus déstabilisant pour un corps de professionnels que de devoir brûler ce que hier il a adoré.

Certains intervenant ont évoqué le drame du sang contaminé. Il me paraît, avec tous les symboles lourds de significations diverses qui s'attachent au sang dans l'histoire des civilisations, illustrer ce premier aspect de la maladie de la santé.

Mais le drame du sang dans l'histoire de la santé, je le ferais remonter à 1832. C'est en effet cette année là qu'un médecin dénommé THOURET-NOROY pratiqua sur l'un de ses patient au nom prédestiné, M. GUIGNE, un acte considéré depuis des siècles comme nécessaire et salvateur en médecine dans les affections les plus diverses, à savoir une saignée, qui entraîna une septicémie génératrice d'une gangrène, puis, après des jours d'atroce souffrances, l'amputation du bras gangrené. L'action en réparation engagée par la victime contre le médecin aboutit le 18 juin 1835 au premier arrêt rendu, après la promulgation en 1804 du code civil, par la chambre des requêtes de la Cour de cassation en matière de responsabilité médicale. Cette affaire souleva un tollé de tout le corps médical - y compris ses institutions les plus séculaires comme l'Académie royale de médecine - attaché à l'idée que les articles 1382 et 1383 du code civil, sièges de la responsabilité délictuelle, n'étaient pas applicables aux médecins. Les conclusions de référence, même aujourd'hui, du procureur général DUPIN ont fait litière de cette conception Il a fallu attendre encore plusieurs années, grâce notamment au génie de Claude BERNARD et à son « introduction à la médecine expérimentale » en 1865, pour que la pratique du sang ôté soit considérée - sauf quelques exceptions - comme une méthode thérapeutique inutile et dangereuse.

Puis, curieusement, mais aussi plus que symboliquement, de l'excès du sang ôté jusqu'au milieu du XIXe siècle, le consensus médical français au XXe siècle est passé à l'excès de sang fourni, ce qui a fortement contribué à la multiplication des victimes du drame du « sang contaminé » évoqué par plusieurs d'entre vous ce matin et cet après-midi.

Me reviennent à l'esprit des conversations que j'eus, il y a quelques années, avec le professeur Georges DAVID - qui a oeuvré de façon magistrale, à une époque où c'était encore une aventure osée dans le secteur d'avant garde de la recherche sur la reproduction humaine et créé les Cecos - à propos de l'abus par la majorité des médecins, au nom d'un consensus général, du recours aux produits sanguins, depuis des transfusions sans réelle utilité jusqu'à l'emploi massif de dérivés, comme les gammaglobulines, administrés à des milliers d'enfants atteints d'angines. Il y avait pourtant des médecins qui pressentaient le désastre, comme - et c'est le professeur DAVID qui me l'avait indiqué - le professeur de médecine René TZANK qui, dans un numéro de 1978 des « cahiers d'anesthésiologie », a publié un article intitulé « Réflexions sur une consommation abusive du sang et de ses dérivés » où il dénonçait le danger de la surconsommation de sang et mettait en garde contre « la possible gravité des accidents d'incompatibilité, et les éventuelles conséquences immunologiques, même lointaines de tout apport étranger ». Que n'a-t-il été écouté...

Autre grande remise en cause d'un consensus thérapeutique sans esprit critique qui a eu des prolongements judiciaires, celui du recours excessif aux rayonnements, et d'abord aux rayons X découverts à la fin du XIXe siècle par RÖNTGEN. L'histoire médico-judiciaire de toute la première partie du XXe siècle est jalonnée des dommages causés à des patients - et aussi aux médecins maniant les appareils sans protection suffisante - par les effets nocifs, mal perçus et mal maîtrisés, du recours, souvent sans réelle utilité thérapeutique, aux examens ou à la thérapie par rayonnement. Le deuxième très grand arrêt, après celui de 1835, de la Cour de cassation en matière de responsabilité médicale, c'est-à-dire l'arrêt MERCIER du 20 mai 1936 - qui a substitué au fondement délictuel de cette responsabilité un fondement contractuel et déterminé le contenu du contrat médical - concerne une telle situation. Mme MERCIER, atteinte d'une affection nasale, s'était en effet adressée au docteur NICOLAS, radiologue, qui lui fit subir, en 1925, un traitement par les rayons X qui provoqua chez elle une sévère, douloureuse et défigurante radiodermite des muqueuses de la face dont elle a imputé la responsabilité à son médecin. Aujourd'hui encore, le traitement par rayonnements - qui sont certes de nature différente - provoque des drames, comme à Epinal ou Toulouse, dont des intervenants ont parlé.

La santé est aussi malade des manquements, favorisés par de regrettables errements judiciaires, aux devoirs généraux de nature éthique des médecins envers leurs patients.

Plusieurs des intervenants ont évoqué les devoirs des médecins en matière de respect de la dignité des patients qui impliquent son information, condition du recueil de son consentement éclairé, sauf les cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, voire, dans des cas particuliers, de limitation en quelque sorte thérapeutique de l'étendue de l'information. Les lois dites bioéthique de 1994, le code de déontologie des médecins de 1995 et la loi du 4 mars 2002 ont encore renforcé ces exigences.

A vrai dire, ces exigences, dans le droit issu du code civil, remontent au tout début du XXe siècle. Ainsi, dans un commentaire sous un arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence du 22 octobre 1906, M. MERIGHNAC, professeur à la faculté de droit de l'université de Toulouse, soulignait qu'avant d'opérer, le médecin « doit prévenir le malade ou la personne sous l'autorité de laquelle celui-ci se trouve placé et obtenir le consentement de l'un ou de l'autre, en indiquant l'aléa de l'opération. Et la preuve du consentement du malade demeure à la charge du médecin. Il est bien évident que celui qui va subir une opération dans laquelle ou à la suite de laquelle il peut succomber doit être prévenu du danger qu'il va courir ».

L'arrêt TEYSSIER, troisième très grand arrêt de la Cour de cassation après ceux de 1835 et de 1936, affirmait le 28 janvier 1942, en un temps où l'ordre nazi ensanglantait l'Europe et dévoyait les esprits que, sauf cas de force majeure, un chirurgien est tenu d'obtenir le consentement du malade avant de pratiquer une opération et qu'en violant cette obligation, « imposée par le respect de la personne humaine », il commettait une atteinte grave aux « droits du malade », et qu'il engageait sa responsabilité vis-à-vis de son patient en ne l'avertissant ni de la nature exacte de l'opération qu'il allait subir, et de ses conséquences possibles, ni du choix qu'il avait entre deux méthodes curatives.

Malheureusement cette évolution harmonieuse a été rompue - et cette rupture a été très préjudiciable dans les pratiques médicales et l'image de la médecine - au début des années 1950 par la conjonction des prises de position rétrogrades, d'une part, d'un président du conseil de l'Ordre des médecins, le professeur PORTES, qui, dans une communication sur le consentement du malade faite le 30 janvier 1950 devant l'Académie des sciences morales et politiques ne lui reconnaissait qu'une seule « parcelle de liberté », celle de choisir son médecin traitant, et le jugeait « inapte » à recevoir une information sur son état, son consentement étant même qualifié de « mythique », d'autre part, de la Cour de cassation qui a décidé par l'arrêt MARTIN c/ BIROT du 29 mai 1951 de mettre la preuve de l'absence d'information à la charge du patient, ce qui a ruiné l'effectivité des « droits des malades », affirmés par l'arrêt TEYSSIER de 1942. La plupart des commentateurs - et notamment René SAVATIER et Roger PERROT - ont fermement critiqué ce revirement intempestif.

Mais il a fallu attendre une autre double évolution, heureuse cette fois, d'une part, du conseil de l'Ordre des médecins qui, à partir de 1993 et sous l'impulsion de son président, le professeur GLORION - auquel on ne rendra jamais assez hommage -, a lutté pour la reconnaissance du droit à l'information des patients, clairement affirmé et affiné dans le code de déontologie des médecins de 1995, d'autre part, de la Cour de cassation, qui par un arrêt du 25 février1997 a décidé que la charge de la preuve de l'information incombait au praticien. La controverse est maintenant close grâce à la loi du 4 mars 2002 qui a mis en exergue le devoir d'information du médecin et précisé qu'il avait la charge de la preuve (article L 1111-2 du code de la santé publique).

Paradoxalement la santé est aussi malade de ses succès.

A très juste titre plusieurs intervenants ont mis en lumière les considérables progrès qui, en particulier en matière d'anesthésie et sous l'impulsion décisive - qui est un modèle du genre - de la Société française d'anesthésie et de réanimation, ont réduit les risques. De grands progrès ont aussi été accomplis dans la lutte contre les infections nosocomiales, sans même parler de l'amélioration de la qualité des matériels.

Mais ces progrès justement ont leur revers en quelque sorte psychologique qui est « l'inacceptabilité » du risque pour les victimes ou leur famille lorsque, malgré toutes les précautions prises, il se réalise. Les suspicions d'incompétence et de faute sont alors souvent virulentes. La malheureuse affaire Farçat, évoquée lors des débats de ce matin, avait montré que déjà en 1973 la mort d'un jeune homme des suites d'une banale ablation chirurgicale des amygdales avait été jugée intolérable pour ses parents et nécessairement imputable à des fautes. Aujourd'hui l'émotion, notamment dans les médias, serait encore plus vive. Cette affaire pourrait d'ailleurs peut-être illustrer aussi ce que je disais dans le premier point quant aux dangers de consensus trop laxiste sur un type d'intervention, telle l'amygdalectomie d'usage trop courant autrefois et qui est maintenant déconseillée en dehors de quelques types d'affections graves.

Je n'insisterai pas davantage sur cet aspect qui est devenu un lieu commun.

L'aspect positif est que de ces « maladies » de la santé sont nés des améliorations et des enrichissements

L'amélioration de la veille sanitaire, le rôle accru des autorités de santé, comme la récente Haute autorité de santé, ont permis d'améliorer la prévention et d'être beaucoup plus vigilant dans l'élaboration des recommandations de bonne pratique.

Du drame du sang contaminé est né un système qui rend sans doute les produits issus du sang en France parmi les plus sûrs du monde, sauf surprise majeure, mais elle relèverait alors de l'inconnaissable en l'état de nos moyens d'investigation actuels.

La période d'involution qui, à partir de 1950, a marqué les droits des patients quant au respect de leur droit à l'information et au respect de leur volonté et de leur consentement, a provoqué une prise de conscience qui a heureusement guidé le législateur (lois dites « bioéthiques » du 29 juillet 1994, loi du 4 mars 2002, loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de la vie).

Une évolution dans la prise en compte de plus en plus fréquente par le juge administratif et le juge judiciaire des normes déontologiques - qui figurent maintenant dans le code de la santé publique (art R.4127-1 à 112) - favorise un rapprochement entre les deux ordres quant à l'appréciation de la responsabilité des médecins et des établissements de santé. On peut même penser que le juge judiciaire devrait abandonner le fondement contractuel pour revenir au fondement délictuel initial, singulièrement enrichi par les lois déjà citées et par des décrets (les normes déontologiques sur les devoirs des médecins envers les patients notamment, qui suffisent à elles seules pour traiter la quasi-totalité des affaires de responsabilité).

Les difficultés nées d'une mise en cause pénale trop systématique des médecins, dont plusieurs intervenants ont souligné les possibles dangers - mais le droit pénal doit garder une place importante dans les affaires graves - ont été en grande partie résolues par la loi du 10 juillet 2000, dite « loi FAUCHON », très rapidement appliquée par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, dès le 5 septembre 2000, a précisé qu'un médecin qui n'a pas causé directement le dommage d'un patient, mais qui a contribué à créer la situation qui en a permis la réalisation, ou qui n'a pas pris les mesures permettant de l'éviter, est responsable pénalement s'il est établi qu'il a, soit violé de façon manifestement délibéré une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer.

Une nouvelle maladie de la santé...

Je terminerai enfin en évoquant une thématique qui, notamment cet après midi, a fait l'objet d'un large débat, à savoir le coût de plus en plus élevé des soins, conjugué avec l'évolution démographique vers l'allongement de la durée de vie moyenne.

La distorsion entre l'optimum thérapeutique nécessaire pour traiter un patient et son coût trop élevé, tant pour ce dernier que pour le système collectif ou assurantiel de santé, est de nature à soulever des difficultés majeures, sinon des drames, dont la résolution sera sans doute plus difficile que celle des quelques aspects de la « maladie » de la santé qui viennent d'être cités. Le praticien risque, notamment, de se trouver dans une situation délicate au regard de sa responsabilité, comme en témoigne un arrêt rendu le 19 décembre 2000 à propos d'un patient auquel un chirurgien-dentiste avait donné des soins correspondant à ce qu'il pouvait payer alors que les données acquises de la science imposaient dans son cas un traitement différent, mais dont le patient ne pouvait assumer le coût.

L'argent sera sans doute - s'il ne l'est déjà - la plus grave maladie de la santé.