Les étrangers qui se moquent de nos attitudes paradoxales se régalent. D'un coté, le Monde, titre avec gravité: « l'Education nationale ce grand corps malade » ; de l'autre coté, le même jour, le ministre qui a ce malade en charge, se fait le porte parole de ceux qui souhaitent qu'on arrête de poursuivre les consommateurs de cannabis. Comprenne qui pourra que notre éducateur en chef assure ses élèves, déjà difficiles à gérer, de l'impunité, lorsqu'ils se shootent. Pourtant notre philosophe ministre, si maladroit ait-il été, ne manque pas de pertinence en ouvrant le débat sur un sujet qui doit mériter réflexion.
L'exercice est difficile dans la pratique de nos institutions politiques ramenées à un combat de coqs, dixit toujours le Monde, entre les monarques républicains qui se succèdent et les équipes qui les entourent autant préoccupées par leurs images que par leurs devoirs. Lorsque le président s'affiche homme de combat, ses équipes se battent an prenant des sales coups, lorsqu'il s'affiche homme de débat, chacun de ses ministres lance le sien qui lui retombe sur le nez. Le coup médiatique sur le cannabis appartient à ce modèle. Sauf que le brave citoyen qui vit dans le concret du quotidien, qui ne paie pas son pain, ou son Mac Do, avec des coups médiatiques, a le droit d'être inquiet.
Pour le distraire, il faut évoquer la pensée d'un philosophe visionnaire, donc inconnu. Directeur de la police d'un département très IVème République, il avait été mis au placard au début de la Vème. Du fond de ce placard il philosophait en ruminant son amertume d'avoir perdu le bonheur de son job antérieur, le suivi très régulier des deux bordels clandestins de la ville préfecture, lieux de formation aux réalités sociales.
L'être humain, pour lui, était et restait conduit par le sexe, l'argent, le pouvoir, le jeu et la drogue, avant d'ajouter à ces lieux communs : Vous verrez, dans la société de consommation qu'on nous promet, le commerce, les marchands, l'économie, prendront tout en mains, au nom de la liberté. Au mieux le politique tentera de freiner le marché quand il voudra gérer les perversités des hommes. Au pire il y participera jusqu'à ce que la République et l'Etat, fierté des citoyens qui les avaient construits, aient disparus.
Où est-on, 50 ans plus tard, la vision de notre philosophe inconnu ?
Les hypermarchés de la liberté individuelle affichent le bonheur libertaire dégagé de toute responsabilité, dans le sexe, dans l'argent, dans les jeux, avec, partout un bon peu de produits toxiques et de présence politicienne. Alors pourquoi shooter est un acte qui entraine une glorification nationale, alors que se shooter inspire la réprobation ? Peut être par ce que celui qui shoote tire son argent d'un modèle économique reconnu, alors que celui qui se shoote apporte le sien à un marché méconnu qui organise les flux à son seul profit.
Dans le sport spectacle il canalise l'engouement des passionnés, dans la consommation de psychotropes, licites ou illicites, il canalise les angoisses des torturés. Sur ce dernier point soyons lucides. Lorsque le marché international des drogues illicites aura plus d'intérêt à voir leur consommation en France, en salles ouvertes plutôt qu'en semi cachette, l'Etat le tolérera, toujours au nom de la liberté individuelle. Les salles de shoot pourront même être équipées de télés pour voir les matchs et les autres shoots. Notre philosophe visionnaire inconnu avait tout compris.