Quels dysfonctionnements dans la chaîne du risque ?
1ère table ronde : « quels dysfonctionnements dans la chaîne du risque ? » avec M. Philippe LAGAYETTE, président directeur général JP Morgan Chase Bank, M. Michel AGLIETTA, professeur d'économie à l'université Paris X-Nanterre, M. Sylvain de FORGES, directeur des opérations financières de Véolia-Environnement, M. Thierry FRANCQ, chef du Service du financement de l'économie - DGTPE, Mme Catherine GERST, Managing Director EMEA, Financements structurés - DBRS, M. Christian RABEAU, Directeur des gestions - AXA Investments Managers- France, M. Hubert de VAUPLANE, directeur juridique de Calyon
  • M. Philippe LAGAYETTE

Bonsoir à tous. Nous commençons sous les hospices de l'autorégulation ; je ne sais pas si c'est une bonne manière d'entamer ce regard critique sur ce qui vient de se passer, mais nous aurons au moins déjà un fondement optimiste à nos travaux.

La première table ronde est destinée à essayer d'établir un diagnostic, c'est-à-dire voir tout ce qui a dysfonctionné dans la crise qui vient de se produire et qui est encore en train de se produire.

Dans l'intérêt de la brièveté, je ne rappellerai pas à quel point cette crise est profonde ; je crois que personne n'en doute. Notamment, elle n'est pas limitée à un compartiment de marché. Elle ne concerne pas tous les marchés, mais une partie importante d'entre eux, et beaucoup également d'intermédiaires financiers.

Ce n'est peut-être pas une crise systémique ni une crise qui fait apparaître un danger systémique immédiat, mais je crois que l'on peut néanmoins dire qu'elle invite à une réflexion systémique pour plusieurs raisons.

La première - c'est un thème plus général - est que, depuis une quinzaine ou vingtaine d'années, on a beaucoup régulé le secteur intermédié du monde financier, là où il y a les banques, et on a peu régulé le secteur non intermédié qui s'est énormément développé.

Les problèmes qui apparaissent sont peut-être nés en partie dans le secteur intermédié, mais ils se sont très vite transmis au secteur non intermédié. C'est là que sont apparus de grandes fragilités et des blocages, en particulier des blocages de marché.

Il faut donc s'interroger sur l'équilibre que l'on a bien gardé ou pas très bien gardé entre les deux secteurs. N'y a-t-il pas des insuffisances graves dans la surveillance de la solidité du deuxième secteur ?

Le deuxième élément qui invite à une réflexion systémique est la question de la propagation.

Dans le monde financier, il y a toujours un incident quelque part et une tendance à ce que cela se propage. C'est évidemment dans la propagation que réside le danger. En particulier, cela se propage par les mécanismes de la confiance qui sont des mécanismes particulièrement peu rationnels.

Quand l'on constate que ceci se produit, on voit toujours très facilement là où il y a perte de confiance et où, immédiatement, les marchés ne fonctionnent plus.

La question qu'il faut se poser est : est-ce que, dans l'innovation financière telle qu'elle s'est développée depuis une dizaine d'années, il n'y a pas des éléments supplémentaires de fragilité ? Les rouages sont de plus en plus complexes et la solidité de certains rouages peut rapidement être mise en doute : solidité de montage juridique, solidité de l'information donnée.

La question que l'on peut se poser est : l'innovation financière n'est-elle pas, un peu comme un bateau fait pour une régate très bien réglée que l'on fait sortir du plan d'eau pour prendre le large et dont on s'aperçoit qu'il est moins bien équipé ?

Je vais laisser aux membres de la table ronde le soin de donner leurs vues. Nous nous sommes efforcés d'organiser un peu les interventions.

Pour recenser les dysfonctionnements, il faut simplement garder en tête que certains sont certainement des transgressions de règles très traditionnelles, par exemple dans la distribution de crédits ou dans l'attention portée aux problèmes de liquidité qui ont certainement été très négligés depuis une quinzaine d'années.

D'autres dysfonctionnements peuvent être plutôt des malentendus ou des absences d'information qui ont créé des divergences entre les intervenants des marchés.

Ceci peut porter sur beaucoup de choses, notamment sur les mécanismes juridiques, sur les questions d'évaluation et sur l'information donnée.

Je vais d'abord donner la parole à Sylvain de FORGES, qui est maintenant Directeur des opérations financières de VEOLIA-ENVIRONNEMENT. Il a, dans une vie antérieure, exercé des fonctions très importantes à la Direction du Trésor et en particulier à la tête de l'Agence France Trésor et il connaît donc bien les marchés pour en avoir été un praticien.

La question principale que je lui pose est : y avait-il des signaux d'alerte ?

Quels signaux d'alerte ?

  • M. Sylvain de FORGES

Merci beaucoup, Philippe.

Se demander à J + 150 ou 200 dans une crise, s'il y avait des signaux d'alerte à la crise, est, j'allais dire, une grande ambition. Des milliers de pages ont été écrites sur ce sujet, probablement des bibliothèques entières maintenant.

De VEOLIA-ENVIRONNEMENT, qui n'a aucune prétention à la macro-analyse en matière financière, l'environnement est suffisamment compliqué.

Je voudrais simplement donner quelques micro-évidences qui nous ont frappées au cours des dernières années, en tous cas depuis que je suis à VEOLIA, soit depuis maintenant quatre ans. Je ne ferai pas référence aux relations parfois enrichissantes qu'a eu VEOLIA avec les agences notamment dans la période 2002-2004 - je n'y étais pas et je n'en parlerai donc pas -, mais ceci fait néanmoins partie du fond de la culture de la Maison, et j'y reviendrais peut-être dans ma conclusion.

VEOLIA n'est pas au cœur du réacteur, mais certaines anecdotes finissaient par faire un faisceau.

D'abord - je ne le dirai pas devant mon Président -, nous avions tout de même tendance à considérer que les spreads étaient à des niveaux extrêmement bas.

Que les spreads de notre niveau de notation, que je prends comme une donnée, en tous cas que le marché prend comme une donnée, se maintiennent évidemment aussi sereinement, aussi durablement à ces niveaux montrait nous semblait-il à l'évidence - que quelque chose s'était troublé au royaume de la différenciation des risques.

Ceci nous a d'ailleurs permis de faire des opérations dont nous fûmes fort heureux. Je ne prétends pas que les spreads d'aujourd'hui sont les bons ; je n'ai pas dis cela. Je dis que les niveaux de spreads pour des sociétés telles que la nôtre nous ont paru, au cours des trois dernières années, probablement au niveau historiquement le plus bas jamais constaté.

Le deuxième point porte sur le rôle des conventions dans le travail au jour le jour d'un directeur des opérations financières.

Quelques incidents : il y a deux ans, pratiquement jour pour jour, je parlais avec l'un des participants à ce colloque de quelque chose qui faisait notre actualité avec nos juristes, qui était l'adaptation ou la transposition d'une nouvelle convention comptable qui

nous a conduit à nous interroger sur la notion de cash équivalent ou pas cash équivalent, de SICAV de trésorerie dites « dynamiques ».

Dans la deuxième quinzaine de décembre 2005, VEOLIA a vendu toutes ses SICAV de trésorerie dynamique. En application d'un débat qui avait eu lieu sur la Place qui considérait très clairement que ces SICAV ne méritaient pas d'être appelées cash équivalent et ne pouvaient pas venir notamment dans nos états financiers, en déduction de la dette.

Il ne nous a pas beaucoup surpris que, dix-huit mois plus tard, la notion de « dynamisme » dans les SICAV soit remise au goût du jour.

Un troisième point est anecdotique : l'application des conventions comptables nouvelles relatives au traitement des participations minoritaires au capital de nos filiales.

Ce sujet nous a beaucoup occupés, notamment dans nos relations avec les grands partenaires éventuellement multinationaux dans certaines de nos opérations, par exemple récemment en Europe de l'Est, avec une banque multilatérale de développement qui nous a fait l'amitié de venir prendre une participation minoritaire dans une de nos filiales de développement.

Les normes comptables actuelles expliquent que, dès qu'il y a une option de vente, c'est de la dette. Nous avons donc dû convaincre ce partenaire de ne pas demander - ce qui se faisait classiquement – d'avoir un put à l'horizon classique de son investissement put qui n'était destiné qu'à faciliter la rotation de ses propres participations.

Six mois de débat, neuf mois de débats. Nous y sommes arrivés. Cette participation minoritaire n'est pas une dette dans nos comptes. Vu cette expérience qui, sur la base de données publiques, est la réintermédiation de certains outils de la sphère financière dans le bilan de certains intermédiaires financiers, nous,VEOLIA, avons réintermédié.

Ce qui nous a aussi frappé, c'est que, de plus en plus souvent dans nos relations avec nos partenaires, mais ceci est très micro évènementiel, l'argument « confiance » n'était plus simplement rhétorique mais employé à tout propos : "fais-moi confiance. Je ne sais pas te dire, mais fais-nous confiance, je connais untel qui sait, qui m'a déjà expliqué. J'ai déjà oublié, mais fais-moi confiance."

La proportion d'intervenants qui, par cette phrase gentille et totalement amicale (de vendeurs par exemple, au hasard) mobilisent explicitement ce terme pour simplement avouer gentiment qu'ils ne maîtrisent pas le fond, a beaucoup crû au cours des dernières années.

C'est peut-être un effet de l'âge, deux autres choses m'ont frappé. On parle beaucoup d'innovations financières : il y a en réalité des variations financières et il y a de temps en temps, des innovations... Je prends deux exemples que j'ai croisés chez VEOLIA.

Un premier exemple, ce sont les obligations indexées sur l'inflation. J'avais un peu participé au développement de ce type de produits dans le marché de la Zone Euro et j'ai eu le plaisir de convaincre jusqu'à présent le seul émetteur corporate d'en émettre.

Nous sommes tombés sur un débat byzantin - qui n'est d'ailleurs toujours pas résolu dans certaines Maisons - de fonds d'investissements ou de gestionnaires d'actifs qui, n'ayant pas réussi à savoir si une obligation émise par un corporate, indexée sur l'inflation, se plaçait dans le portefeuille des « inflations » ou dans le portefeuille des corporates, décident tout simplement de ne pas en acheter.

On peut se poser la question un jour, une semaine, trois semaines, trois mois. Cela fait deux ans que nous avons émis cela. Cela fait deux ans que je connais un très, très grand fonds qui n'a toujours pas résolu le point de savoir si une émission VEOLIA indexée sur l'inflation se place dans le portefeuille “inflation” ou dans le portefeuille corporate.

La convention peut tuer une innovation. En ce moment, certains d'entre vous le savent, nous finalisons une nouvelle structure financière dans notre propre sein : une société de crédit foncier. Cela a été très difficile, beaucoup plus difficile que je l'imaginais, que nous nous y attendions et que l'attendaient nos conseils. Pourquoi ? C'est un des points auxquels Bertrand du MARAIS a fait référence tout à l'heure : le monde actuel, nous a-t-il semblé, raisonne essentiellement par variation.

Ceci m'amène à ma conclusion. On raisonne par variation. On procède par empilement : quand un objet nouveau arrive, notre premier soin est d'essayer de le raccrocher à quelque chose qui préexiste, quitte à admettre qu'un petit delta fait la différence.

Delta, plus delta, plus delta fait un grand arc.

Nous allons parler de chaîne du risque.

Je vois la chaîne de risque quand un très grand arc en verre part d'un originateur, d'un émetteur, arrivera à l'autre bout. A un moment intermédiaire, cette chaîne en verre, un peu comme un pare-brise, s'est retrouvée sous contrainte, était très curvée, était très tendue.

Un gravillon ou un petit pavé est arrivé et la chaîne de verre a explosé.

Je ne sais pas - et nul ne le saura jamais parce que la chaîne de verre a explosé - si c'était un point de faiblesse spécifique ou en quel point le gravillon a exactement frappé. De notre point de vue, il y a maintenant une distance telle entre les points d'arrivée - que nous voyons nous-mêmes en tant par exemple, qu'investisseurs tout simplement pour passer en trésorerie - et le point de départ - que nous voyons aussi en tant qu'émetteurs ou fournisseurs de la matière première de base de l'activité financière - et un passage par une telle succession d'éléments variationnels que, la plupart du temps, à un bout on a perdu l'autre de vue.

C'est peut-être ce qui nous a le plus frappés dans ces expériences récentes.

Je vais faire de la publicité gratuite pour un autre livre que celui qui nous réunit aujourd'hui qui est un opuscule (c'est le mot qu'emploient ses auteurs) que je lisais ces derniers jours en pensant à cette conférence. Cela s'appelle La société de défiance, écrit par Yann ALGAN et Pierre CAHUC.

Les deux auteurs se basent sur leurs propres travaux et d'autres sur ce thème et l'appliquent à la société française sur le long terme. Ce n'est pas un mauvais ouvrage. En le lisant et en pensant à aujourd'hui, je me demande si un parallèle ne serait pas à faire avec la société financière au moins à moyen terme, la dette financière à moyen terme ; jusqu'au moment où je suis arrivé à la phrase suivante : "la défiance conduit à réglementer dans les moindres détails". Visiblement, mon parallèle n'est pas bon. Ce qui est probablement arrivé à la sphère financière est l'inverse : trop d'attention portée à la suite des détails des variations a peut-être amené, in fine, à la défiance. La défiance, un jour, s'est manifestée.

Permettez-moi, en tant que VEOLIA ex GENERALE DES EAUX, de conclure mon intervention. Nous avons appris la transparence, ce qui, pour la GENERALE DES EAUX, est la moindre des choses.

La GENERALE DES EAUX a envie de quelque chose de plus que la transparence. Nous souhaitons maintenant en plus la limpidité, celle qui fait que, quel que soit le nombre de couches d'eau, on voit encore le fond et que l'on sait encore se repérer.

Merci de votre attention.

  • M. Philippe LAGAYETTE

Voilà une première réflexion. Sans ironiser, je me souviens de quelqu'un qui disait : "seules les eaux peu profondes sont réellement transparentes". Il ne faut pas que le système financier soit fait de la même façon.

J'invite maintenant Thierry FRANCQ à parler. Thierry FRANCQ est Chef du Service du Financement de l'Economie à la Direction du Trésor. Il a, par conséquent, une vue complète de l'ensemble des mécanismes économiques et financiers.

Je l'invite à parler notamment de l'impact des réglementations sur ce qui s'est passé. Les réglementations ont-elles été des garde-fous ou ont-elles facilité des brèches ?

L'impact des réglementations (IFRS, Bâle II...) : garde fous ou brèches dans le système ?

  • M. Thierry FRANCQ

J'essaierai d'être assez court.

Vous avez introduit en indiquant que cette crise est intéressante parce qu'il y a un mélange de choses très traditionnelles et d'autres particulièrement innovantes.

Une question me taraude: pourquoi a-t-on un tel choc? On a signalé les pertes tout à l'heure envisagées liées au subprime mais, finalement, quand toutes les bourses du monde baissent de 1%, les pertes, en tout cas notionnelles, sont d'une ampleur équivalente. Cela ne crée pourtant pas un choc comme nous l'avons connu.

Je viens au premier sujet de la réglementation.

Il ne faut jamais oublier que la source de la crise est, certes, la phase de retournement du cycle du crédit, mais ce n'est pas nouveau : le crédit suit un cycle.

Est apparu à ce moment quelque chose qui, à mon sens, crée un choc de confiance: sur un des marchés les plus traditionnels qui soient, le marché des crédits immobiliers aux particuliers, dans un pays très avancé (les Etats-Unis), on s'aperçoit d'un coup que ce marché a complètement dérapé.

Je pense, au-delà de toutes les autres explications, qu'un phénomène est simple : lorsque l'on est Français par exemple, on considère que l'activité de distribution de crédit est régulée. Manifestement, dans certains pays, ce n'est pas le cas.

Je pense qu'il y a là un choc de confiance.

Bien entendu, le phénomène de titrisation joue aussi son rôle.

Je crois qu'il faut insister sur :

  • Premier élément de réglementation: la sagesse depuis déjà de nombreuses années, commande de réguler la distribution de crédit. Je crois qu'il est temps de le répéter ;
  • Deuxième aspect: cette fameuse chaîne de la titrisation. A l'origine, la distribution de crédit est censée être réglementée, sauf dans quelques pays. Lorsque l'on vend des produits, à la fin de la chaîne, à des institutions, il y a aussi des réglementations.

La difficulté, me semble-t-il, à laquelle nous faisons face, est que, qu'il s'agisse de la réglementation ou des agences de notation, nous avons sans doute le défaut de ne pas suffisamment prêter attention au fait que la réglementation doit en permanence faire appel à la responsabilité des acteurs. Autrement dit, il convient de faire particulièrement attention à ce que la réglementation n’annihile pas la responsabilité des acteurs.

D'une certaine manière, il faut précisément ne pas considérer que les agences de notation, présentées comme des institutions régulatrices, sont des agences régulatrices :elles ne sont qu'un apporteur de service, c'est-à-dire qu'elles apportent une opinion sur des instruments financiers, et cela doit en rester là.

Lorsque l'on parle d'agences de notation et de réglementation, on pense évidemment à Bâle II.

Bâle II sera, me semble-t-il, une amélioration de la réglementation de ces deux points de vue.

Il est vrai que Bâle II permet l'utilisation des notations des agences. Cela dit, la réalité au sein des institutions financières, est que ces notations sont déjà utilisées.

Le plus important dans Bâle II est que, précisément, en tout cas pour les institutions bancaires d'importance, on peut se départir des agences de notation. Il y a même une incitation pour que les établissements de crédit construisent eux-mêmes leur propre système d'appréciation des risques. Cette réglementation, me semble-t-il, commence à être en vigueur et n'est d'ailleurs pas encore en vigueur aux Etats-Unis. Si Bâle II avait été en place avant, peut-être aurait-on réduit les chances d'une telle crise parce que, encore une fois, la réglementation met l'accent sur la responsabilité des acteurs eux-mêmes.

Le deuxième volet est la dispersion des risques et la transparence.

La dispersion des risques n'est pas un phénomène nouveau. Des secteurs financiers entiers fonctionnent fondamentalement sur la dispersion des risques, par exemple l'assurance, la réassurance encore plus. En soi, ce n'est certes pas un mal.

Le problème de transparence que nous avons eu est double.

D'un côté, probablement, une absence ou une insuffisance de la transparence sur certains conduits, SIV (Structured Investment Vehicles) et autres structures.

Une réglementation spécifique qui existe au Japon, me semble être une bonne idée de ce point de vue. La réglementation japonaise indique que toutes les informations confiées aux agences de notation pour noter un produit doivent être rendues publiques. Ce point est intéressant.

Cela dit, encore une fois, il n'y a pas que le sujet de transparence. Il y a un sujet de complexité. L'information ne résoudra donc pas tout.

Le deuxième aspect : la titrisation, la désintermédiation.

Un des éléments importants du choc de confiance n'est pas le fait que la titrisation entraîne une totale désintermédiation, mais que, précisément, on s'aperçoit que ce qui était désintermédié ne l'était pas forcément complètement.

De ce point de vue, des engagements hors bilan de banques ne sont peut-être pas toujours parfaitement appréciés par le marché et, ensuite, des éléments de réputation sont encore plus difficiles à apprécier. La réglementation ancienne des banques ne mettait peut-être pas encore suffisamment l'accent sur ce point. Là aussi, je le signale, Bâle II apporte des éléments importants notamment en termes de transparence sur l'exposition des risques, précisément vis-à-vis de ces véhicules de titrisation.

Pour finir de répondre à la question, le dernier élément de réglementation est bien entendu la gestion du risque de liquidité.

Ce concept de liquidité mérite clairement une réflexion approfondie, une réflexion également sur les normes comptables. Sans entrer dans le détail, il me semble nécessaire d'avoir peut-être une approche un peu plus raisonnée de ce que l'on appelle le marked-to-market, notamment lorsque le market n'est pas vraiment un market...

  • M. Philippe LAGAYETTE

Merci. Nous retrouverons sans doute cette notion de responsabilité plus tard, notamment dans la deuxième table ronde.

Nous passons maintenant à la question des pressions qui s'exercent sur les auteurs: pression des marchés, pression des clients, attente des clients, attente de performances. Tout ceci a-t-il une incidence sur la manière dont les décisions sont prises ? Je me tourne vers M. Christian RABEAU qui est Directeur des gestions d'AXA Investment Managers - France.

Pression des marchés, innovation financière, attentes des clients : la performance à tout prix ?

  • M. Christian RABEAU

Merci, monsieur le président.

Je voudrais très rapidement essayer de donner un témoignage d'un gérant d'actifs et de la façon dont on a pu vivre ces dernières années cette situation très particulière.

La crise est l'aboutissement de quelque chose qui est évidemment né assez longtemps en avance, qui s'est finalement déroulé d'une manière assez classique, comme une crise de marché où l'on vient, au bout d'un certain temps, sanctionner l'excès.

Il me semble que la question posée, au moins dans le titre de cette conférence des agences de notation, n'est vraiment qu'un des derniers points.

Il me semble que les éléments, au départ, qui ont été les plus importants et en tout cas ont affecté aussi bien, je dirais, les offreurs que les demandeurs de prestations financières, tiennent assez largement au fait que l'on a connu une période de taux d'intérêt extrêmement bas.

J'enfonce une porte ouverte en disant cela, car tout le monde le sait, mais il me semble que les comportements des différents acteurs économiques en ont été assez profondément influencés.

Tout le monde a mis en lumière qu'il y a probablement eu des excès de ventes de crédit à des gens probablement peu capables de les rembourser et que ce subprime dont on parle a effectivement poussé certaines personnes à s'endetter là où elles n'auraient pas dû l'être.

Il faut comprendre aussi pourquoi ces gens ont pu rêver. Ils ont connu des taux d'intérêt qui n'avaient jamais existé au cours des cinquante dernières années et ils ont été dans une situation tout à fait exceptionnelle dans laquelle l'argument le plus simple consistant à dire "c'est la dernière fois de votre vie que vous voyez des taux à ce niveau" - c'était le cas en 2000, en 2001, en 2002 - "c'est la chance de votre vie d'acheter une maison, même si vous n'êtes pas très riche et même très pauvre et que vous vivez dans la banlieue de la Nouvelle-Orléans. En tout cas, vos parents, vos grands-parents, vos arrière-grands-parents n'ont jamais eu cette possibilité". Il y a là quelque chose de l'ordre du désir, quasiment irrésistible.

Convaincre quelqu'un qu'il pouvait acquérir une maison là où les générations précédentes n'avaient jamais pu le faire était un élément très fort.

Il y a tout ce qui a été dit des excès des distributeurs de crédit ; tout ceci est assez connu. Il me semble qu'il y a eu de l'autre côté, à cause des taux d'intérêt bas - c'est de cela dont je voudrais dire un mot - des demandes également très importantes de la part des investisseurs, demandes qui ont été en quelque sorte servies avec empressement par les gérants d'actifs, par les arrangeurs, par les banques d'investissement.

Historiquement, nous avons vécu une période où nous les avons pourtant appelés de nos vœux ces taux d'intérêts très bas ! : nous nous souvenons, pour certains d'entre nous, des conditions dans lesquelles M.VOLKER a été obligé de « casser » l'inflation au début des années 80,dans un environnement où les taux d'intérêt atteignaient de 10 à 15%.

Les taux d'intérêt très bas ont effectivement permis cette formidable désinflation, mais ils sont aussi arrivés à un niveau où ils ont créé de vrais problèmes à certains investisseurs. Je pense aux compagnies d'assurances qui, dans certains cas, avaient des taux d'intérêt garantis, évidemment à une autre période où personne n'imaginait qu'un jour le seuil de 4% poserait des problèmes.

Les compagnies d'assurance japonaises ont eu des situations encore plus angoissantes dans les années 80 et 90 puisqu'elles ont dû faire face à des taux d'intérêt quasiment ramenés à 0 quand elles avaient encore des taux garantis à 2 ou 3%.

Il y avait un ensemble de prestataires de services financiers qui avaient besoin d'une certaine rémunération. Quand les taux d'intérêt sont à un niveau trop bas, il y a naturellement une demande de supplément.

Aurait-il été raisonnable de dire : "non, les taux d'intérêt sont à ce niveau et on ne va rien trouver pour vous servir ce supplément"? C'était complètement irréaliste.

Il ne s'agit pas de refaire l'histoire, mais je crois qu'il y a là quelque chose qui est moins visible que l'endettement du malheureux citoyen américain d'une banlieue pauvre dont on a beaucoup parlé. Je crois que des contraintes, qui ne sont sans doute pas de la même nature sur le plan humain mais qui, sur le plan technique, sont très importantes, étaient d'essayer d'avoir un supplément de rendement, pas seulement par avidité, mais aussi par besoin de couvrir certains risques.

Face à cet environnement particulier, un monde nouveau en quelque sorte était en train de s'ouvrir : celui que permettaient la titrisation et la globalisation.

Il y avait à la fois la capacité, par l'utilisation de l'ingénierie financière qui s'est développée à tous les niveaux du marché financier, aussi bien du côté des banques d'investissement que, forcément, des gérants d'actifs qui sont venus apporter ces instruments, que des clients qui ont trouvé après tout, que cela avait l'air bien agréable, que c'était extrêmement diversifié et accessoirement bien noté.

Il y avait là certains environnements et produits qui permettaient d'avoir ce supplément de rendement dont les gens avaient cruellement besoin quand ils ont vu les taux d'intérêt des emprunts d'Etat arriver à 3 % en Europe par exemple.

Toutes les conditions étaient donc réunies pour que des excès soient commis.

Les excès ont été commis par l'élan du marché lui-même, par l'inventivité qui n'avait pas encore trouvé beaucoup de limites, par le fait que cette création s'appuyait forcément encore sur relativement peu de réglementation et qu'il y avait donc la place pour innover.

En innovant beaucoup, il y avait forcément des chances de commettre quelques erreurs, sans pour autant les anticiper avec cynisme, mais en tout cas de ne pas toujours voir jusqu'où on irait dans ce domaine.

Il semble donc que quelque chose se soit déroulé de manière assez classique. Quand l'on regarde après coup toutes ces zones d'excès, on assiste à une situation de marché assez naturelle dans laquelle les produits qui étaient très raisonnablement diversifiés à l'origine - je pense à la fin des années 1990, à 2001, 2002, 2003 - qui étaient très raisonnablement leveraged, c'est-à-dire dans lesquels il n'y avait pas trop de dettes, se sont trouvés au fur et à mesure, sous l'aiguillon de la concurrence et de la performance, déportés vers des limites de plus en plus extrêmes.

On découvre aujourd'hui des produits qui ont des effets de levier bien trop importants. Ce n'est pas nouveau dans les marchés financiers. Quand on a ouvert, si j'ose dire,

la « boîte » LTCM - entendons-nous -, on a découvert l'état du dossier et on a découvert des taux d'endettement et de levier complètement inimaginables, mais qui étaient garantis par à la fois le prestige et la puissance de ceux qui les avaient mis en place.

Quelque chose ressemble à cela aujourd'hui puisqu'il y a du levier de levier de levier. Je veux dire qu'il y a du levier d'abord dans les produits financiers de subprime tels qu'ils ont été arrangés à l'intérieur des CDOs et, dans un certain nombre de cas, des gens se sont endettés pour acheter des structures qui étaient déjà leveraged.

Quelque chose d'assez normal a abouti à cela. Ce n'est pas une raison pour s'en réjouir, mais je pense que cet aspect était intrinsèque à la crise, plus exactement au fonctionnement du marché, et que ces excès ont effectivement été peu contrôlés.

Dans cet environnement, je pense que les agences de notation - que l'on aurait tendance à montrer du doigt aujourd'hui, mais je ne suis pas le mieux placé ni pour les défendre ni pour les juger - interviennent très tard dans ce processus d'accumulation et d'erreurs potentielles, en tout cas d'excès potentiels.

Il me semble, justement sur des produits assez nouveaux comme ceux-ci, qu'il n'était pas toujours facile d'avoir derrière soi le recul suffisant pour les juger puisque beaucoup étaient relativement récents et les process, les méthodes, les modèles utilisés disposaient eux-mêmes probablement d'un recul insuffisant.

Certaines faiblesses dans le système n'ont pas permis de voir suffisamment tôt les zones de faiblesse même si, effectivement, il n'avait pas complètement échappé aux gérants de portefeuilles que les spreads s'étaient considérablement écrasés. Même quand ils étaient très écrasés, je vous assure que les clients préféraient un spread écrasé que des emprunts d'Etat.

Il ne s'agit pas de déplacer la responsabilité sur quelqu'un d'autre. Il me semble qu'il y a là un phénomène collectif. Aucun des éléments à lui tout seul n'aurait créé une crise, mais le fait qu'ils soient rassemblés et qu'ils durent suffisamment longtemps amène effectivement les conditions d'un excès.

La rupture est arrivée là où on ne l'attendait pas : du côté de la liquidité incontestablement.

  • M. Philippe LAGAYETTE

Merci. Tentation et faiblesse, n'est-ce pas une nouvelle illustration de l'adage qui dit que la meilleure manière de se débarrasser de la tentation est d'y céder? (Sourires.)

Je vais maintenant inviter Michel AGLIETTA, professeur à l'Université Paris X, à entrer, si je puis dire, dans le cœur du sujet, c'est-à-dire la manière dont ces montages sont faits et les problèmes spécifiques d'évaluation et de vérité de l'information que cela détermine.

Au cœur du sujet : le problème de l'évaluation et de l'information.

  • M. Michel AGLIETTA

Merci beaucoup. Qu'ont à dire les économistes sur le phénomène ?

Je vais me limiter à cinq points précis.

Rappeler que l'on a affaire à un processus que l'on a appelé une chaîne.

Trois étapes sont essentielles :

  • le pooling des actifs,
  • la structuration en tranches du passif,
  • et le découplage du risque de crédit par rapport à l'originateur.

Ce sont les caractéristiques fondamentales de la titrisation du crédit.

Quelles sont les anomalies possibles qui sont organiques, intrinsèques au processus ?

1- Premièrement, la position des agences.

Il faut bien comprendre que la position des agences par rapport à la notation du crédit structuré n'a rien à voir avec la position des agences par rapport à la notation d'entreprise ou d'une émission d'obligations d'entreprise.

Quand une agence note une obligation corporate, elle n'est évidemment pas partie prenante à la décision d'émettre. Si l'entreprise décide d'émettre une obligation pour faire ce qu'elle veut, elle a besoin d'un label pour savoir à quel prix elle va pouvoir émettre sur le marché. L'agence, avec tous les moyens qu'elle a et avec son analyse de l'entreprise, donne un label: elle ne fait pas partie du processus.

Là, c'est exactement le contraire. Dans le crédit titrisé, la notation est a priori et non a posteriori. Cela signifie que l'agence est co-arrangeur avec la banque d'affaires, car la structuration du passif introduit une transformation totale du risque par rapport au risque de l'actif, c'est-à-dire du pool de crédits mis ensemble.

Ceci est fait par un processus itératif, sinon vous ne pouvez mettre en négociabilité le passif. Il faut avoir une note a priori pour savoir à quelle classe d'investisseur s'adressent telle et telle catégorie de titres. En conséquence, l'agence est conseillère nécessairement - mais c'est organique au processus; on ne peut faire autrement - et évaluateur, ce qui veut dire que l'agence est à la fenêtre et se regarde passer dans la rue. Ceci est absolument intrinsèque à la notation du crédit structuré.

Cela veut bien sûr dire que les conflits d'intérêts sont beaucoup plus importants dans le cas de la notation du crédit structuré qu'ils ne le sont dans le cas de la notation en, disons, standard d'obligations émises par des émetteurs indépendants de l'agence.

L'exacerbation des conflits d'intérêt est évidemment un premier élément important - mais on ne peut faire autrement- dés lors que le crédit structuré est fait de gré à gré. S'il était fait sur un marché organisé, les choses seraient très différentes. C'est certainement une des voies d'évolution possibles.

2- Deuxième caractéristique que les économistes connaissent bien : lorsque vous "originez" du crédit pour le vendre et non pour porter le risque, vous êtes intéressé par le volume, puisque vous gagnez l'équivalent d'une commission, et vous n'êtes pas intéressé par la qualité du crédit. En conséquence - tous les économistes le savent -, ce type de processus augmente les asymétries d'information et l'aléa moral.

L'autre partie de la chaîne est également la même. Les agences disent - ce qu'elles ont le droit de dire en général lorsqu'elles font des notations sur les entreprises - : "Nous donnons une note, nous donnons une opinion, mais le reste de la communauté financière a le droit de prendre ou de ne pas prendre cette opinion ; elle peut avoir d'autres opinions et il peut y avoir une évaluation contradictoire de ceux qui porteront finalement le risque ».

Là, c'est totalement impossible puisque l'agence fait partie du processus qui constitue le produit. En conséquence, elle bénéficie forcément une asymétrie d'information essentielle sur celui qui est en bout de chaîne. Celui qui portera des titres émis sur des crédits qui ont été mis en pool et qui viennent d'une origination dont on ne connaît pas la nature - car, pour l'essentiel, dans le cas des subprime, elles ont été faites par des courtiers qui n'étaient pas réglementés -, comment voulez-vous que celui qui va finalement porter le CDO à la fin ait une quelconque possibilité d'évaluation du risque ?

3- Ce qui veut dire, troisième caractéristique, qu'il est évident que, dans ce cas, ceux qui vont finalement acheter les CDOs sont totalement «pieds et poings liés » vis-à-vis des agences. Ils doivent prendre la note de l'agence ou ne pas acheter le CDO.

Vous êtes donc forcément dans un processus qui met les agences dans une situation beaucoup plus difficile que dans le cas d'une évaluation d'une obligation standard.

Comprenez bien que la nature même de la transformation du risque qui est faite par la titrisation entraîne nécessairement cette asymétrie d'information tandis que, du côté de l'origination et dans la mesure où vous faites du crédit pour le vendre, vous n'avez vraiment pas intérêt à évaluer le risque correctement puisque ce qui vous intéresse c'est le volume des commissions.

Il faut donc une réglementation très forte. Il faut une réglementation du « crédit de marché » aussi importante que celle qui réglemente les banques pour du crédit des banques. Mais on ne le fait pas.

4- Quatrième élément qui paraît essentiel : le problème des modèles d'évaluation du risque.

Quelque chose se passe qu'il faut comprendre. Comment a-t-on pu noter AAA des tranches de CDOs émises sur des pools de RMBS (Real Estate Mortgage Backed Securities) qui contenaient des subprime?

Vous mettez 200 subprimes en pool et vous notez ensuite le CDO en contrepartie AAA. Comment a-t-on pu le faire sachant ce qu'il s'est passé ?

La raison est claire : vous supposez - c'est ce qu'ont fait les agences en l'espèce - que le pool est granulaire, c'est-à-dire que les 200 crédits (pour prendre l'hypothèse en question de 200) sont indépendants les uns des autres. Si vous avez 200 crédits individuels de petite taille et que vous les supposez indépendants, le risque sur le pool est à ce moment très faible. Mais cela veut dire que les agences, dans leur modèle d'évaluation - c'est la même chose pour les modèles bancaires que je connais assez bien - prennent très mal en compte les facteurs macroéconomiques communs. Les agences le disent d'ailleurs : "nous ne sommes pas capables d'évaluer le risque de crédit et le risque de liquidité intégrés".

Or, que s'est-il passé? Ce qui a été fortement sous-estimé, car affecté d'une probabilité extrêmement faible, était :

  1. la remontée des taux d'intérêt,
  2. et surtout la baisse du prix immobilier.

Tous ces crédits étaient soumis à un risque commun puisqu'ils avaient tous l'immobilier comme collatéral. Qu'a fait la baisse du prix immobilier? Elle a accru la corrélation massivement de tous les crédits mis en pool, de sorte qu'au lieu d'avoir un ensemble de crédits granulaires à risque très faible, vous avez eu, d'un coup, un pool de crédits homogènes compromis, avec une perte anticipée pour les banques, pour celles qui portaient encore le risque, qui s'est mise à croître de manière très importante.

Donc, accroissement fulgurant du risque parce que sous-estimation massive de la possibilité d'un scénario qui faisait baisser le prix immobilier.

Je suis persuadé que l'on ne peut comprendre ce qu'il s'est passé au niveau de l'évaluation sauf à faire l'hypothèse que les agences, les banques d'affaires, tous ceux qui étaient dans le processus, ont supposé que les prix immobiliers ne pouvaient pas baisser aux Etats-Unis, car on n'avait en effet pas connu depuis vingt ans de baisse nationwide, dans l'ensemble du pays, des prix immobiliers.

C'est donc un problème de fond : le problème de la nature des modèles qui prennent très mal en compte les facteurs macro-économiques de risque.

5- Le dernier élément est justement le mismatching, le risque de liquidité, qui est tout à fait important.

Qui a acheté finalement ces CDOs ? Ce ne sont pas de gros investisseurs à deep pocket pour l'essentiel. Cela n'aurait pas posé de problème. S'ils avaient eu une masse de liquidité, ils auraient absorbé les pertes.

Ceux qui ont acheté, pour l'essentiel, cela passait par des structures de « conduits » et de SIV- étaient des hedge funds, et en tout cas, des fonds d'investissement très leveraged.

On s'est évidemment retrouvé avec des structures qui achètent des produits illiquides, à maturité longue, en émettant eux-même de la dette à court terme des ABCP, c'est-à-dire du papier commercial adossé qui était lui-même comme des actions au second degré.

Qu'a-t-on alors comme structure? On a, dans le marché, une structure de type « risque bancaire », c'est-à-dire des agents qui sont avec un endettement court et qui achètent des titres beaucoup plus longs et plus illiquides.

Que se passait-il à l'époque où les banques n'étaient pas réglementées de plusieurs manières : supervision, garantie des dépôts et prêteur en dernier ressort. Il se passait des run (mouvements de retraits massifs) sur les dépôts.

Ce qu'il s'est passé dans le marché sur les ABCP est l'équivalent d'un run de dépôts bancaires. En croyant disséminer le risque, en espérant que l'on allait disséminer le risque à de très gros investisseurs munis de liquidité, on a reporté le problème bancaire, qui est le problème fondamental, qui a toujours été le problème du risque de déchéance qui se transforme en risque de liquidité lorsqu'il y a une perte de confiance. On l'a remis dans le marché. On l'a remis dans le marché sans réglementation avec une accentuation qui a été le marked-to-market.

On sait que ce que fait le marché dans des situations de perte de confiance. Regardez les CDOs qui ont été notés BBB : ils ont perdu 80% de leur valeur. 80% de leur valeur n'est pas la valeur fondamentale des CDOs en question parce que cela voudrait dire une probabilité de défaut qui dépasse 25% de la part des ménages à l'origine des crédits.

Or, cette probabilité de défaut, penser qu'elle peut monter jusqu'à 10, 12% est déjà pas mal.

Le marked-to-market est un désastre, bien sûr. Il a fait ce à quoi l'on pouvait s'attendre dans un univers non réglementé : entraîner un effondrement de la valeur d'actif. En contrepartie, un passif est fondé sur des pseudo-liquidités. Résultat : une contagion générale.

C'est l'aspect crucial : on a reproduit dans le marché le phénomène qui faisait sans arrêt problème aux banques. Au cours de cette période, on est revenu quatre-vingts ans en arrière, avant la réglementation du système bancaire.

  • M. Philippe LAGAYETTE

Nous progressons dans l'analyse. Ce n'est pas rassurant, mais il faut tout de même faire ce chemin de croix. Souvent, un chemin de croix est trop long ; je ne vois pas comment nous pouvons nous en dispenser. (Sourires.)

Maintenant, tous ces risques devraient apparaître dans les contrats. Les documents juridiques dans tous ces produits innovants sont extrêmement précis et complexes. Il faut certainement se pencher sur la manière dont la localisation du risque était bien éclairée par les règles juridiques. Je vais pour cela demander à M. Hubert de VAUPLANE, Directeur juridique de CALYON, de nous parler.

Où s'est logé le risque ?

  • M. Hubert de VAUPLANE

Merci beaucoup, monsieur le Président. J'essaierai de ne répondre qu'à une seule question. Cela ne prendra pas une minute, mais peut-être quatre ou cinq...

  • M. Michel ROUGER

Dieu vous entende, mon fils ! (Sourires.)

  • M. Hubert de VAUPLANE

Vous êtes juste au-dessus de moi ! (Rires.)

La question est de savoir si la documentation juridique mise en place est efficace, c'est-à-dire si elle joue son rôle en cas de difficultés, difficultés que nous commençons à voir aujourd'hui.

Que veut dire jouer son rôle ? Cela signifie: peut-on, en cas de contentieux, compter sur la documentation et ce qui est écrit dedans ? On attend généralement d'une documentation que ce qui y est écrit fonctionne. Nous verrons que c'est, bien sûr, assez compliqué.

Il faut d'abord rappeler la raison d'être de la documentation juridique dans les marchés financiers, notamment dans le monde des opérations de marché.

Dans les opérations de gré à gré, il s'agit de standardiser un maximum les contrats et les clauses, car cette standardisation permet ensuite la liquidité, la négociabilité des contrats. Mais il faut aussi garder une flexibilité pour permettre une innovation financière.

C'est la différence entre les marchés de gré à gré et les marchés organisés où les contrats sont standardisés. Il n'y a donc plus de flexibilité contractuelle. Alors que, dans les marchés de gré à gré, on cherche cette flexibilité contractuelle tout en cherchant en même temps à standardiser le plus possible la documentation.

On le verra concernant la documentation des CDOs et globalement de la titrisation : cette documentation est à la fois standard et flexible puisque « le diable est dans les détails »et qu'il n'y a pas deux contrats identiques.

A côté de cela, on cherchait aussi dans la documentation à avoir un mode rédactionnel des contrats qui réponde à ce que j'ai appelé la "course à l'exhaustivité".

La course à l'exhaustivité tient notamment à l'environnement juridique dans lequel les contrats ont été élaborés. Si l'on retrouve le biais évoqué par Bertrand du MARAIS, on sait que ces contrats sont soumis non pas à trois droits, mais à deux droits : celui d'Angleterre et celui de l'Etat de New York. Ces droits de common law, qui ont beaucoup d'avantages, ont une différence structurelle par rapport à nos systèmes : on cherche à tout prévoir à l'avance.

Donc la course à l'exhaustivité est cette approche que l'on retrouve dans les contrats ISDA et plus globalement, dans les contrats de titrisation soumis à ces droits.

Quand on recherche l'exhaustivité, on a des contrats volumineux. Je n'oserais pas demander à la salle qui a déjà lu un contrat de cash CDO. C'est plus de 400 pages !

  • M. Philippe LAGAYETTE

Quelques-uns.

  • M. Hubert de VAUPLANE

C'est ne sont pas 400 pages identiques. Quatre cents pages dans un financement de projet cela se comprend, vu le nombre de dispositions techniques et autres. Il s'agit de quatre cents pages vraiment juridiques, qu'il faut lire car si deux contrats de CDO se ressemblent, c'est comme le Canada Dry : ce n'est pas pareil à l'original.

Cet excès de volumétrie n'est pas uniquement dû, bien sûr, à l'environnement culturel dans lequel ces contrats ont été élaborés, c'est-à-dire la common law et le droit anglo-américain. Elle est aussi due à la complexité des opérations qui ont été évoquées par le professeur AGLIETTA : plus on faisait des opérations à effet de levier, plus cela conduisait à rajouter des couches supplémentaires qui conduisaient à ce que, ici, l'eau soit de moins en moins claire et de moins en moins transparente et qu'il soit de plus en plus compliqué de comprendre.

La difficulté est que, dans le même temps, ce mouvement ne s'est pas accompagné de ce que l'on a vu sur d'autres marchés, et notamment les marchés de dérivés classiques : les associations professionnelles n'ont pas développé de contrats-cadres pour ces opérations. Il existe des contrats-cadres ISDA qui sont désormais assez standardisés, même s'ils laissent de la place à la flexibilité et l'innovation.

Dans les opérations de titrisation, qu'elles soient synthétiques ou non, il n'y a pas de contrat-cadre ; si bien que, quand vous passez d'un cabinet d'avocat à un autre, le contrat est différent, pas dans ses grandes lignes mais dans ses détails.

L'absence de standardisation de ces contrats est l'une des difficultés, qui conduit, compte tenu de la pression dans la mise en place des opérations (même si elles se préparent à l'avance) à éviter chaque fois de « réinventer la roue ». « Eviter de réinventer la roue », c'est le risque - peu connu des économistes mais qu'ils devraient regarder -de la «tyrannie du précédent », c'est à dire: je recopie mon contrat précédent et j'essaie d'adapter, dans la nuit qui précède le closing, les petites choses qui sont différentes. Encore une fois, le diable est dans les détails.

Alors, face à tous ces éléments, que faire en cas d'interprétation divergente d'une clause ? C'est bien la question qui nous est aujourd'hui posée, à nous, juristes.

Quand surviennent les difficultés que vous imaginez dans ce monde, la première chose que nous faisons est de nous replonger, contrat par contrat, dans les 400 à 500 pages pour lesquelles nous n'avons pas forcément la même interprétation. On pourrait se dire que la réponse est dans le contrat. Eh bien, non ! La réponse n'est pas dans le contrat puisqu'il y a divergence d'interprétation ; vous connaissez l'adage "deux juristes, trois interprétations". Il y a forcément des divergences d'interprétation.

Dans ce cas, on se retourne vers les tribunaux et on attend du juge qu'il puisse nous apporter les réponses en se disant que l'on trouvera dans les précédents jurisprudentiels une manière de réfléchir et d'apporter une interprétation légitime de ces contrats. Pas de chance, on voit une divergence aujourd'hui entre les Cours de l'Etat de New York et la Cour de Londres en matière d'interprétation des contrats sur produits dérivés !

La question est toute simple : Faut-il privilégier une approche purement littérale du contrat, quitte à être inéquitable ou faut-il privilégier une approche plus théologique du contrat en cherchant plutôt l'équité ?

Nous avons ici malheureusement une approche divergente entre les cours de New York et de Londres.

A côté de cet environnement contractuel, il y a des gens qui écrivent les contrats.

Cela a été souligné plus tôt par Bertrand du MARAIS, on a parlé des conflits d'intérêt des agences. Il faut de nouveau insister sur les conflits d'intérêt des agences avec les cabinets d'avocat.

Il n'y a pas beaucoup d'agences. Il y a un peu plus de cabinets d'avocats, mais pas tellement plus dans le monde. Les cabinets d'avocats présents dans ces activités ne sont pas dix dans le monde à être véritablement compétents. Dix, c'est peu. Il existe plus de dix arrangeurs dans le monde, plus de dix « CDOs managers », plus de dix investisseurs. Chacune de ces contreparties dans une opération de titrisation prend son propre cabinet. Ce sont donc les mêmes qui tournent d'un côté, de l'autre, d'un côté, de l'autre : conflit d'intérêt réel que l'on peut voir.

Le pire est que lorsque que l'on relit ces 400 pages, on se demande finalement qui les a écrites. C'est incompréhensible, c'est réellement incompréhensible! Si c'est incompréhensible pour le spécialiste, imaginez la tête du juge. Les juges anglais et américains ne sont déjà pas d'accord...

A la question : "la documentation juridique est-elle efficace?", je ne peux finalement vous répondre aujourd'hui : il faut attendre l'épreuve du feu. Ces contrats n'ont pas encore subi l'épreuve du feu ; je ne leur souhaite d'ailleurs pas. Je préfèrerais que l'on trouve des accords transactionnels le cas échéant, ou en tout cas d'autres modes opératoires que d'aller devant le juge.

Merci.

  • M. Michel ROUGER

L'épreuve du feu n'est pas l'épreuve de l'allumette ; ne confondez pas ! (Sourires.)

Nous arrivons bientôt après la dernière intervention celle de Mme GERST, à 18 heures 40.

  • M. Philippe LAGAYETTE

Je ne sais pas si c'est dans l'intérêt d'une bonne compréhension du sujet. En tout cas, le droit ne vous sera d'aucun secours ; vous l'aviez, je l'espère, tous compris.

Nous arrivons maintenant à Mme Catherine GERST qui est Managing Director et donc praticienne de l'agence de notation DBRS. Je vais lui céder la parole pour qu'elle nous parle des difficultés et ambiguïtés du rôle des agences, en soulignant toutefois que tout ce qui vient d'être dit précédemment relativise tout de même - j'espère que cela a été noté - la question du rôle des agences.

Difficulté et ambiguïté du rôle des agences.

  • Mme Catherine GERST

Merci beaucoup. Pour essayer de répondre à cette question j'ai pensé qu'il serait utile de faire un très bref historique.

Finalement, d'où viennent les agences de notation ? Quel est cet objet étrange?

Je voulais rappeler que les agences de notation ont été portées sur les fonts baptismaux par les régulateurs, la SEC au départ. C'étaient autrefois, depuis le début des années 1900, des journalistes financiers qui avaient accumulé des statistiques formidables sur les emprunts d'Etat américains. Au début de la désintermédiation dans les années 70, la SEC aux Etats-Unis a créé ces acteurs d'un genre nouveau («agences de notation ») par la délivrance de ce fameux « sésame » qu'est le statut NRSRO, sans lequel aucune agence de notation ne peut fonctionner ni sur le marché américain, ni - il faut bien le dire - avoir une visibilité dans le monde.

Au départ, elles ont été portées sur les fonts baptismaux comme un outil de la désintermédiation. Cela a également été vrai en Europe.

Si l'on se rappelle par exemple du cas français, les agences de notation ont été invitées en France dans les années 80 par le Gouvernement de Pierre Bérégovoy à une époque où la France a commencé à émettre des emprunts et à placer sa dette à l'étranger. Il s'est aperçu que, pour bénéficier de conditions financières favorables voire de conditions tout court, il fallait être noté.

Sans aller plus loin, je voudrais rappeler que la création des agences et leur internationalisation a été voulue, souhaitée, organisée par l'ensemble des régulateurs, emprunteurs souverains et par tous les autres acteurs de marché, afin d'accompagner le mouvement de désintermédiation.

Sans la présence des agences de notation et leur activité sur ce marché, je ne sais pas si l'ampleur de cette désintermédiation aurait été possible.

Je crois qu'il faut rappeler cela, sinon il est difficile de faire un diagnostic de la situation actuelle, du rôle des agences, de l'ambiguïté et des difficultés de leur rôle, et d'essayer de trouver des solutions potentielles pour améliorer le système.

En caricaturant, on peut dire que les agences de notation sont un outil-clé de la désintermédiation. Ce sont, en fait, les enfants de la désintermédiation. Elles ont servi et elles continuent d'ailleurs à émettre des opinions, des analyses, des mesures de risque de crédit qui, il faut bien le dire, sont restées pendant extrêmement longtemps seules dans leur genre et, finalement, bénéficient et continuent de bénéficier comme l'on dit de track records à ce jour encore inégalés statistiquement.

Une fois que l'on a rappelé cela, cela minimise ce qui a l'air d'être un paradoxe : finalement, il y a eu des crises de plus en plus nombreuses d'ailleurs, de plus en plus fréquentes sur ces marchés désintermédiés depuis leur apparition dans les années 70. Curieusement, on voit pratiquement chaque fois que le mouvement est le même : le rôle des agences de notation est effectivement pointé pour avoir ou trop anticipé et donc créé soi-disant la crise, ou de ne l'avoir pas vue, de l'avoir ignorée et d'avoir été en retard ; et à chaque fois, elles sortent de ces crises renforcées et encore plus puissantes qu'avant.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce qu'a dit M. FRANCQ. Je pense que l'introduction des agences de notation dans le système de Bâle II a plutôt ouvert une autoroute supplémentaire aux agences en termes d'activité, de puissance, de présence, d'opérations potentielles.

Quand cela s'est-il passé ? Cela s'est passé tout de suite après ENRON.

Pour ENRON, on a effectivement montré du doigt les agences de notation, peut-être à juste titre. En même temps, on élabore la réglementation régulation Bâle II par un dialogue entre le régulateur bancaire et les banques, auquel les agences ne sont pas parties prenantes. Les plus grandes banques du monde capables de mettre toutes seules au point des systèmes d'évaluation interne le font effectivement sur leur propre système, mais on observe qu'elles utilisent les notes des agences dans leur système interne...

Pour les autres banques, qui ne seront pas en mesure, parce que trop petites et n'ayant pas les capacités d'investissement suffisantes, de mettre au point leur propre système d'évaluation interne, Bâle II leur impose d'utiliser les notes des agences de notation.

Cela a l'air complètement paradoxal. Pourquoi renforcer le rôle des agences à ce point ?

Point d'interrogation supplémentaire : quand ceci s'est passé entre 2001 et 2003, toutes les agences ont publiquement fait état de leur désaccord avec cette forme « d'instrumentalisation » qui consistait à les introduire encore plus dans la régulation.

Curieusement, comme c'est parfois le cas, elles n'ont absolument pas été entendues. C'était complètement inaudible. Si vous retournez sur le site des agences dans ces années, vous verrez les déclarations des unes et des autres disant : "Nous ne voulons pas être utilisés dans les régulations".

Pourquoi n'ont-elles pas été entendues? Je crois que c'est un phénomène assez classique : quand tout un système, en l'occurrence le système financier, trouve intérêt - dans le bon sens du terme - à une certaine démarche, si quelques acteurs sont en désaccord à l'intérieur de ce système, il leur est pratiquement impossible de se faire entendre.

Tout ceci est-il paradoxal ? Pas forcément. Comme je vous l'ai indiqué au départ, les agences sont les enfants de la désintermédiation.

Avant de passer à la conclusion et à la proposition une question à laquelle je n'ai, bien sûr, pas de réponse: Que se passerait-il si l'on faisait une journée sans agence ? Aujourd'hui, on éteint les écrans Bloomberg, on enlève les notes et les agences ne publient pas pendant une journée, ne "monitorent" pas pendant une journée les marchés de la dette et du crédit, dont l'un des instruments d'évaluation, parmi d'autres et avec tous ses défauts, reste tout de même la notation.

Aujourd'hui, que ce soit de la dette corporate ou de la dette titrisée, peut-on vivre sans les marchés désintermédiés tels qu'ils sont ? Si on ne peut vivre sans, on l'appellera peut-être un mal nécessaire ?

Je ne réponds pas à la question, mais je la pose.

J'arrive à la conclusion. Le thème est « Difficulté et ambiguïté du rôle des agences de notation". Je ne répondrai pas de la sorte. Je dirais plutôt « ambiguïté de l'utilisation qui en est faite par les acteurs qui l'ont, eux-mêmes, créée ». Donc difficulté effectivement depuis le départ pour les agences de notation de fonctionner dans le monde qui les a créées et qu'elles évaluent au quotidien. Oui, c'est difficile, car elles interviennent souvent soit trop tôt, soit trop tard.

A partir de là, vient la question de leur responsabilité : sont-elles « responsables » en particulier de la crise du subprime ? Quelle est l'ampleur de leurs responsabilités ?

Si la question est "ont-elles dysfonctionné ?", je crois que l'on peut y répondre en deux temps.

L'ensemble du système ayant effectivement complètement dysfonctionné, de l'origination des crédits eux-mêmes à leur rachat par des banques, à leur repackaging, personne n'ayant rien vu ou n'ayant pas voulu voir..., les régulateurs eux-mêmes, dont ce n'est pas forcément la tâche au quotidien, n'ayant pas forcément pointé du doigt ces constructions au fur et à mesure de leur développement, les agences ont "dysfonctionné" comme l'ensemble du système. Il est en effet difficile de fonctionner dans un système qui, globalement, dysfonctionne.

A partir de là, ont-elles plus ou moins dysfonctionné que l'ensemble des autres acteurs ?

Je dirais qu'elles ont curieusement plutôt moins dysfonctionné, non pour défendre cette industrie mais pour rappeler qu'à la base, les agences évaluent le risque de crédit et non la liquidité.

Sont-elles capables d'évaluer le risque de liquidité? C'est une vaste question à laquelle je ne sais pas répondre. Je sais dire que leur rôle, leur fonction est au départ l'évaluation du risque d'insolvabilité.

En fait, le risque d'insolvabilité a touché au départ les débiteurs du subprime, mais la crise que l'on voit aujourd'hui est moins une crise du subprime que ses conséquences sur la liquidité de marché. Je crois que l'on avait juste oublié que la désintermédiation suppose, en bout de course, une liquidité, c'est-à-dire des investisseurs, des prêteurs qui, en cas de besoin, sont là pour faire le roll-over du papier commercial ou des EMTN.

On se rend compte alors que l'on n'est pas dans le système bancaire mais que l'on est désintermédié. On est en dehors. Quand il n'y a pas de liquidité, c'est une catastrophe.

Les agences savent-elles évaluer la liquidité ? Je ne sais répondre à cette question. Au départ, leur rôle était d'évaluer le crédit. Elles ne l'ont peut-être pas assez dit, mais c'était leur fonction.

Je terminerai en disant qu'elles ont peut-être dysfonctionné, comme l'ensemble du système. Elles se doivent donc - c'est en tout cas notre position chez DBRS - de participer à toutes les pistes de réflexion sur la restructuration ou l'amélioration du système, notamment de leur propre industrie et y compris sur leur business model.

J'ai entendu, comme l'on entend souvent, qu'il y a conflit d'intérêt parce que, par exemple, sur les prix, ce sont les émetteurs qui payent les agences.

Vous payez votre médecin quand vous êtes malade. On ne dit pas que vous êtes en conflit d'intérêt avec lui ni qu'il fait exprès que vous restiez malade pour continuer à être payé. Etre payé par son client est un système mondialement répandu. A mon avis, le problème n'est pas forcément là pour les agences.

Par exemple, être coté en bourse pour une agence de notation, devrait-il être possible ou pas ? Cette question se pose vraiment.

S'agissant ensuite des règles de fonctionnement interne, de la formation des analystes, la façon dont ils sont évalués, tout cela doit probablement être revu, amélioré de sorte que le Code de bonne conduite (le code des agences de notation) contribue au plus près améliorer ce système, mais - j'ai envie de dire - à l'intérieur d'une amélioration globale du système.

Pour conclure, si tout dysfonctionne, il n'est pas possible pour l'un des acteurs de ne pas en subir les conséquences et également, à la fin, de dysfonctionner lui-même.

Ce sera ma conclusion.

  • M. Philippe LAGAYETTE

J'espère que les autorités ont bien entendu le message. Elles sont confrontées au risque de grève des agences si elles veulent trop réformer, comme tous les gens qui veulent trop réformer trop rapidement. (Rires.)