Lisbonne et le renforcement des droits des citoyens
Cet article examine comment le Traité de Lisbonne a considérablement renforcé les droits des citoyens européens. Vincent Asselineau détaille les avancées majeures depuis l'arrêt Stork jusqu'à la création du Parquet européen, en passant par la Charte des droits fondamentaux. Découvrez comment ces évolutions impactent concrètement la protection des droits des citoyens et ouvrent de nouvelles voies de recours devant la CJUE.

Pour ma part, je serai un peu plus optimiste que les deux orateurs qui m’ont précédé, même si je comprends leurs préoccupations au sujet du manque de clarté que l’on peut parfois reprocher à nos gouvernements.

En tout état de cause, en matière de protection des citoyens, je considère que le Traité de Lisbonne a permis d’énormes avancées qu’il convient d’évoquer.

De l’arrêt Stork au Traité de Nice

Nous avons trop longtemps vécu dans une ère que je qualifierai volontiers de préhistorique et dans laquelle les droits des citoyens étaient à peu près ignorés.

On peut se référer à l’un des grands arrêts de 1959 de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), l’arrêt Stork, par lequel la Cour, alors qu’elle se disait compétente pour appliquer et interpréter le droit de la Communauté, en aucun cas ne se prononçait sur le droit interne des États membres.

La protection des droits fondamentaux a progressivement été prise en compte suivant deux approches.

La première s’attachait à faire référence à des textes non européens, qu’il s’agisse de textes constitutionnels ou de traités.

La seconde consistait à ce que l’Union européenne adopte elle-même des textes sur cette question.

L’Acte unique européen de 1986 faisait référence explicitement aux libertés fondamentales et à la démocratie. Le Traité de Maastricht de 1992 codifiait la jurisprudence de la CJCE en indiquant que l’Union devait respecter les droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire, ce qui constituait une avancée majeure. Le Traité d’Amsterdam de 1997 faisait référence aux principes de la liberté, de la démocratie, des droits de l’Homme et de l’Etat de droit.

Le Traité de Nice de 2001, souvent considéré comme un échec, a été un succès à mes yeux, car il a entériné la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Pour la première fois, il codifiait ces droits fondamentaux en reprenant les droits déjà énoncés par l’Union et par ses institutions, c’est-à-dire la jurisprudence existante, mais également en adoptant de nouveaux droits en matière économique et sociale.

Il faut préciser que déjà ces derniers allaient au-delà de ceux prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH), communément appelée Convention européenne des droits de l’Homme. La seule limite du Traité de Nice était qu’il ne donnait pas à la Charte des droits fondamentaux de force contraignante.

Le Traité de Lisbonne

C’est désormais chose faite grâce au Traité de Lisbonne, dont l’article 6 reconnaît à la Charte des droits fondamentaux la même valeur juridique qu’aux Traités.

Cette charte fait maintenant partie du droit primaire de l’Union européenne et s’impose à l’ensemble des États membres.

À cela s’ajoute le fait que selon l’article 52-2 de la Charte, « Les droits reconnus par la présente Charte qui trouvent leur fondement dans les traités communautaires ou dans le traité sur l’Union européenne s’exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci », et, conformément à l’article 52-3, « Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue ».

En d’autres termes, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de valeur contraignante, reprend non seulement la jurisprudence de Strasbourg mais également toutes les dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme. Dès lors, on peut réellement parler d’une avancée colossale.

Une interprétation large par la CJUE

On pouvait craindre une interprétation restrictive de la Charte, dans la mesure où celle-ci précise qu’elle ne s’appliquait que « lorsque les conflits mettent en œuvre le droit de l’Union ».

Effectivement, en cas de conflit relevant du droit du travail, du droit de la famille ou encore du droit pénal, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, ex CJCE) ne risquait-elle pas de renvoyer au droit interne de chaque État membre ?

C’était sans compter sur le courage et l’allant des magistrats de la CJUE qui, en 2013, ont pris des arrêts de Grande Chambre considérant que relevaient de sa compétence des sujets tels que les délais de préavis en matière de licenciement, ou encore l’application du principe non bis in idem, notamment dans une affaire fiscale bien connue, dans laquelle une personne était poursuivie pénalement et encourait également des sanctions fiscales, l’affaire Melloni.

En outre, par le passé, les citoyens devaient nécessairement attendre d’avoir épuisé toutes les voies de recours avant de s’adresser à la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) de Strasbourg, dont les procédures dites “d’urgence” ne méritaient pas vraiment cette qualification.

Désormais, la CJUE est compétente à la fois sur le terrain de la CEDH et sur son propre terrain, à savoir le droit européen et les directives européennes.

Un citoyen, une entreprise, vous et moi, pouvons maintenant aller devant la CJUE pour des sujets pour lesquels nous devions nous adresser à la CEDH, avec des délais beaucoup plus courts et avec la possibilité de poser en cours de procédure des questions préjudicielles à nos juridictions nationales. La jurisprudence de la CJUE est à cet égard très prometteuse.

Le procureur européen et le Parquet européen

Une autre raison d’être optimiste est que le Parlement européen, dans son écrasante majorité et malgré les eurosceptiques, poursuit la construction européenne. Il vient de créer deux nouvelles institutions judiciaires : le procureur européen et le Parquet européen.

S’agissant du premier, les textes fixent un standard de qualité pour la défense des accusés et des suspects. Ils précisent que le procureur devra se préoccuper de la protection des libertés fondamentales et des droits fondamentaux des citoyens européens. Ceci va permettre à certains pays de l’Union de rehausser leurs normes, notamment sur les voies de recours internes, sur l’aide juridictionnelle ou encore sur le droit à l’interprétation et à la traduction.

Concernant le second, le Traité de Lisbonne prévoit la création d’un Parquet européen à partir d’Eurojust, l’agence européene au cœur de la coopération judiciaire, qui a réalisé un travail remarquable en matière de coordination des actions pénales, mais qui doit maintenant évoluer pour prendre une dimension plus contradictoire. À l’heure actuelle, Eurojust rend ses décisions en matière de compétence ou sur d’autres sujets sans inviter les victimes ou les suspects à donner leur point de vue. Or, il n’y aura pas de confiance mutuelle entre les États membres s’il n’y a pas de dialogue, de transparence et de voies de recours.

<2>La décision d’enquête européenne

Enfin je voudrais évoquer le dernier instrument opérationnel en date, à savoir la décision d’enquête européenne en matière pénale, qui va remplacer les différents dispositifs existants.

Il s’agit d’une sorte de commission rogatoire qui permettra de mener une enquête entre Naples et Bruxelles de la même façon qu’entre Marseille et Toulon. Elle comporte un certain nombre de mesures coercitives sur lesquelles les amoureux du contradictoire, des recours et de la démocratie seront naturellement très vigilants.