Lisbonne et le rapprochement des législations
L'article analyse l'impact du Traité de Lisbonne sur le droit pénal européen. Lorenzo Salazar examine si la suppression du Troisième pilier a réellement favorisé le rapprochement des législations et si les États membres utilisent pleinement les nouveaux instruments à leur disposition. Un bilan mitigé est dressé, soulignant la frilosité des États et le manque d'ambition du Conseil européen, tout en soulevant des questions sur l'avenir de la coopération judiciaire.

Le Traité de Lisbonne a entraîné des modifications substantielles en matière de droit pénal. Pour autant, la suppression du Troisième pilier a-t-elle véritablement correspondu à un nouvel élan vers le rapprochement des législations ? Les États membres ont-ils manifesté la volonté de se servir des nouveaux instruments mis à leur disposition ? Je n’en suis pas sûr. On observe plutôt une réticence de leur part à faire usage des pouvoirs accrus qui leur ont été confiés.

Un bilan mitigé

En matière de reconnaissance mutuelle, le bilan des acquis depuis Tampere est plutôt satisfaisant. Les mandats d’arrêt européens sont utilisés par tous les États membres. Dès que la décision d’enquête européenne sera mise en œuvre, elle constituera un autre outil très intéressant.

Le bilan du rapprochement des législations et surtout de l’harmonisation des procédures est beaucoup plus mitigé. Certains instruments de rapprochement du droit pénal des États membres ont été transformés en directives. Cela concerne des infractions telles que le trafic d’êtres humains, la pédopornographie, la cybercriminalité, mais également les droits des victimes. Il faut aussi saluer les progrès accomplis pour les droits des personnes impliquées dans les procédures pénales. Grâce à la feuille de route adoptée en 2009, plusieurs instruments contribuent désormais aux garanties de procédure, domaine très négligé avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Jamais auparavant les États membres n’avaient réussi à s’entendre sur cette question.

Depuis le 1er juillet dernier, la présidence italienne s’est mobilisée pour faire progresser les travaux sur les directives en matière d’aide judiciaire et de présomption d’innocence. Nous avons également lancé une procédure de coopération pour faire avancer la directive sur les droits des enfants impliqués dans des procédures pénales, et nous espérons que des résultats pourront être obtenus avant la fin de notre présidence.

La frilosité des États membres

En revanche, je me permets d’exprimer des doutes quant à l’abolition effective des « Piliers » suite à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Le titre V du traité, et notamment les dispositions en matière de droit pénal et de coopération policière, admettent encore des particularités nationales. Olivier Tell a rappelé la notion de « frein d’urgence ». Il existe également des dispositions permettant l’adoption de normes minimales dans le secteur de l’harmonisation du droit pénal et de la procédure pénale. Le rapprochement ne doit pas constituer un but en soi, mais certaines expériences récentes, en particulier les négociations concernant la directive sur la protection des intérêts financiers de l’Union, ont révélé à quel point les États membres avaient du mal à progresser dans ce domaine. Alors que la Commission avait proposé, dans l’article 325 du traité, une base juridique très large d’harmonisation, celle qui a été retenue n’impose que l’adoption de normes minimales, ce qui lie les mains du législateur de l’Union. Au total, les négociations n’ont pas permis de véritables progrès par rapport aux acquis de la Convention sur la protection des intérêts financiers de 1995. Il s’en est même fallu de peu qu’elles n’aboutissent à une régression par rapport à cette convention, qui date de près de vingt ans.

Autre exemple : nous attendons depuis deux ans déjà que la Commission établisse un rapport sur la mise en œuvre de la directive sur le crime organisé, ce que l’on peut interpréter comme la volonté de ne pas constater le manque total d’harmonisation entre les États du sud et les États du nord de l’Europe en la matière.

Le « non-programme » du Conseil européen

J’en viens maintenant au programme d’action présenté lors des conclusions du Conseil européen du mois de juin dernier. Pour moi, il s’agit plutôt d’un « non-programme ». L’extrême brièveté du texte traduit la volonté de ne pas délivrer de message clair. Le Conseil a pratiquement abdiqué le rôle que lui confiait l’article 68 du Traité de l’Union européenne, à savoir « définir les orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice ». Les seules orientations émergeant clairement des conclusions de juin sont l’attention portée à une transposition cohérente, la mise en œuvre effective des instruments juridiques et leur consolidation.

Le contraste est frappant par rapport aux conclusions du Conseil européen qui s’était réuni à Tampere, en octobre 1999. Le programme de ce Conseil était à la fois riche et clair, avec notamment le principe de reconnaissance mutuelle, la création d’Eurojust et le mandat d’arrêt européen à l’affiche.

Le texte de juin dernier laisse les mains libres à la Commission, qui va pouvoir légiférer sans être liée par des lignes directrices claires. À titre tout à fait personnel, je m’en félicite, car elle est la gardienne du Traité de Lisbonne et j’espère que la nouvelle commissaire chargée de la politique en matière pénale sera à la hauteur de cette situation.

Bientôt des procédures d’infraction

Par ailleurs, à partir du 1er décembre 2014, la Commission pourra lancer des procédures d’infraction contre les États membres qui n’auront pas mis en œuvre les instruments créés avant le Traité de Lisbonne. Ces mesures vont sans doute contribuer à faire converger les droits nationaux. Pour cela, encore faut-il que soit posé le constat du manque de mise en œuvre et d’harmonisation, par exemple en matière de crime organisé.

Le Parquet européen verra-t-il le jour ?

On retrouve au niveau des gouvernements la même attitude qu’au sein du Conseil européen. Les débats du Conseil des ministres de la justice qui s’est réuni récemment à Luxembourg n’ont pas été très convaincants, notamment en ce qui concerne la volonté effective de mener à bien les négociations sur le Parquet européen.

Tout cela me laisse assez perplexe sur l’avenir de la coopération judiciaire et je vous prie de me pardonner de ne pas vous délivrer un message plus optimiste.