Les mutations de l'entreprise et de son management
Michel Rouger met en lumière les profondes transformations que subissent l'entreprise et son management face à l'évolution technologique, géopolitique et comportementale. Il souligne l'importance d'une adaptation et d'une formation du management pour répondre à ces mutations et garantir la pérennité des entreprises.

Tous les pays du monde - sauf CUBA et La COREE DU NORD ayant rejoint l'économie de marché au cours de la décennie écoulée, l'entreprise de type occidental se trouve face à une obligation de mutation.

Plusieurs circonstances ou évolutions déterminantes ont déjà provoqué ou provoqueront cette obligation incontournable. Les innovations technologiques, les transformations géopolitiques, les modifications des comportements humains, l'altération des capacités de production forment le trio.

Ensemble, elles pousseront, de gré ou de force, les entreprises de grande taille, comme leurs concurrentes ou associées de taille intermédiaire, à faire muter le management de leurs opérations de production, de biens ou de services. Elles doivent en prendre conscience.

I. Les innovations technologiques.

Les « progrès de l'humanité » ont toujours eu pour moteur les innovations technologiques. Jusques et y compris dans les périodes d'enrichissement philosophique et intellectuel, le siècle des lumières, dont le support de développement fut constitué par la phénoménale aventure industrielle qui l'a accompagné.

Les innovations apparues au tournant , entre le second et le troisième millénaire de l'ère chrétienne, porteuses d'une convergence inouïe et inédite entre la télévision, internet et le téléphone mobile, ont réduit quasiment à néant les deux grandes servitudes qui pesaient sur l'humanité depuis des millénaires, le temps et l'espace.

Ces innovations ont donné un caractère mondial, irréversible, à trois éléments essentiels de la vie des hommes, la santé, la finance et, plus récemment le sport. Cette mondialisation, d'une autre nature que celle des marchés, toujours soumis aux tentations de protection, n'a connu que peu de manifestations, mais remarquables par leurs conséquences :les épidémies grippales de 2005 - 2010, le krach financier de 2008, les mondiaux de football de 2002, 2006, 2010.

Les entreprises installées sur les marchés régionaux, nationaux, communautaires ou internationaux sont toutes exposées aux bienfaits, ou aux méfaits, de cette situation. Les bienfaits apparents sont connus :les échanges d'avis, de conceptions, de propositions, de normes, de science, provoquent des débats - voir l'activisme des pays du G 20 - qui aident à la production du principal des bienfaits, la croissance des niveaux de vie. Ils entrainent aussi des méfaits dont les résultats ne sont pas encore perceptibles, le plus insidieux étant les transferts de savoirfaire et de faire - savoir aux profit de nouvelles communautés humaines et au détriment de celles qui ont monopolisé le savoir depuis 3 siècles.

II. les transformations géopolitiques.

Trois phénomènes se sont conjugués à la fin du 20ème siècle pour accélérer ces transformations : l'incapacité du vieux monde européen de se doter des structures politiques qui lui éviteraient de retourner vers ses divisions internes et les conflits ravageurs qu'elles ont provoqués ; l'incapacité du nouveau monde américain de se doter des structures de régulation de son libéralisme financier ; la capacité des grands pays du reste du monde de se doter des moyens économiques et financiers permettant un accès aux décisions dévolues antérieurement aux euro américains.

C'est ainsi que la compétition est engagée, en termes de puissance, entre celles qui sont attachées à un libéralisme de type occidental et celles qui s'installent dans un capitalisme à deux branches, l'asiatique et le moyen - oriental. Cette compétition rude, voire cruelle, est difficilement contournable par les entreprises qui en subissent les effets. Sauf à ce que les Etats jouent la politique de Gribouille de fermeture de leurs frontières.

Cette compétition est d'autant plus incertaine dans ses résultats que les pays compétiteurs disposent de systèmes politiques autoritaires, donc fragiles à terme. Ce qui leur permet de satisfaire un ethno centrisme, parfois revanchard, défavorable, par principe, aux concurrents étrangers dont les dirigeants et leurs opérateurs devront être bardés, non pas seulement des diplômes de leur spécialité, mais aussi d'une très solide culture générale : politique, géopolitique, culturelle et sociétale.

Dans cette compétition il est utile d'observer à quel point la notion même d'entreprise a muté en 20 ans sous l'effet de l'effondrement du système soviétique et du ralliement de la Chine communiste à l'économie de marché. En France spécialement qui a vu des pans entiers de l'économie administrée et des entreprises sous - productives qu'elle contrôlait, rejoindre le secteur productif en changeant de mode de production.

III. les modifications comportementales.

A nouveau les entreprises françaises du secteur libre, à peine sorties des difficultés de l'intégration dans leur milieu de celles de l'économie administrée, à l'égal de ce que les länders de l'Allemagne de l'ouest ont vécu avec ceux de l'ex RDA, se trouvent confrontées à plusieurs défis.

Proches du mode d'administration de l'Etat français, elles ont progressivement subi le mode de gestion de leurs opérations en vigueur dans le monde dominant anglo saxon. Des standards de gouvernance découverts il y a 10 ans, aux normes comptables, aux pratiques fusionnées des bourses, en passant par les conflits d'incohérences entre les droits - écrits ou coutumiers - leur modèle originel est devenu obsolète.

Comme un malheur n'arrive jamais seul, la population active employée dans le secteur productif a muté génétiquement en inversant, certes pour une minorité, mais suffisamment pour poser problème, l'ordre qui voulait que le travail passe avant le plaisir. Il est vrai que les standards de gestion à l'anglo - saxonne, la manie de tout encadrer par des processus fabriqués par des consultants irresponsables, le tabou de la toute puissance des outils mathématiques et des machines qui leurs sont associés, ont contribué à créer cette évolution vers l'individu plaisir et liberté contestant le droit pour l'employeur d'exiger travail et efforts.

Ces modifications comportementales , ajoutées à l'esprit volontiers frondeur du Français , aux difficultés d'intégration des populations migrantes vers tous les pays d'Europe, et au mauvais fonctionnement de l'éducation nationale, entrainent une réelle altération des capacités de production de la « force de travail » des entreprises.

IV. altération des capacités de production

Ce sujet est volontiers tabou, sans autre justification que le rappel du premier devoir des dirigeants de toute entreprise : valoriser la qualité de son personnel .

Trois plaies sont à soigner en même temps, dont le traitement mériterait, pour chacune, une conférence spéciale : la sous - formation de base des « produits » livrés par l'éducation nationale au monde de la production ; l'obsolescence des adultes qui ont vécu les 3/4 de leur carrière sans avoir été confrontés aux évolutions décrites ci-dessus ; la montée d'une incapacité nouvelle, née des addictions en tous genres , des psychotropes et anxiolytiques.

Comme il n'est pas possible de développer chaque sujet, et les conséquences qu'il comporte, il suffit de citer un chiffre sur le seul coût des addictions à l'alcool dans l'entreprise, établi par un prestataire spécialisé dans leur traitement : entre 1,4 et 1,7 % des recettes.

Conclusion

L'accumulation et la conjugaison de ces mutations globales ne trouvera les solutions aux problèmes qu'elles posent que dans le comportement du management de proximité des individus. A condition qu'ils aient été eux mêmes formés à prendre ces mutations en compte, à les comprendre et à les admettre, et qu'ils soient soutenus, sur le long terme par les structures de l'entreprise.

Revenant au tout début de ce propos l'effort devrait porter :

  • sur l'éducation à l'économie financière, ne serait ce que pour briser, par la connaissance, l'opacité dans laquelle elle se complait

  • sur l'éducation aux problèmes de santé , de plus en plus présents dans toute collectivité productive

  • sur les vertus de la pratique de vrai sport d'entreprise, source de réhabilitation d'une activité dénaturée par le sport spectacle.

Il faut reconstruire ce «  middle management » cher aux anglo saxons, non sans ressemblance avec le rôle de sous -officier. C'est lui qui, fera la transition entre le passé et l'avenir mutant, donc développer sa formation, sa connaissance, son savoir.