Les agences de notation et la crise du crédit : conclusion
Conclusion du colloque par Michel PRADA, président de l'AMF et du comité technique de l'OICV et M. Christian NOYER, gouverneur de la Banque de France et membre du Conseil des gouverneurs de la BCE
  • M. Michel PRADA

Bonsoir Mesdames et Messieurs. J'espère que ma voix ne va pas me lâcher en cours de parcours.

Je voudrais d'abord remercier les organisateurs de ce colloque et particulièrement M. Bertrand du MARAIS pour m'avoir invité à un moment particulièrement chaud. C'est une initiative bienvenue alors que le débat sur les agences de notation, qui avait été lancé à la suite des scandales du début des années 2000, est relancé par la nouvelle crise que traversent les marchés financiers depuis l'été dernier.

Je parlerai des agences. Je parlerai moins de la crise. Cette crise a des aspects tout à fait classiques, comme certains l'ont dit tout à l'heure : prise de risque excessive insuffisamment "pricée" comme l'on dit, dans un contexte d’euphorie nourri par une liquidité surabondante et des taux d'intérêt historiquement bas. Mais c'est surtout la vraie première crise de la désintermédiation et du transfert de risque hors du système bancaire. Les opérations de titrisation sont en effet au cœur de la crise dite des "subprime".

Je fais une petite parenthèse ; je ne reviendrai plus sur la crise elle-même. J'avais, il y a quelques années, alerté le Forum de la Stabilité Financière sur les risques qui s'attachaient au développement du transfert de risque hors la sphère bancaire. J'avais prédis à l'époque à mes collègues qu'ils seraient éventuellement confrontés, lorsque la crise exploserait, non pas à un risque financier mais à un risque politique. Je pensais à l'époque que les investisseurs qui avaient acheté ces produits, furieux de les voir devenir défaillants, descendraient dans la rue.

Une des choses les plus frappantes du phénomène que nous analysons aujourd'hui est qu'en réalité cette crise du transfert de risque hors le système bancaire est devenue une crise bancaire. On pourrait réfléchir sur ce sujet. J'imagine que le Gouverneur a, là-dessus, des idées beaucoup plus approfondies que les miennes.

Je reviens à la problématique centrale de notre sujet.

Parmi les nombreuses interrogations que soulèvent ces événements, la question du rôle des agences de notation dans les processus de titrisation et dans l'évaluation du risque de crédit des véhicules de titrisation est semble-t-il, à l'évidence, posée.

Si la nature de la notation est, dans l'ensemble, identique pour les sous-jacents des financements structurés et pour la dette des entreprises, on l'a dit tout à l'heure, le rôle et l'approche de l'agence sont en fait très différents dans les deux cas: dans le cas de la titrisation, le processus de notation fait partie intégrante de la structuration du produit, la notation n'est plus le constat ex-post d'une situation donnée mais l'objectif fixé ex-ante d'une entité à créer.

En outre, et compte tenu de la complexité des produits, un grand nombre d'investisseurs se sont largement reposés sur l'analyse réalisée par les agences au-delà, sans doute, de ce qui eut été raisonnable, compte tenu de la portée réelle de leurs évaluations.

Enfin, la brusque mais tardive dégradation des notations des produits de financement structuré a placé les agences au centre des débats. Il n'est d'ailleurs pas exclu, au moment où nous parlons, que de nouvelles dégradations puissent intervenir dans le secteur immobilier ou ailleurs, y compris sur des entités ou des tranches d'opérations non touchées jusqu'à présent.

J'ai déjà eu l'occasion de dire publiquement, et je le refais aujourd'hui, que s'il est légitime de s'interroger sur le rôle et sur le comportement des agences, il serait en revanche tout à fait excessif d'en faire les boucs émissaires d'une crise dont les origines sont multiples et mettent évidemment en cause l'ensemble du système financier.

Je suis d'autant plus à l'aise pour tenir ce propos que la COB a été, depuis la fin des années 90, l'un des plus actifs régulateurs de marché pour souhaiter que les agences de notation fassent l'objet d'une analyse, sinon d'une régulation, plus approfondie que celle qui prévalait jusqu'à récemment.

J'étais, à dire vrai, minoritaire sur ce sujet, aussi bien à l'OICV qu'au sein du Comité Européen des Régulateurs de marché, comme je l'étais d'ailleurs en matière de normes d'audit jusqu'à l'affaire ENRON.

Il aura fallu qu'éclate la crise de 2000-2002 pour que l'OICV se saisisse du sujet, et que soit mise en place une Task Force ad hoc, enfin acceptée par nos amis de la SEC et d'ailleurs pilotée par elle.

C'est également l'AMF qui, dès son rapport de janvier 2006 sur les agences, a posé pour la première fois, et donc bien avant la crise récente, la question du rôle des agences dans la notation des produits structurés, et notamment de leur place centrale dans la construction de ces produits, les limites potentielles des modèles des agences au regard de ces produits, la signification et la comparabilité de leurs notations ainsi que la nécessité d'éléments d'information complémentaires en matière de volatilité ou la sensibilité des notes attribuées.

C'est donc avec beaucoup de sérénité que j'aborde aujourd'hui le sujet de notre colloque et que je vous présente une analyse du sujet que je crois mesurée, avant d'évoquer les travaux en cours au sein des organisations internationales de régulateurs de marché.

Trois types de questions me semblent posées dans le cadre d'une réflexion sur le rôle des agences dans la crise en cours. Elles l'ont été tout à l'heure et je les rappelle brièvement :

  • premièrement, la question de la lisibilité des décisions des agences au regard du type de note qu'elles attribuent et de leur motivation vis-à-vis du marché et des émetteurs. Cela concerne notamment les éléments qui ont conduit à la notation ainsi que les changements de méthodes et de notation ;
  • en second lieu, la question des conflits d'intérêts potentiels qui pourraient survenir à la fois du fait de la concentration des opérations de titrisation entre quelques grands établissements financiers et quelques grandes agences pour lesquelles la notation des produits structurés représente, depuis peu, la moitié du chiffre d'affaires et aussi en raison des services annexes que certaines agences peuvent proposer ;
  • enfin, la question de la portée réelle et de la signification de la notation en matière de produits structurés et de titrisation. D'aucuns ont ainsi mis en cause l'ambiguïté d'une symbolique identique, comme un AAA, appliquée à des instruments aussi fondamentalement différents qu'une obligation du Trésor américain et une tranche senior d'un CDO de la catégorie la plus complexe, au regard, notamment de leur liquidité et de leur sensibilité aux évolutions de marché.

Ces questions sont au centre des préoccupations des organisations internationales qui rassemblent les régulateurs des marchés financiers. Les agences font d'ailleurs depuis quelques années l'objet d'un monitoring de la part de ces organisations.

A la suite des scandales financiers des années 2000 et 2001 aux Etats-Unis et 2003 en Europe, l'OICV a ainsi engagé une réflexion sur le rôle des agences de notation, qui a conduit à élaborer un code de conduite.

Ce code, qui traite en particulier de la question des conflits d'intérêt, de la rémunération des agences et des activités connexes a été rédigé en concertation étroite avec les agences de notation. Sa mise en œuvre effective repose sur elles. Elles se sont engagées à publier chaque année un rapport sur la manière dont elles respectent ses dispositions.

Le Code de conduite oblige ainsi les agences à incorporer dans leurs propres codes les dispositifs nécessaires et à rendre compte de leur effectivité selon la méthode dite du "comply or explain".

Depuis lors, l'OICV analyse la mise en œuvre de ce Code, il est vrai principalement conçu au regard d'une activité classique de notation de dette "corporate" ou publique.

Ce Code, qui a été reconnu par la Commission Européenne, fait également l'objet d'un suivi de son application par le Comité Européen des Régulateurs de marché.

Sur la question plus récente et plus particulière de la titrisation, le Forum de la Stabilité Financière, relevant dans ses analyses les risques posés par l'attrait pour les produits de titrisation en raison de leur capacité à fournir des rendements plus élevés que les produits de taux classiques, et retenant également les conclusions du rapport produit par l'AMF en 2006, a demandé à l'OICV et au Committee on Global Financial Stability (CGFS), lors de sa réunion de mars 2007, d'examiner le rôle des agences de notation dans le cadre des financements structurés.

La Task Force de l'OICV et le CGFS doivent ainsi se pencher sur la pertinence des modèles utilisés par les agences pour évaluer les risques relatifs aux produits financiers structurés et s'interroger sur d'éventuelles modifications à apporter au Code de l'OICV. Leurs premières conclusions devraient être rendues en février 2008. Les travaux de l'OICV et du CGFS contribueront ainsi au rapport du Forum de la stabilité financière sur la crise qu'il rendra au prochain G7, en avril 2008.

Pour conclure, je voudrais aborder la question très controversée de la régulation des agences.

Sur la base d'un avis de CESR (le Comité européen des régulateurs de marché), la Commission européenne a indiqué, en mars 2006, dans sa communication sur les agences de notation qu'elle n'estimait pas nécessaire une initiative législative spécifique.

Elle considérait en effet que les principes généraux retenus par la législation financière de l'Union européenne, applicable aux agences de notation comme à des entités généralement quelconques, associés à l'autorégulation que les agences développent sur la base du Code de l'OICV, fournissent une réponse appropriée aux problèmes soulevés par le Parlement européen dans sa résolution de février 2004.

A cette époque, j'avais personnellement souhaité, sans succès, que le CESR propose un processus d'enregistrement des agences les conduisant à un reporting minimal auprès des régulateurs.

En septembre dernier, le Commissaire européen, Charlie McCreevy, dans une lettre adressée au Président du CESR, a réouvert le débat en demandant que ce comité, à l'occasion de son deuxième rapport sur les agences de notation, se penche sur un certain nombre de points, en particulier sur la manière dont sont traités les produits de titrisation.

Même si les agences sont des entités privées, la place éminente qu'elles ont acquise au sein du système financier a amené un certain nombre d'autorités de régulation à réfléchir à des modalités nouvelles de supervision. Je pense en particulier à la mise en place de nouvelles procédures et exigences pour la délivrance du statut de NRSRO aux Etats-Unis en 2007, suite au Credit Rating Agency Reform Act de 2006, alors même que les autorités américaines avaient jusqu'alors manifesté une grande réticence à l'égard de toute innovation réglementaire en la matière.

Ainsi, l'obtention du statut de NRSRO est dorénavant assortie d'un certain nombre d'exigences d'information que les agences doivent produire à la SEC, notamment dans le domaine des méthodologies utilisées.

Par ailleurs, la SEC est habilitée à contrôler les agences en termes de préservation de la confidentialité des données auxquelles elles ont accès, à exiger la mise en place de procédures contre l'usage abusif d'informations confidentielles, à demander aux agences de divulguer les risques de conflits d'intérêts et à obtenir des informations sur la robustesse dans le temps des notations délivrées.

Je constate par ailleurs que des réflexions similaires sont en cours en Asie. La question doit donc être aussi posée en Europe: faut-il aller au-delà de la simple autorégulation pour s'orienter vers une régulation plus formelle, basée sur un enregistrement, avec, par exemple, des exigences en matière de production d'information périodique par les agences aux régulateurs ?

S'agissant du contenu d'une éventuelle régulation, il convient à mon avis de faire preuve de circonspection. Vous ne serez pas surpris s'il n'y a pas l'épaisseur d'un papier à cigarette entre le Secrétaire général de l'AMF et le Président de ladite autorité.

Je ne pense personnellement pas que les régulateurs doivent empiéter sur la technique même de la notation, car cela soulèverait un problème sérieux d'aléa moral. Ce serait aussi une démarche peu conforme à l'esprit de liberté et de responsabilité qui est à la base d'une économie de marché.

Dans tous les cas, la mise en place d'un schéma de régulation ne pourrait en outre être que commune avec les régulateurs prudentiels qui ont déjà la compétence et l'expérience de la délivrance du statut d'Organisme d'évaluation externe de crédit (OEEC) qui a été récemment introduit dans le cadre de la mise en place de Bâle II.

J'aperçois en fait trois domaines où des progrès pourraient être accomplis sans mettre en cause la liberté de jugement des agences :

  • la gestion appropriée des conflits d'intérêts potentiels qui peuvent apparaître au sein des agences, du fait de leur modalité de rémunération, comme du développement des activités dites "annexes", dont il importe de bien appréhender ce qu'elles comprennent ;

J'entends que les agences se défendent de vivre de tels conflits d'intérêt. L'apparence suffit à poser le problème et à nécessiter qu'on le traite.

  • la transparence des décisions des agences au regard du type de note qu'elles attribuent, notamment concernant les éléments qui ont conduit à leur décision, ainsi que des modalités de mise en œuvre de nouvelles méthodologies ou de changements des méthodes existantes;
  • enfin, eu égard, à l'innovation permanente des marchés financiers et à la complexité croissante de certains produits financiers, une réflexion sur les limites potentielles des modèles des agences, la signification et la comparabilité des notations, ainsi que la nécessité d'éléments d'information complémentaires en matière de volatilité ou de sensibilité des notes dans le domaine particulier des financements structurés.

Au plan de la qualité du dialogue entre les agences et les régulateurs, je note enfin, et depuis de nombreuses années, que cette profession, dont beaucoup souhaitent qu'elle s'élargisse et se diversifie, est sans doute la seule dans l'univers des marchés à ne pas avoir d'organisation professionnelle.

Je plaide depuis longtemps pour que cette profession s'organise, dans le strict respect, bien entendu, des règles de la concurrence. Sur cette base, le dialogue sur les méthodes et leurs standards déontologiques pourrait se dérouler de manière plus efficace et moins ambiguë, comme c'est aujourd'hui le cas dans le domaine de la comptabilité et de l'audit.

Loin d'élaborer une réglementation tatillonne ou inutilement pesante, il s'agit donc de mettre en place un cadre qui réponde aux défis du métier particulier de la notation, vu son rôle central dans les marchés, et surtout permettre, dans l'intérêt de tous, de contribuer à un pilotage global efficace d'un système financier chaque jour plus complexe.

Je vous remercie.

  • M. Michel ROUGER

Monsieur le Président, grand merci !

Le moment est venu de passer la parole à M. Christian NOYER qui est Gouverneur de la Banque de France et, en cette qualité, membre du Conseil des Gouverneurs de la Banque Centrale Européenne. Je vous donne la parole.

  • M. Christian NOYER

Merci beaucoup.

J'ai un grand plaisir à venir à la fin de cette journée de votre colloque. C'est un défi un peu difficile, je dois dire, que de parler après le Président de l'AMF Michel PRADA, parce que j'ai l'impression d'abord qu'il a tout dit et ensuite qu'il a dit beaucoup de choses que j'aurais pu dire. Je vais essayer de faire rapidement quelques remarques complémentaires, et peut-être y verrez-vous quelques nuances mais, je l'espère, pas de divergences.

Les agences de notation font l'objet aujourd'hui, à cause des turbulences financières, de nombreuses critiques. Mon propos n'est pas, pas plus que ne l'a fait Michel PRADA, d'entrer dans ce débat, mais plutôt de présenter quelques réflexions sur le processus de notation lui-même, sur les voies d'amélioration possibles que je vois à la lumière notamment des évènements récents.

D'abord un peu de mise en perspective, si vous le permettez.

Une fonction essentielle des marchés financiers est de collecter et de traiter l'information. C'est l'information qui permet d'évaluer le rendement et le risque des différents actifs, donc de former leur prix et plus généralement de prendre les décisions d'investissement et de financement.

Le processus par lequel l'information est incorporée aux prix est un processus complexe. Les agents économiques n'ont pas tous le même accès aux données et aux capacités de traitement.

Il existe donc sur les marchés des asymétries d'information qui sont à l'origine de défaillances bien connues et très bien identifiées par la littérature économique : la sélection adverse (par laquelle les investissements de moindre qualité trouvent plus aisément à se financer que les "bons" projets) et l'aléa moral qui incite à la prise de risques excessifs.

Mais surtout, l'information est coûteuse à collecter, coûteuse à traiter. Il n'existe aucune incitation, pour les divers investisseurs, à engager ces coûts s'ils pensent que d'autres s'en chargeront et assureront ainsi l'efficience du marché.

Quand les banques assurent l'intermédiation financière, elles collectent et traitent l'information relative à leurs emprunteurs à travers la relation de clientèle qu'elles entretiennent avec ces clients. L'intermédiation bancaire est donc une réponse au problème des asymétries et de l'accessibilité de l'information.

Mais, sur un marché titrisé, qui met en relation directe les emprunteurs et les prêteurs, cette réponse n'existe pas. C'est la raison pour laquelle, je crois, est apparue la notation, c'est-à-dire une technique qui permet à tous les opérateurs de disposer conjointement d'une information simple, lisible et synthétique sur le risque de crédit attaché aux diverses classes et catégories d'instruments financiers.

L'activité de notation s'est naturellement développée en parallèle à celle des marchés obligataires, des marchés de titres en général. Tous les grands émetteurs sont

aujourd'hui notés par une ou par des agences de notation. C'est pour eux une condition sine qua non pour élargir leur base d'investisseurs.

La notation accompagne le développement de grands marchés liquides, profonds et internationaux. Elle est une condition et un support du bon fonctionnement de ces marchés.

La titrisation, telle que nous la connaissons aujourd'hui, qui est à la base de l'activité ou d'une grande partie de l'activité financière nationale et internationale, serait, je crois, impossible sans la notation.

Un pas supplémentaire a été franchi avec le développement des produits structurés. Les agences ont trouvé là un rôle qui dépasse largement celui de fournisseur d'informations parce que la notation est partie intégrante de la conception et de l'ingénierie financière de ces produits. Elle détermine la taille des tranches et les niveaux de subordination.

La notation des produits structurés n'est pas une moyenne des notes des titres sous-jacents, en particulier pour les CDOs. Elle dépend de la corrélation entre le rendement des différents titres et l'effet de levier créé par la structuration.

Les agences fournissent les méthodes et les modèles qui permettent d'évaluer les risques et leur corrélation. Elles imposent les caractéristiques (de liquidité, de rehaussement de crédit) auxquelles doivent satisfaire les véhicules de titrisation pour pouvoir émettre. D'intermédiaires, elles sont désormais devenues des quasi-régulateurs de la titrisation. C'est une extension de leur rôle et de leurs fonctions qui leur vaut désormais d'être rendues responsables des excès, des dysfonctionnements et des turbulences qui affectent depuis trois mois les marchés de produits structurés.

Je l'ai dit tout à l'heure, il ne s'agit pas aujourd'hui d'attribuer des responsabilités, encore moins de distribuer des blâmes, mais l'on doit constater que la notation des produits structurés a été à l'origine d'un immense malentendu entre certains investisseurs et les agences. A ce malentendu, on peut trouver deux sources.

La première, la plus fréquemment mentionnée, tient à la confusion qui s'est opérée sur le contenu même de la notation ; Michel PRADA y a fait allusion il y a un instant.

Les agences se considèrent responsables du jugement sur le seul risque de crédit, tandis que beaucoup de gestionnaires, notamment de fonds de placement court terme, ont pensé trouver dans la notation une protection plus globale couvrant l'ensemble des risques, notamment de liquidité, qui affectent leurs placements.

Naturellement, on peut estimer que ces gestionnaires étaient ou auraient dû être informés de la vraie nature de la notation, mais on ne peut nier que leur aspiration est naturelle. Le bon fonctionnement et la fluidité du marché reposent, rappelons-le, sur la disponibilité pour tous d'une information claire, lisible et synthétique sur tous les paramètres qui affectent le couple rendement-risque des actifs. C'est d'autant plus vrai pour les investisseurs dans les tranches AAA.

A l'inverse des investisseurs dans les tranches risquées, qui sont théoriquement plus sophistiqués, ceux-ci n'ont pas les incitations, du fait de la relativement faible rémunération des produits, à analyser en détail la nature et la sensibilité des notations. Ils sont donc plus dépendants des agences de notation.

En outre, la confiance dans la notation a pu être encouragée par les dispositions réglementaires et prudentielles qui se fondent sur elle et pour encadrer les stratégies et décisions de placement des organismes qui recueillent l'épargne publique.

Une deuxième source de malentendu, que Michel PRADA a évoqué plus longuement, tient à la métrique utilisée pour noter les produits structurés.

Celle-ci est identique, dans sa présentation, à celle utilisée pour les produits obligataires classiques. Or, il s'agit de deux univers différents.

L'attribution d'un AAA pour un CDO n'emporte pas les mêmes conséquences qu'un AAA d'une obligation corporate ; sans parler d'une obligation de treasury, mais corporate est la bonne comparaison.

Le profil de risque est différent. La volatilité potentielle d'un AAA structuré, en particulier, est très supérieure à celle d'un AAA classique pour un choc, toutes choses égales par ailleurs, de même ampleur.

Les produits structurés sont construits sur des corrélations et des effets de levier. Il suffit qu'une des tranches risquées soit touchée par un défaut pour que la valeur et la notation des autres tranches soient affectées par contagion, leur niveau de subordination ayant tout simplement diminué.

De toutes les classes d'actifs, les CDOs sont celles dont les notations sont les moins stables dans le temps. A l'extrême, un CPDO noté AAA a récemment été dégradé de 9 crans en un seul jour.

Pour les investisseurs, la notation AAA était jusque-là associée à un investissement stable. Il est clair désormais qu'il existe des AAA stables et des AAA moins stables, ce qui diminue considérablement la lisibilité de la notation.

On ne peut s'empêcher à ce stade de penser qu'il eut été plus simple, peut-être meilleur d'adopter une métrique spécifique aux produits structurés et que, ce faisant, on aurait peut-être évité beaucoup des incompréhensions qui sont à l'origine des turbulences actuelles.

A partir de ces quelques réflexions, peut-on trouver une inspiration pour l'avenir, des idées d'orientation pour l'avenir ?

Il y a, me semble-t-il, deux obstacles symétriques à éviter.

  • Le premier serait de continuer comme avant, avec quelques modifications marginales du système existant. Les perturbations enregistrées depuis trois mois et leurs conséquences potentielles sur l'économie réelle sont trop importantes. De plus, la notation est appelée à jouer un rôle central dans la mise en œuvre de Bâle II, qui reposera sur un calcul plus fin des risques, notamment par la promotion des modèles internes, mais aussi sur une référence plus fréquente à la notation externe.
  • Une seconde erreur - je le dis avec prudence; je ne voudrais pas que vous considériez que j'ai une position totalement inverse que celle que M. Michel PRADA vient de présenter - serait de nous précipiter dans l'adoption d'une réglementation éventuellement détaillée de l'activité de notation. Je n'exclus pas, on ne peut exclure à terme qu'une telle réglementation s'avère nécessaire. Après tout, l'information est un bien public et les agences de notation sont des fournisseurs de ce bien. Mais la nécessité d'une réglementation additionnelle n'est pas démontrée aujourd'hui.

Je crois que cela ne veut pas dire que ce que les Etats-Unis par exemple ont mis en place eux-même ne doive pas être mis en place en parallèle en Europe. C'est ce que Michel PRADA a notamment souligné. De la même façon, on peut imaginer creuser un certain nombre de pistes qu'il a évoquées comme l'enregistrement, le reporting, l'organisation professionnelle, etc. De nombreuses choses sont à creuser. Je crois que, d'une façon générale, il faut réfléchir au contenu des améliorations possibles.

Je citerai trois pistes parmi d'autres, et je serai beaucoup moins complet que l'a été le Président de l'AMF.

La première est une plus grande transparence des méthodes de notation et de l'ensemble du rôle des agences dans le processus de titrisation.

Une différenciation marquée des métriques entre notations obligataires et structurée, qui permettrait au marché de restaurer un certain degré de confiance dans les notations. Je vois ici deux possibilités, qui peuvent être cumulées : soit adopter une autre échelle de notation pour les produits structurés (avec un autre symbole par exemple), soit compléter la notation de crédit par une mesure ou des additionnelles, notamment sur sa volatilité en période de stress de marché ou de stress de liquidité.

Enfin, je crois que l'on devrait mettre en place une notation spécifique du risque de liquidité. Je sais que les agences y réfléchissent malgré la difficulté de l'exercice. Des concertations sont conduites au sein des groupes internationaux. Michel PRADA les a longuement évoquées, à l'instar du Forum de stabilité financière, des groupes de régulateurs de marché, des groupes de banquiers centraux dans lesquels la Banque de France est activement impliquée.

Nous souhaitons que ces concertations permettent de restaurer le système de notation dans son intégrité, compte tenu de son rôle que je crois -je vous l'ai dit en commençant - irremplaçable dans le développement et le fonctionnement des marchés financiers modernes.

Voilà ce que je souhaitais évoquer. Je vous remercie de votre attention.

  • M. Michel ROUGER

Merci beaucoup, Monsieur le Gouverneur. Merci à tous les intervenants, à tous les participants à cette réunion, et merci aussi, bien évidemment, au Cercle France-Amériques qui nous a accueillis dans ses locaux qui ont été rappelés comme étant fort splendides. Bonnes fêtes de fin d'année à tous et peut-être à l'année prochaine !