Le Sport : Or, Argent et Plomb
Michel Rouger plaide pour une gouvernance transparente et responsable du sport afin de préserver son intégrité et de garantir son développement durable. Il analyse la valeur intrinsèque de l'activité physique (l'or), la croissance économique qu'elle engendre (l'argent), et les dangers potentiels de la commercialisation excessive (le plomb).

Le sport, fonderie humaine aux centaines de millions d'ouvriers, produit le seul alliage qui peut fabriquer le plus vil des plombs, en mélangeant deux métaux précieux, l'or et l'argent.

La valeur or.

Une pièce d'or à deux faces, comme le sport. Le côté pile attire le sportif cérébral, à comportement égo centré, qui vit son sport dans sa personne, comme le vit le millénaire marcheur de Compostelle, l'explorateur des pôles, le grimpeur des cimes, et le navigateur solitaire. Ces grands sportifs trouvent l'équilibre entre les muscles qui les portent vers le résultat, et ce super muscle, le cerveau dont les activités cérébrales, les guident vers le but. Montaigne a déjà vanté l'intérêt de cette dualité.

Le côté face attire le sportif physique, à comportement ethno centré, qui vit son sport dans son groupe, qu'il idéalise dans le fameux Dream team. Le sportif ethno centré, plus attaché à l'environnement social qu'à celui de la nature, le chemin, accepte la confrontation avec lui-même dans son effort individuel, mais aussi celle avec les autres et leurs efforts collectifs. Son « mental » est différent de celui de l'égo centré. C'est le côté face du sport, plus brillant, plus extraverti, qui a construit sa séduction à l'égard de la société sur les techniques de communication qui produisent spectacle et argent.

Là, est la valeur OR du sport, pour tous ceux qui contribuent à sa promotion.

Elle fait que tout sport est école de management, au sens le plus large du terme. Une école qui valorise les conduites altruistes du bénévolat, l'intégration sociale par l'effort et la réussite, assure les liens inter générationnels, distribue à la fois de la récompense et de la distraction.... Et forme au sport des sports, la conduite des hommes. Les échanges, que cette valeur OR a suscités, ont entraîné la multiplication des parties prenantes à une entreprise, à ambitions mondiales, inévitablement créatrice d'une nouvelle valeur ARGENT.

La valeur argent.

Le développement phénoménal des activités sportives pose la question de la finalité de cette évolution. À l'évidence, tout est légitime dans la démarche vers l'argent donc vers l'économie : la rémunération de l'effort personnel et des sacrifices du sportif, l'investissement indispensable aux équipements sportifs et aux compétitions de toutes sortes en tous lieux, l'implication des collectivités territoriales au sein desquelles s'expriment les tendances ethnocentriques, le défraiement des bénévoles qui animent et encadrent les clubs, les licenciés, les écoles et leurs élèves, comme la présence des financiers qui apportent leurs moyens et leur argent. Tout est légitime, à condition que chacun respecte la grande mission sociétale du sport, et ne la subordonne pas à son propre marché, à ses propres intérêts.

La transformation de l'or en plomb par l'argent.

La question à répondre n'est pas celle de savoir s'il faut interdire l'alliage entre l'or et l'argent. L'économie de marché, est devenue standard, jusqu'au plus profond des échanges entre internautes qui s'affranchissent de tous les systèmes économiques antérieurs.

La seule réponse utile doit aider à comprendre pourquoi la légitimité des bases économiques du sport ne doit pas être détruite par les dérives constatées récemment.

Lorsque la rémunération des efforts n'est plus compensatoire de l'effort lui-même mais déterminée par les spectacles qu'ils produisent, lorsque les chimistes entrent dans le jeu, lorsque l'investissement dans les équipements est absorbé par la compétition politique, lorsque l'implication des collectivités mélange l'argent du contribuable avec celui du financier, lorsque les associations à but non lucratif deviennent des associations lucratives sans but, et que les parieurs se postent en en embuscade, alors le plomb n'est pas loin.

La crainte et l'espoir

Quand le sport perd son crédit, tout le monde souffre, comme quand le banquier perd le sien. A commencer par toutes les parties prenantes, du poussin dans son club à l'icône mondiale à la télé. Encore plus, globalement, cette économie sportive émergente qui s'est installée, comme le coucou, dans le nid douillet où roucoulaient l'activité sportive, physique ethno centrée, et la philosophie sportive, cérébrale et égo centrée. Il faut qu'elles comprennent qu'elles sont responsables du nouveau Monde du sport, d'une économie qu'on ne peut plus jeter hors du nid, responsabilités qui créent des devoirs.

Il est utopique d'imaginer réguler un tel secteur économique, construit en 30 ans sur des intérêts difficilement maîtrisables, si on ne lui applique pas les règles de gouvernance que l'économie, plus ancienne, des autres secteurs, a mis en œuvre, dans la douleur. Pour y arriver il faudra construire les trois piliers de cette gouvernance, la transparence, la conformité, et le rendu de compte.

La transparence a pour objectif d'éliminer tout ce qui peut apparaître comme un élément de tricherie dissimulée, soit dans les fonctions d'arbitrages, dans le gestion des compétitions, dans celle des équipements, comme dans celle du mouvement sportif et de ses régulateurs.

La conformité a pour objectif de compléter la transparence en invitant les décideurs et opérateurs de toutes les parties prenantes au respect de règles élémentaires propres à un type d'activité qui doit impérativement conserver une philosophie humaniste, préservée des excès d'ambition, de concurrence et de lucre caractéristiques des marchés émergents.

Le rendu de compte, exprimé par le mot anglais, la langue du sport mondialisé, d'accountablity, a pour objectif de vérifier la transparence et la conformité en invitant les mêmes dirigeants de toutes les parties prenantes, à établir, en interne, les comptes financiers de toutes les structures opérationnelles. Aussi bien que leurs instruments juridiques. Ce sera la meilleure expression de leur acceptation de la régulation souhaitable.

Vaste programme, comme aurait dit le général De Gaulle, face à la mise en œuvre duquel il ne faut pas s'effrayer de la multiplication des initiatives, des intervenants, des propositions, des débats et des contributions qui seront versées. En espérant que l'activité, la philosophie et l''économie sportive, rassemblées, réussiront l'indispensable fonderie d'un autre alliage, celui des praticiens du sport, de l'économie, et du droit. J'attends l'ouvrage qui complétera cette réflexion.