Au terme d'une surexposition médiatique fatale, Jean-Marie Messier perd son fauteuil de patron de l'empire Vivendi-Universal. Un nouveau chapitre de l'histoire de l'entreprise commence. Au-delà du départ de son dirigeant et d'une partie de son entourage immédiat, le périmètre du groupe va être très vite profondément remanié. Les activités historiques de l'environnement, porteuses initiales du projet du développement dans les réseaux et les médias, prennent leur indépendance, et Vivendi Universal, étranglé par une dette colossale, se sépare d'une grande partie de ses activités dans le domaine des contenus, qu'il s'agisse de l'édition ou de la production audiovisuelle. Le groupe abandonnera l' « Universal », et de fait, avec les filiales restantes, son modèle économique se trouve définitivement confirmé en B to C.
1997 | 2002 | 2011 | |
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Chiffre d'affaires | 25,5 Mds € | 57,3 Mds € | 28,8 Mds € |
Effectifs monde | 193.000 | 320.000 | 55.000 |
Ces premières années auront été dominées par la gestion de l’urgence, avec en priorité le sauvetage d’un groupe exsangue et dont le cours de bourse s’était effondré. La structure de tête Vivendi s’est trouvée dans une démarche de pure holding financière, avec un poids logiquement accru de cette fonction. Il est important de noter que lors du « détourage » des activités entre Vivendi Universal et Vivendi Environnement, qui deviendra rapidement Veolia, un grand nombre d’anciens feront le choix de rejoindre les métiers historiques, et de passer « avenue Kleber », siège de Veolia … (ce qui explique peut-être aujourd’hui certaines des difficultés de l’entreprise).
La culture en a été profondément changée. La relation entre Vivendi, l’ « avenue de Friedland » et les filiales opérationnelles est devenue celle d’une holding vis-à-vis de ses participations, avec une logique de retour sur investissement optimisé, et sans la perméabilité des métiers ni la vision qu’il pouvait y avoir lors des deux décennies précédentes.
Cette évolution a été rendue inéluctable par la situation de crise extrême traversée. Les changements de métiers au siège ont fait apparaitre aux côtés des derniers anciens du groupe, avec une culture des métiers de service, concepteurs, exploitants, des populations plus jeunes, spécialisées dans la finance, le contrôle de gestion, voire le marketing ou encore la stratégie. Ces populations plus jeunes, souvent expertes, connaissant leur valeur sur le marché, ont de fait marginalisé les « anciens » pour la plupart inadaptés à ce nouvel environnement.
Leurs contributions possibles dans le domaine de la gestion, de la technique étaient en décalage complet avec les nouveaux métiers de Vivendi, tournés vers les médias et les contenus. Ils n’avaient aucun espoir de pouvoir rebondir dans une filiale, à la différence de ce qui se pratiquait auparavant. L’évolution du cours de l’action a également rendu illusoire tout espoir de percevoir, pour les cadres confirmés concernés, les bénéfices de stock-options attribuées dans des périodes plus fastes. Ils se sont donc marginalisés, à la fois par perte de rôle et par perte d’importance démographique, pour se voir substituer des populations plus jeunes, plus « expertes ».
Le cas dominant du lien à l’entreprise est alors devenu celui décrit par Agnès Valentin , dans le cas des jeunes, avec un comportement « individualiste et intransigeant ». Mais ce qui est valable pour une structure de siège comme Vivendi, l’est déjà moins pour une filiale telle que SFR par exemple, passée au cours de la même période du stade de fleuron du secteur des télécoms à entreprise du secteur des commodités, avec développement d’une forte concurrence, baisse des prix, des marges, et dans un secteur qui n’est plus créateur d’emplois.
Dans ce cas, le vieillissement relatif - âge et ancienneté - de la population salariée va se renforcer avec la politique de non recrutement liée à l’arrivée de Free. Une pression sur les populations « coûteuses », donc en général celles ayant le plus d’ancienneté, ou les plus âgées risque de recréer ce phénomène de démotivation et de distanciation face à l’entreprise et à son management. Elles vivront dans l’insécurité, la menace. Pour peu qu’un saut technologique se produise, cette logique de marginalisation s’appliquera plus fortement encore sur les plus anciens, jusqu’à ce que la pression face sauter le verrou de l’interdiction de recrutement conjoncturelle, avec l’arrivée de jeunes, diplômés, la modification de la pyramide des âges, etc. Et le cycle de se reproduire, mais avec une logique d’amortissement, de lissage lié au temps qui passe, au strict contrôle des effectifs et au vieillissement de chaque cohorte.
En conclusion, à la lumière de cet exemple, on peut confirmer qu’aujourd’hui le lien à l’entreprise et son évolution dépendent profondément de l’âge et de l’ancienneté du salarié. Il est également fonction de son adéquation au besoin de l’entreprise telle qu’il la perçoit. Mais alors qu’il y a quelques dix-vingt ans, avant le phénomène de la mondialisation pour faire simple, ce lien allait souvent se renforçant avec le temps dans les grandes entreprises qui y sont exposées, c’est une sorte de phénomène inverse que l’on constate aujourd’hui.
L’évolution - dans certains cas rapide - des marchés, les attentes des actionnaires, peuvent rendre ces besoins de compétences fluctuants, volatils. Les situations de crise grave et le durcissement de la compétition ne renforcent pas les solidarités entre les entreprises et leurs salariés. La nécessité de s’adapter en permanence crée et entretient un cycle régulier d’adhésion forte au début, sincère ou opportuniste, pour le nouvel entrant, qui peut se teinter ensuite d’une vision plus critique ou plus prudente. L’opportuniste sera alors dans une phase de recherche de mobilité, le salarié au profil plus traditionnel essaiera de s’adapter, de se former. Le salarié plus désabusé sera lui dans une logique passive, voire d’opposition. Il appartient aux entreprises, dans leur gestion du quotidien, de pouvoir, via les managers et leurs pratiques, s’adapter, prévenir et traiter ce type de divergences pour éviter le développement de tels phénomènes.