Le Juge Civil Face à la Preuve Immatérielle
Première table ronde du colloque sur le thème de la Justice à l'épreuve de la preuve immatérielle, organisé en partenariat avec l'Ordre des avocats de Paris à la Maison du barreau. Les difficultés et les perspectives pour le juge civil sont explorées par les intervenants
  • Michel ARMAND-PREVOST

Je vous présente d'abord les intervenants :

  • Me Christiane FERAL-SCHUHL, avocat à la cour, ancien membre du Conseil de l'ordre des avocats de Paris,
  • Me Maurice LOTTE, huissier de justice à Paris,
  • M. Emmanuel BINOCHE, premier vice-président au tribunal de grande instance de Paris, chargé du service des expertises,
  • M. Stéphane LIPSKI, expert en informatique et en comptabilité, agréé par la Cour de cassation, président de la Compagnie Nationale des Experts de Justice en Informatique et Techniques Associées ( CNEJITA ).

Cette table ronde comportera trois temps :

  • présentation des textes,
  • difficultés présentes,
  • les perspectives.

1. Présentation des textes sur la preuve électronique

Les dispositions du Code civil sur l'écrit électronique et la preuve numérique ont été introduites dans ce Code par trois textes successifs :

  • la loi du 13 mars 2000,
  • la loi du 21 juin 2004,
  • l'ordonnance du 16 juin 2005.

Je veux simplement vous montrer la construction des dispositions du Code.

Ces dispositions figurent dans le troisième Livre, Titre III, intitulé « des contrats ou des obligations conventionnelles en général ». Les premières dispositions dans l'ordre de la numérotation du Code sont, au chapitre II, les conditions essentielles pour la validité des conventions. L'article 1108-1 énonce : "Lorsqu'un écrit est exigé pour la validité d'un acte juridique, il peut être établi ou conservé sous forme électronique." Dans le chapitre VI « de la preuve des obligations et de celle du paiement » figure une section 1 « de la preuve littérale », dans laquelle on trouvera des dispositions générales. La définition de ce que peut être une preuve littérale montre que l'on introduit la notion d'écrit électronique, puisque l'article énonce : "La preuve littérale ou preuve par l'écrit résulte d'une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quels que soient leur support et leur modalité de transmission." Enfin, l’article 1316-1 énonce le principe même : "L'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité."

Un chapitre est ensuite complètement consacré aux contrats sous forme électronique, avec les échanges d'information. Ces dispositions ont été introduites par l'ordonnance du 16 juin 2005. Une deuxième section concerne les conditions de conclusion d'un contrat sous forme électronique, une troisième est relative à l'envoi ou à la remise d'un écrit par voie électronique, la dernière a trait à certaines exigences de forme.

Mme Christiane FERAL-SCHUHL, en tant qu'avocat, qu'est-ce que ces textes ont changé dans la construction d'un dossier ?

  • Christiane FERAL-SCHUHL

Rien parce que, aujourd'hui, culturellement et spontanément, on produit tous un certain nombre de documents dématérialisés. Chacun de ces textes a progressivement élargi le champ d'admission de la preuve. On pouvait bien sûr, avant la loi du 13 mars 2000, produire des documents, des éléments de preuve. Il nous arrivait de produire des télécopies. L'admission de la preuve était circonscrite à ce que l'on appelle l'écrit ad probationem, la production d'un écrit pour établir la réalité d'un fait.

La loi du 13 mars 2000 a favorisé, élargi, précisé dans quelles conditions on peut effectivement, pour établir un fait, produire ces éléments. Il y a eu une avancée notable avec la deuxième loi dont vous avez parlé, celle de 2004, qui a permis de se concentrer sur l'acte juridique. Dans le domaine de l’acte juridique, la signature produira des effets, des conséquences juridiques. Ce sera par exemple la production d'un bail.

En précisant les conditions d'admission de cette preuve, un élargissement considérable a été apporté. On va rentrer dans cette notion d'équivalence de l'écrit électronique et de l'écrit original traditionnel papier. Une avancée encore plus forte avec l'ordonnance du 16 juin 2005 me permettra, même dans les cas où un formalisme est imposé, en particulier au Code de la consommation, de produire des éléments que je ne pouvais pas produire auparavant.

Pour ne donner qu'un exemple, l'accusé de réception pourra être remplacé par un accusé électronique. Je pourrai fournir un formulaire détachable, donc un formulaire électronique alors qu'auparavant je devais justifier de l’existence du double ou du triple du formulaire. On voit donc des pans entiers d'un formalisme qui était là pour protéger, pour établir la preuve qui, petit à petit, reculent et ouvrent un champ d'admission de la preuve. Par conséquent, dans la construction de mon dossier, j'ai une facilité de production de la preuve et de l'admission de la dématérialisation dans les preuves que je produis.

On ne peut pas déconnecter la problématique de la preuve de la signature électronique qui est le corollaire de la preuve, mais également de l'archivage. Il ne faut pas perdre de vue qu'au moment où je produirai mon élément de preuve, ce sera forcément postérieurement au moment où je me suis servie de l'écrit électronique, après vous avoir envoyé un e-mail. Le jour où je voudrais établir que j'étais bien ici à la date du 21 novembre pour cette conférence, je restituerais des éléments qui, eux-mêmes, auront été archivés et qui devront avoir respecté un formalisme.

  • Michel ARMAND-PREVOST

Je me tourne maintenant vers l'expert : l'écrit électronique a-t-il perturbé ou non le déroulement d'une expertise judiciaire ?

  • Stéphane LIPSKI

Monsieur le président, je répondrai comme Me FERAL-SCHUHL : cela l'a facilité et l'a grandement perturbé. Cela l'a facilité, d'une part parce que la communication des informations se fait de manière beaucoup plus simple. Aujourd'hui, en expertise judiciaire, souvent les informations ne sont plus transmises sous forme papier mais sous forme électronique et de mail, pour une raison très simple : Souvent, on a de tels volumes d'informations que ce serait non traitable sur un support papier. L'expertise judiciaire se caractérise souvent aujourd'hui par l'envoi de mails d’avocats à experts, avec une information en fait plus facilement contradictoire parce que l'on peut normalement s'assurer que tout le monde a bien reçu la même information en même temps, avec un certain nombre de perturbations.

Le premier point est le volume des informations. Aujourd'hui, en expertise judiciaire, on est envahi par l'information. Comme le disent les informaticiens, trop d'information tue l'information. La communication d'informations est aisée avec l'informatique, en particulier avec les mails. On peut donc être abreuvé d'une grande quantité d'informations.

De nombreuses opérations d'expertise reposent sur des informations qui étaient auparavant présentées sous forme d'écrit, en dix, cinquante ou cent pages, et qui sont aujourd'hui présentées sous forme de mail, représentant un, deux ou trois classeurs. Nous avons énormément d'informations, avec une autre difficulté importante : le problème de la datation. Il existe naturellement des problèmes de difficulté de datation des écrits papier, mais, lorsque que l'on parle d'écrit électronique, la datation est toujours sujette à caution. On peut toujours vous dire que la date qui apparaît sur cet écrit électronique n'est pas la bonne date parce que, on peut toujours modifier une date. Je peux très bien, dans mon ordinateur, changer la date, transmettre une information en faisant croire que c'est une autre date. Cela arrive effectivement très rarement et, en l'occurrence, le problème ne se pose généralement pas, mais l'expert doit en tenir compte.

L'autre point est la conduite de la mission. Peut-on se contenter de dire que toutes les informations électroniques que l'on reçoit sont des informations que l'on considérera comme fiables ou faut-il mettre en place un système avec une vraie sécurité de ses communications ? Une société notamment constituée d'experts judiciaires, avec un système appelé Opalex, a essayé de développer un système qui permettait d'avoir un écrit électronique, des messages et une conservation contradictoire qui soient d'une certaine manière chiffrés. Ceci signifie naturellement que cela complexifie largement l'expertise judiciaire et, en l'occurrence, c'est peu utilisé puisque l'on trouve déjà l'expertise judiciaire suffisamment complexe en elle-même.

Il y a donc des éléments de facilitation, mais aussi beaucoup de difficultés.

Un dernier point concerne les litiges qui peuvent intervenir dans ce domaine. Jusqu'à présent il y en a peu, mais parler du système de signature électronique signifie que nous sommes sur des systèmes techniquement très évolués et assez complexes à vérifier.

Le principe du chiffrement habituel signifie que j'ai un texte, je vais le coder avec une clé de codification, je vais le transmettre à un tiers qui utilisera cette même clé de codification pour trouver l'origine du texte. Ce principe n'est pas suffisamment sûr. Aujourd'hui, les systèmes sécurisés sont des systèmes dits à clé asymétrique. Je vais utiliser une clé, qui est ma clé privée, et j'envoie à un tiers qui utilise une clé dite publique qui n'est pas la même que la mienne, mais la procédure de chiffrement et de déchiffrements fait qu'il peut arriver à relire mon texte.

Vous imaginez que ces procédures sont complexes, assez mathématiques. Si l'on part sur des expertises sur ces systèmes qui peuvent être mis en cause, le résultat peut être assez complexe. Le problème ne s'est pas encore vraiment posé pour l'instant, mais je fais de la prospective sur l'avenir.

  • Michel ARMAND-PREVOST

Merci. Monsieur l'huissier, est-ce que ces textes ont modifié l'exercice de votre métier tant dans votre activité de recouvrement de créances que dans l'exécution des décisions de justice ?

  • Maurice LOTTE

En ma qualité d'huissier de justice et donc d'officier public et ministériel, rédacteur d'actes authentiques, la problématique de la signature et des conditions de conservation d'un acte d'huissier de justice sur support numérique prend toute son acuité. A votre question, la réponse est aujourd'hui clairement négative. Il faut toujours garder à l'esprit que, dans son activité et dans les actes dont il est rédacteur, l'huissier de justice dispose d’une énorme variété. Ces actes peuvent être classifiés en différentes catégories :

  • les actes à caractère informatif (une assignation, une signification de décision),
  • des actes à caractère exécutoire (un acte d'exécution, une mesure de saisie, une mesure d'expulsion),
  • et enfin des actes qui sont des rapports de constatations ou des constats, qui feront ensuite l'objet de communications et transmissions à l'égard des tiers.

Les textes que nous avons évoqués tout à l'heure n'ont qu'une incidence extrêmement réduite sur le décret de février 1956 qui régit le statut des huissiers de justice dans leur rôle de rédacteurs d'actes authentiques. En effet, ils ne se concentrent exclusivement que sur les conditions de conservation sur support numérique et accessoirement, à terme, par les outils gérés par la Chambre nationale des huissiers de justice dans la gestion et dans la notion de ce que l'on appellera ultérieurement un minutier central. Ce minutier central, qui a vocation à être détenu sous forme de coffre-fort électronique par la Chambre nationale des huissiers de justice, permettra à celle-ci de conserver l'intégralité et l'intégrité du contenu de tous les actes d'huissiers de justice signifiés et rédigés en France, avec accès restreint aux seuls huissiers de justice à partir de leur certificat et de leur signature numérique auxquels sont adossées la clé publique et la clé privée dont M. LIPSKI a fait état tout à l'heure.

Dans la pratique, dans les mesures de recouvrement de créances et plus précisément d'exécution des décisions de justice, pourquoi ces textes n'ont pratiquement pas l'usage de s'appliquer, et ce pour plusieurs raisons. D'abord et avant tout parce qu'un acte d'huissier de justice répond à deux conditions. La première, celle qui est reprise dans le décret de 1956, est l'obligation d'établissement des actes en doubles originaux. Ces deux originaux peuvent être conservés et transmis ultérieurement dans le cadre de l'instance sur support numérique dans les conditions de transmission qui vous ont été évoquées. En revanche, ne perdons jamais de vue qu'un acte d'huissier de justice, pour conserver sa validité, doit d'abord et avant tout être signifié. A l'égard du tiers destinataire de l'acte d'huissier, cet acte d'assignation ne pourra bien évidemment en aucune manière avoir un support numérique à l'égard du destinataire. Il faudra qu'il y ait un réel contact, un réel face à face, et la copie de cette assignation à l'égard de ce tiers destinataire a pour lui valeur d'original. Il ne peut aujourd'hui y avoir d'autre support qu'un seul et unique support papier. En effet, cet acte d'huissier de justice, qu'il soit un acte informatif ou un acte d'exécution, n'a de valeur que s'il est signifié et valablement signifié. Aujourd'hui, les règles de signification des actes, quelles qu'en soient les modalités (remise à sa personne ou remise par défaut à l'étude de l'huissier ou accessoirement une signification à parquet), ne peut avoir qu'un support exclusivement papier.

L'autre aspect où les huissiers de justice ont eu une certaine avancée se situe dans le cadre de "l'exécution", dans une action spécifique de recouvrement de créance, aussi appelée le recouvrement amiable ou le recouvrement pré-contentieux. Dans ce cadre, dès lors qu'il n'y a pas titre exécutoire soumis à exécution par huissier de justice, l'ensemble des "actes" ( relances, lettres comminatoires ou interventions spécifiques à l'égard d'un débiteur quel qu'il soit pour une créance quelle qu'elle soit), l'intégralité des échanges entre un huissier de justice et son donneur d'ordre seront exclusivement numériques. Le format en est très simple : le donneur transmettra à un huissier un tableau généralement sous format Excel comprenant un certain nombre de données informatives qui seront reprises par l'huissier de justice soit sous forme de publipostage, soit sous forme d'interface spécifique au logiciel de traitement et de gestion de son étude. Cela lui permettra de créer, mais hélas exclusivement sous format papier, certains courriers (relances, mises en demeure, interventions, lettres comminatoires), et ce de quelque nature qu'ils soient.

Voilà rapidement, monsieur le président, les conséquences de la conservation des actes d'huissier au regard des textes qui nous occupent aujourd'hui.

  • Michel ARMAND-PREVOST

Je vais maintenant poser une question au juge en revenant sur l'article 1316-2 du Code civil. Cet article prévoit que le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu'en soit le support. Au regard de ce texte, y a-t-il d'ores et déjà eu beaucoup de conflits dans lesquels était en cause une preuve électronique, monsieur le président ?

  • Emmanuel BINOCHE

A vrai dire, pour répondre à cette question, je pense à ce qui vient d'être dit : on a toujours plus ou moins, suivant le degré de dématérialisation des actes, une référence plus ou moins grande à l'original de l'acte.

Mais, si l'on répond directement à la question, on s'aperçoit effectivement qu'il y a plusieurs raisons pour lesquelles il y a peu d'occasions de conflit. D'abord parce que, dans la réalité des choses, il est, me semble-t-il, relativement rare de voir confrontés deux actes totalement contradictoires, sauf si l'on se situe peut-être dans une phase précontractuelle où l'on peut avoir différents projets confrontés et qui représentent l'évolution des discussions. Mais, selon mon expérience, une fois l'accord ou le contrat passé, il est rare de voir un véritable conflit de preuve littérale au sens de l'article 1316-2.

Je voudrais tout de même attirer votre attention sur 2 formules rédactionnelles essentielles :

  • "A défaut de convention valable entre les parties" signifie que, notamment quand l'on pense à la matière commerciale, il y a possibilité de prévoir a priori la manière dont on peut résoudre ce genre de conflit,
  • "A défaut, il est question pour le juge de déterminer par tous moyens le titre le plus vraisemblable" : cela laisse au juge une liberté grande et importante. Selon moi, cela caractérise la tendance du législateur dans ce domaine de la preuve immatérielle en particulier et dans le domaine de l'immatériel en général.

J'ai récemment rencontré une difficulté posée par la notification prévue par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, notification préalable à une demande qui peut être faite en référé d'avoir à supprimer des contenus illicites ou en tout cas de mettre fin à leur accès. Sa forme n'est pas précisée. En particulier, il n'est pas précisé qu'il faille recommander la notification ni qu'il faille une demande d'avis de réception. C'est par un courriel qu'avait été faite cette notification, de manière d'ailleurs assez incomplète au niveau de l'articulation des éléments de fait et de droit. Déjà, en soi, était contestée la réception de ces courriels qui étaient au nombre de deux. Toutefois, celui qui faisait état de cette notification n'avait pas pris la précaution de demander ce que l'on appelle de manière traditionnelle actuellement en matière de courriel un "avis de réception", qui d’ailleurs n'a pas la valeur d'un véritable avis de réception au sens où on l'entend quand on est sur un support écrit. Il n'avait même pas la possibilité d'établir que ce message avait été lu sur l'ordinateur de son correspondant. Celui-ci s'est abrité sur le fait qu'il n'avait pas reçu, en tout cas qu'il n'y avait pas la preuve qu'il ait reçu cette notification. Voilà un exemple de conflit qui a eu pour conséquence de ne prendre en compte que l'acte introduisant l'instance.

Il est vrai que j'ai aussi plutôt eu une expérience de litiges commerciaux où la preuve est libre et où, depuis très longtemps, les parties acceptent de part et d'autre les télécopies et les photocopies sans grande difficulté. Dans ce contentieux, je n'ai pas non plus rencontré de conflit véritable. Il faut là rendre justice la jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui, dès le 2 décembre 1997, avait admis cette preuve par télécopie, sous certaines conditions : la possibilité de garantir l'intégrité du document et son imputabilité à celui à qui on l'opposait.

La référence que l'on peut faire pour l'appréciation de ce risque de conflit est la différence en matière de preuve entre la matière commerciale et la matière purement civile.

Un principe est également monté en puissance ces dernières années : le principe de loyauté non seulement dans le comportement précontractuel, voire contractuel, mais aussi dans le comportement procédural. C'est un frein qui me paraît assez efficace à des objections qui seraient opposées non seulement de mauvaise foi, mais même de manière déloyale. Si bien que cela explique sans doute que l'on rencontre peu de conflits de preuve littérale. Je voudrais ajouter que l'on irait presque dans la procédure expertale française à constater les excès que l'on peut relever dans la procédure de discovery aux Etats-Unis. Quel que soit le mode de communication que l'on utilise pour produire des preuves, il me semble qu'il faut respecter des règles de base que tous les avocats connaissent, à savoir la numérotation des pièces. La convention du 4 mai 2006 sur l'expertise civile avait prévu en particulier la numérotation en continu pour que l'expert puisse s'y retrouver. Je crois que des horodatages, quel que soit le support, sont absolument indispensables, ainsi que des numérotations de pièces. C'est le minimum pour que l'expert s'y retrouve, et aussi que l'on puisse veiller au respect du contradictoire, car le contradictoire n'est pas éludé, loin s'en faut, par le recours à la transmission électronique.

2. Difficultés présentes

  • Michel ARMAND-PREVOST

Nous allons maintenant essayer de voir quelques difficultés concrètes. Tout d'abord, cette fiabilité nécessaire : la mise en place d'une signature électronique fiable et les obligations des prestataires de service de certification. Monsieur Lipski, voulez-vous bien reprendre la parole sur ce thème.

  • Stéphane LIPSKI

Pour répondre et compléter, je suis naturellement d'accord avec ce que disait M. BINOCHE. La seule difficulté aujourd'hui est le volume des informations et pas tellement la numérotation. Lorsque vous recevez des pièces par centaines ou par milliers, il y a un vrai problème de volume que l'on rencontrait beaucoup moins il y a dix ou vingt ans.

Je vous donne un exemple de mise en place d'une signature électronique fiable avec toute la complexité qu'il y a derrière en prenant ma double casquette d'expert en informatique et d'expert en comptabilité, celui de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes qui a mis ceci en place il y a deux ans. Nous avions une difficulté dans l'émission de nos rapports généraux en tant que commissaires aux comptes. Cela peut paraître étonnant, mais certains cabinets et commissaires aux comptes d'OPCVM devaient émettre leur rapport pour un millier d'OPCVM. Ces rapports étaient trimestriels et devaient être remis de manière urgente parce que les OPCVM ont des obligations de publication et d'information rapides.

Émettre mille rapports à signer et transmettre très rapidement posait de vrais problèmes pour un cabinet. Une solution pratique a été mise en place avec l'écrit électronique, signature électronique fiable. Qui dit signature électronique fiable signifie, pour répondre aux différentes prescriptions légales, qu'il faut tout d’abord une autorité de certification, c'est-àdire que l'on définit la politique de certification. Une politique de certification signifie que l'on utilise des certificats qui peuvent être de trois sortes. Il y a plusieurs classes :

  • La première classe signifie qu'il y a uniquement une communication par mail. On ne connaît donc l'identité de la personne à qui l'on va délivrer le certificat que par une communication mail. C'est naturellement un niveau de sécurité faible ;
  • La classe 2 consiste à communiquer les informations d'identité par voie postale. C'est le système que l'on a par exemple avec les cartes bancaires et les numéros que l'on reçoit ;
  • La classe 3, qui est la plus sûre, consiste à avoir une communication en face à face. On ne communique le certificat qu'à une personne qui vient se présenter et qui présente son identité.

Une autorité de certification, en l'occurrence la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, a d'ailleurs défini des autorités locales de certification puisque des commissaires aux comptes sont présents sur toute la France. Cela signifie que l'on n'obligera pas un commissaire aux comptes à venir à la compagnie à Paris. Il ira à la compagnie régionale de commissaires aux comptes dont il dépend dans sa région pour se présenter et obtenir le certificat.

Il faut par ailleurs une autorité d'enregistrement : c’est la personne qui vérifie que celui qui demande un certificat est bien celui qu'il prétend être. Non seulement on va demander un certificat, mais on ne donnera un certificat qu'à une personne dont on vérifiera qu'elle est bien commissaire aux comptes et qu'elle figure bien sur la liste. Il faut ensuite des opérateurs de certification. Il s'agit de sociétés spécialisées qui réalisent techniquement, diffusent techniquement le certificat au cas particulier. La Compagnie des commissaires aux comptes s'est adressée à la société Certplus. Il y a peu d'opérateurs de certifications. Nous avons lancé, comme nous le faisons d'habitude, un appel d'offres.

Un lecteur de carte à puce est communiqué aux commissaires aux comptes avec une carte à puce nominative du genre carte bleue. Ce n'est valable que trois ans, toujours pour accentuer la sécurité. Tous les trois ans, le commissaire aux comptes doit changer sa carte. Il faut naturellement un logiciel adapté qui réalise la cryptologie dont j'ai parlé sur la clé asymétrique. C'est valable pour n'importe quel client dans le cadre d'une communication d'un rapport général, mais, il faut le reconnaître, cela fonctionne essentiellement avec les OPCVM. Il faut leur communiquer un logiciel qui sera le logiciel qui contiendra la clé publique que chaque société utilisera pour déchiffrer le rapport général qui sera communiqué.

Cela fonctionne bien. Ce n'est pas encore complètement diffusé à tous les clients et toutes les sociétés que les commissariats aux comptes peuvent avoir, mais je pense que ce système présente plus de garanties que l'écrit. Quand j'émets un rapport que je vais transmettre, la sécurité quant à la date est relative parce que je peux mettre n'importe quelle date dans mon écrit. Avec une communication sous cette forme, on peut toujours imaginer que le commissaire aux comptes est allé changer la date dans son système informatique, bien que ce soit peu probable. Les systèmes électroniques présentent aujourd'hui un degré de fiabilité dont on peut considérer que, souvent, si l'on utilise des outils de ce type, avec une forte classe de sécurité, ils sont pratiquement aussi sûrs que l'écrit. Il ne faut pas non plus présenter trop de défiance à l'égard de l'informatique et le rendre inopérant. La Compagnie représente un bon exemple en la matière.

  • Michel ARMAND-PREVOST

Maître FERAL-SCHUHL, comment démontrer que les garanties d'authentification et d'intégrité ont bien été mises en œuvre ?

  • Christiane FERAL-SCHUHL

Je constate, monsieur le président, que l'on demande plus finalement à l'écrit électronique qu'à l'écrit papier parce que, avec la production d'écrit papier, on vérifiait les signatures. Votre question conduit à savoir dans quels cas, finalement, ces garanties d'authentification et d'intégrité sont acquises. Elles sont acquises par la signature électronique avancée qui est le choix qui a été fait par le législateur, et la loi du 13 mars 2000 a entériné ces fonctions d'intégrité et d'authentification, instaurant pour la signature électronique répondant à ces prescriptions une présomption de fiabilité. Cette présomption supposera déjà qu'il y ait une contestation. A partir du moment où j'établis que je me suis conformée au dispositif prévu par loi, je suis présumée offrir toutes ces garanties d'authentification et d'intégrité.

Quelles sont-elles ces garanties ? La présomption de fiabilité jouera en faveur des personnes qui auront recours à des produits correspondants soit à des normes mentionnées dans une liste publiée au JO des communautés européennes, soit à des tiers prestataires de services de certification. La création de la signature électronique comporte plusieurs étapes puisqu'il faudra recourir à un dispositif de création de signature qui doit être sécurisé. Il y aura un dispositif de vérification de la création de la signature électronique. Il y aura le dispositif de sécurité de la vérification, le prestataire de certification qui émettra le certificat. C'est un peu le procédé qui vient d'être décrit par M. LIPSKI.

Ces différentes phases supposent des étapes de certification. A partir du moment où j'utilise un certificat, cette garantie existera. Aujourd'hui, si vous télépayez vos impôts, l'émission d'un certificat est là pour certifier d'abord que le signataire est bien celui qui émet le message et que le message a bien été adressé, que le contenu est le même entre le moment où le message est envoyé et le moment où il est reçu.

Une notion apparaît peut-être dans cette discussion : une distinction est en train de s'opérer entre l'intégrité technique et l'intégrité juridique du document. L'intégrité technique conduira à considérer que l'intégrité n'est pas respectée à partir du moment par exemple où un bit disparaît lorsque l'on comparera les deux documents électroniques en même temps. Des procédés techniques permettront de constater le différentiel et donc l'atteinte à l'intégrité. Mais aussi, la notion d'intégrité juridique fera que l'on peut ne pas avoir porté atteinte à l'intégrité juridique du document parce qu'on a modifié un accent. L'intégrité technique identifiera tout de suite qu'en supprimant un accent on a supprimé un caractère technique qui, du coup, posera la question de l'identité du document. Comme la garantie technique et l'identité technique résultent du choix de la signature électronique, il va de soi, pour garantir et préserver toutes garanties d'authentification et d'intégrité, qu'il faudra conserver tous les éléments ayant permis de conduire à l'émission de ce message.

Un parallèle est sans doute à faire ici avec le contrôle en matière de comptabilité informatisée. En matière fiscale, lorsque l'on procède à un contrôle des comptabilités informatisées, il est demandé de conserver tous les éléments qui conduisent à justifier des résultats produits à titre de preuve. Les comptabilités informatisées ont finalement été les premiers éléments dématérialisés à entrer dans la vie quotidienne des entreprises. Les différentes étapes qui ont conduit à l'émission de ces éléments donnent lieu à la conservation de ces éléments. Je n'ai jamais été confrontée à la démonstration à faire de ces garanties d'authentification et d'intégrité parce que lorsque, dans un dossier d'avocat, on produit un document, une présomption très forte existe dans la production de ce document. On peut imaginer qu'il y aura à terme des contestations, et la preuve pourra se faire sans doute par la démonstration que les empreintes électroniques ont bien été conservées pour rétablir l'historique de la création du document électronique au moyen de la signature électronique.

  • Michel ARMAND-PREVOST

Dans la pratique, peut-on avoir recours utilement à des signatures électroniques qui ne bénéficient pas de la présomption légale de fiabilité ?

  • Christiane FERAL-SCHUHL

Les solutions techniques et les signatures électroniques qui ne remplissent pas les critères imposés par les textes existent depuis longtemps et offrent depuis longtemps des garanties d'authentification. Prenez l'authentification des paiements. Les cartes bancaires existent depuis longtemps et les tribunaux ont déjà eu à se pencher sur ces questions et à considérer que, à partir du moment où il y avait suffisamment d'éléments probants pour établir la réalité de l'opération, il n'y avait pas de difficultés.

La signature électronique ordinaire existe donc. Elle est d'ailleurs prévue par la directive européenne, et certains pays ont opté pour la mise en place d'une signature ordinaire par opposition à la signature électronique avancée qui est le choix de la France, qui a prévu tous ces systèmes de contrôles renforcés pour créer cette présomption de fiabilité au moyen des garanties d'intégrité et d'authentification. Les exemples, nous les avons déjà. Il est possible d'y recourir, mais, surtout, il existe depuis longtemps les conventions de preuves. Il est tout à fait possible, dans le cadre d'un accord bipartite, de décider que l'on se contentera de signatures ordinaires ou que telles productions d'éléments vaudront preuve acceptée par l'autre partie. Les conventions de preuve trouvent des applications de plus en plus généralisées pour une raison simple :

  • la signature électronique avancée est complexe,
  • elle est un frein à l'utilisation de manière générale aux signatures,
  • on entre dans ces processus de plus en plus facilement et elles font autorité.

Une décision a d'ailleurs été rendue, qui a tranché sur la question de la validité de ces conventions de preuve. Donc, il est parfaitement possible de recourir à des systèmes moins catégoriques, moins précis que ceux énoncés par les textes.

  • Michel ARMAND-PREVOST

Merci. Maître Lotte, quel est le point de vue de l'huissier sur cette question ?

  • Maurice LOTTE

Il est complètement proche de celui de Me Christiane FERAL-SCHUHL. Pour rappel, l'utilisation de la signature électronique, du point de vue de l'huissier n'a vocation qu'à assurer la certification du signataire, l'intégrité du document et le fait que l'on ne puisse pas le modifier dans un seul et unique souci de conservation. Maintenant, sur la fiabilité ou l'éventuelle dégradation des données techniques propres à déterminer la signature électronique, il existe plusieurs degrés. On sait, au niveau de la signature électronique, que plusieurs degrés de fiabilité et degrés d'identification de la qualité du signataire existent. L'huissier de justice utilisera dans ses rapports professionnels la signature électronique de son point de vue dans un seul et unique cas : la transmission des pièces dont il a, par nature, la conservation et dont il assume la responsabilité. Ce sont ces actes, ce sont ces minutes qui peuvent être transmises par voie dématérialisée.

Maintenant, dans l'autre sens de l'échange, les huissiers de justice offrent aujourd'hui certains services à l'égard de sociétés, de tiers, de personnes physiques quelles qu'elles soient. Les plateformes des offices d'huissiers de justice sont aujourd'hui de plus en plus dématérialisées. Il est possible d'assurer un paiement en ligne. Il est possible, pour un client, d'avoir accès aux données personnelles d'un ou plusieurs des dossiers qui sont en gestion dans l'office. Il est également possible à l'huissier de justice d'enregistrer sur cette plateforme dématérialisée certains dépôts, des règlements de jeux concours, des dessins et modèles ou certains éléments qui viendront en annexe ou en complément d'un rapport de constatation ou d'un acte judiciaire ou extrajudiciaire dont il aura eu la charge de la signification. Y aura-t-il, à l'égard de l'huissier, un contrôle réel de la part de l'expéditeur ou de la personne qui lui adresse ces documents ? Faudra-t-il de s'assurer s'il y a eu de sa part l'usage d'une signature électronique et d'une vérification du certificat ?

Aujourd'hui, soyons clairs, la réponse est négative. L'absolue majorité des documents et des informations qui sont communiqués par les tiers (entreprises, avocats, personnes physiques, particuliers) à l'intention de l'huissier de justice, notamment au travers des mails et des données dématérialisées sur une plateforme dont est doté l'office, est aujourd'hui dépourvue de tout type de signature. Le caractère de fiabilité, d'intégrité et de réalité des données techniques qui sont assises soit sur la signature électronique d'un document, soit sur un certain nombre de données techniques dont la force probante peut être aujourd'hui combattue, se retrouvera dans le cadre d'émissions de constats qui peuvent être sollicités auprès des huissiers de justice. Là, il faut admettre que la matière devient de plus en plus abondante et diverse.

J'ai été dernièrement requis pour déterminer l'intégrité d'un ensemble de messages électroniques, pour savoir s'ils avaient fait l'objet d'une signature ou non, quel était le degré de signature de l'expéditeur, quelles avaient été les conditions de réception de ces messages électroniques par le destinataire. Pouvait-on tracer à la fois l'écriture et les modalités de l'envoi de ce message ? Disposons-nous des outils qui nous permettent, à partir de la trace d'un envoi électronique, de savoir d'où celui-ci est parti et de quel lieu géographique il a été adressé ? C'est la notion de datation atomique ou de localisation GPS d'un mail qui est aujourd'hui techniquement possible. Nous sommes amenés en tant qu'huissiers à constater qu'il est possible de déterminer, à partir de certains outils, qui a été l'expéditeur de ce mail, d'où il est parti géographique parlant et, éventuellement, de quel type d'ordinateur il est parti. Sur le degré de validité et de graduation de la validité des signatures électroniques, je m'en réfère, monsieur le président, à ce que Christiane FERAL-SCHUHL nous a dit.

  • Michel ARMAND-PREVOST

Maintenant, le point de vue de l'expert, monsieur Lipski ?

  • Stéphane LIPSKI

Merci, monsieur le président. L'expert est pragmatique. Il prend les informations qu'on lui donne. Sa mission sera surtout d'indiquer au tribunal le degré de fiabilité de l'information qu’on va lui donner. Y a-t-il une fiabilité très faible, moyenne ou forte ? On est aujourd'hui capable de faire des investigations assez poussées sur les origines des mails. Sur la datation c'est un peu plus compliqué, mais j'ai vu des cas où l'on a retrouvé l'émetteur d'un mail parce que quelqu'un avait envoyé des mails en pensant que l'on n'était pas capable de retrouver qu'il les envoyait de sa boîte personnelle et de son domicile. Il existe donc aujourd'hui des possibilités d'investigation.

Les informations qui sont transmises, aujourd'hui en tout cas en expertise, ne respectent généralement pas la présomption légale de fiabilité. L'exemple que je donnais tout à l'heure du traitement qui a été retenu pour la signature des rapports du commissaire aux comptes et le système de signature électronique est un traitement tout à fait exceptionnel. Généralement, l'essentiel des communications ne bénéficie pas de ce niveau de sécurité. Il appartient à l'expert, au cas par cas, d'apprécier et d'indiquer quel est le degré de fiabilité de l'information qui sera plus ou moins importante. Ce peut être extrêmement variable. En l'occurrence, on considère aujourd'hui généralement dans les expertises que les informations données, sauf preuve contraire ou mise en cause, le sont de bonne foi et qu'il n'y a pas lieu de les remettre en cause. Mais s'il y a lieu de les remettre en cause et s'il faut aller rechercher les possibilités de modification, malheureusement, les possibilités de modification d'information en informatique sont extrêmement étendues. Plus la personne qui modifie l'information est techniquement compétente, plus ce sera difficile à déterminer, voire pratiquement impossible dans certains cas.

  • Michel ARMAND-PREVOST

Maintenant, passons au point de vue du juge.

  • Emmanuel BINOCHE

Je voudrais simplement insister sur le fait que l'on parle dans un cas d'une présomption légale de fiabilité, ce qui ne veut pas dire que l'on ne puisse pas aboutir à une fiabilité en dehors de cette présomption légale. Cela paraît une évidence, mais je voudrais insister sur les critères que l'on retrouvera encore plus tard. Nécessaire identification veut dire lien de la personne qui est supposée être à l'origine de l'acte avec l'acte auquel cette signature s'attache, intégrité de l'acte et évidemment conservation si cet élément de preuve est contesté et que l'on souhaite le rechercher. Il peut très bien y avoir une présomption qui résultera d'un certain nombre d'éléments.

Je crois que la jurisprudence entrera nécessairement dans une problématique qui a déjà été plus ou moins rencontrée en ce qui concerne la fiabilité de la signature hors présomption légale avec ce qui a été dégagé en matière de télécopie, de photocopie. Il y aura certaines convergences dont résultera la possibilité d'imputer à telle ou telle personne. On retrouvera également toutes les précautions qui ont déjà été examinées dans les jurisprudences eu égard aux éventuels risques de montage, et ce sera encore la tâche du juge que de vérifier qu'aucun risque de montage n'est véritablement évident à travers les pièces qu'on lui propose.

  • Michel ARMAND-PREVOST

La dernière question que je souhaitais poser à propos des difficultés présentes est relative à la conservation de la preuve numérique. Je pose cette question à Me Lotte et à M. Lipski.

  • Maurice LOTTE

Aujourd'hui, dans ses rapports avec ses donneurs d'ordre et plus précisément avec les correspondants avocats qui confient à un huissier de justice l'exécution d'une décision, un des principaux sujets qui fera débat est la condition de transmission du titre exécutoire ou de la décision de justice proprement dite. N'oublions pas que, à l'égard de l'huissier de justice, c'est la détention même du titre exécutoire qui emporte son mandat d'exécution. Sous quelle forme ce titre exécutoire doit-il être transmis ou remis à l'huissier de justice ? Il ne faut jamais perdre de vue qu'à l'égard des personnes envers lesquelles cette décision est exécutée ainsi qu'à l'égard des tiers entre les mains desquels une mesure d'exécution peut également être diligentée, l'huissier doit toujours être à-même, sur-lechamp, de justifier qu'il est porteur d'un titre exécutoire ou d'une décision de justice exécutoire qui lui permet notamment de réaliser les mesures de saisie qu'il est en train d'accomplir. Ce titre exécutoire sera-t-il et peut-il être valablement transmis sous forme numérique à un huissier de justice, à charge pour lui d'en assurer un exemplaire papier sur la base duquel il engagera les mesures d'exécution ?

Pour être franc, la réponse est aujourd'hui négative. Certains avocats transmettaient leur titre exécutoire par télécopie, elle-même issue d'une télécopie avec une signature illisible, une absence de formule exécutoire, une signature du magistrat ou du greffe à peine déchiffrable. Le support numérique, qui a généralement pour origine le même document sous version PDF scannerisé, n'a malheureusement pas de meilleure qualité. Autorise-t-elle un huissier à engager des mesures d'exécution coercitives sur la base de ce seul et unique document ? Aujourd'hui, non. Par définition, un huissier de justice, dans les conditions de conservation des titres exécutoires et des minutes qu'il aura en charge de conserver, doit être porteur d'un original papier.

S'agissant de la question proprement dite des conditions de la preuve numérique, l'huissier de justice sera destinataire, dans le cadre de procès-verbaux de constats, de certains documents simplement parce que des tiers ou parties à titre privé interviendront auprès d'un huissier pour qu'il atteste ou qu'il reçoive en dépôt tel ou tel type de document. Aujourd'hui, en cette matière, les supports et les natures de documents sont divers et variés. L'huissier dispose-t-il aujourd'hui des outils techniques qui lui permettent d'assurer la conservation de ces données et de ces documents ? La réponse est "oui" techniquement parce que les outils existent, ils sont tous sur le marché. Ces outils nécessitent-ils et engendrent-ils en eux-mêmes une valeur d'intégrité suffisamment probante pour que l'huissier, parce qu'il les a signés, parce qu'il a attesté du dépôt de ces documents sous telle ou telle forme, puisse les conserver et les faire valoir comme une preuve probante ? Aujourd'hui, la réponse ne peut être donnée que sur la fiabilité des éléments techniques et des outils techniques ouverts à la profession des huissiers de justice. Ces outils, dans leur degré de technologie, sont-ils suffisants ? Je pense que c'est M. LIPSKI qui va nous répondre.

  • Michel ARMAND-PREVOST

Justement, monsieur Lipski, vous avez la parole.

  • Stéphane LIPSKI

En termes de conservation, deux problématiques sont essentielles, d'une part la date, et d’autre part la capacité de conserver (sous quel délai on peut conserver l'information).

Il n'existe pas de certitude concernant les dates. Si je prends l'exemple de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, pour fiabiliser la date dont on pourrait supposer qu'elle a été manipulée, modifiée par le commissaire aux comptes et transmise avec une date qui n'était pas la réelle date de transmission, un archivage de nos rapports est prévu auprès d'un tiers archiveur. Il n'existe pas énormément de tiers archiveurs. Lorsque l'on utilise la signature électronique, on transmet immédiatement le rapport électronique au tiers archiveur et ceci est horodaté chez le tiers archiveur. On a donc une sécurité par cette conservation auprès d'un tiers. Sinon, on peut très bien conserver l'information, mais on n'aura jamais la sécurité de la date exacte de l'information, la date de fourniture et de production de cette formation. De même pour l'écrit, je peux très bien aujourd'hui signer en disant : "Paris, le 14 juillet 2007".

La deuxième difficulté en termes de conservation est la durée de la conservation et la qualité du support. Lorsque l'on a un support papier, on est généralement tranquille pour quelques années, pour quelques siècles même si les conservations ne sont pas trop mauvaises. S'agissant des supports magnétiques, la durée de conservation est beaucoup plus courte et dépend très lourdement de la qualité de la conservation. Pour un système de conservation sur support magnétique, la durée de la conservation est de quelques années. Si vous essayez aujourd'hui de relire, à condition d'avoir les outils car cela évolue très vite, une disquette ancienne de quinze ou vingt ans, vous avez toutes les chances d'avoir beaucoup de difficultés pour être en mesure de le faire, car maintes informations seront perdues.

Je rebondis sur ce que disait Me FERAL-SCHUHL : se pose le problème de la reconstitution d'information. Je suis par exemple obligé de relire un fichier texte. Si je n'arrive pas à relire certains bits ce n'est pas très grave, il manquera quelques lettres ou un mot, une phrase. Dans une clé, chaque bit a une signification. Les systèmes de codification sont plus ou moins complexes utilisés avec 128 bits ou 1024. A 1024, avec les outils actuels, il faut des siècles pour arriver à décrypter. Dans dix ou vingt ans, je ne sais pas. Si l'on a un problème sur l'information et que, en tant qu'expert, on me transmet dans six ou huit ans cette même clé et que je n'arrive pas à relire un bit, je ne pourrai rien contrôler. Les sauvegardes sur CD-Rom donnent lieu à inscription, que l'on peut considérer pratiquement comme de l'inscription matérielle, durent des dizaines d'années, mais sans doute pas beaucoup plus qu'un siècle ; on ne le sait pas encore aujourd'hui. Si j'interviens une demi-douzaine d'années après sur un autre support qui a été conservé dans une pièce mal climatisée, je risque d'avoir beaucoup de difficultés pour cette relecture. Un gros problème de conservation de cette preuve numérique se pose effectivement aujourd'hui et je pense que l'on ne prendra conscience des problèmes que dans les dix ou vingt ans qui viennent.

La Compagnie des commissaires aux comptes, en s'adressant à un tiers archiveur qui conserve les informations sur des supports conservés sur une longue durée pour ne pas rencontrer les problèmes que j'ai exposés, a pris une sécurité. La solution informatique est de faire la chose suivante : sauvegarder sur un support et, périodiquement, tous les cinq ans par exemple, non seulement tester, mais recopier sur un autre support de manière à rafraîchir l'information. Ces systèmes sont relativement lourds mais je pense que, petit à petit, il faudra demander aux sociétés de procéder de cette façon. Une des grandes difficultés que nous avons, en tant qu'experts judiciaires, est que nous intervenons naturellement sur des systèmes qui datent de quelques années. La plupart des experts sont incapables de relire un système qui a dix ans. Qui est aujourd'hui capable de relire une disquette 5'1/4 s'il n'a pas conservé le matériel alors que c'était le support habituel il y a une dizaine d'années ? C'est une vraie problématique.

3. Les perspectives

  • Michel ARMAND-PREVOST

Nous avons une hiérarchisation dans les écrits sur papier, « de la carte postale à l'acte notarié ». Va-t-on vers une hiérarchisation des documents numériques ?

  • Christiane FERAL-SCHUHL

Cela existe déjà dans les documents électroniques puisqu'il est possible d'envoyer un recommandé électronique, il est possible de confidentialiser un document électronique. Il est donc déjà possible de décider d'attribuer un niveau d'authenticité à un document, de qualifier un document électronique pour créer cette hiérarchisation. On a beaucoup parlé de la suppression du papier, mais les entreprises, et chacun de nous d'ailleurs a une propension très claire à multiplier la création d'octets. Imaginez tout simplement que l'on travaille sur un contrat. Avez-vous une idée du nombre de versions que l'on conserve ? En version papier, on conserverait peut-être la première et la dernière version. On ferait ce ménage qui, souvent, n’est pas fait.

Lorsque l'on aborde cette question, on aborde la question plus large du patrimoine informationnel qui n'est pas déconnecté de la politique d'archivage. Sans revenir sur les questions de conservation, une vraie préoccupation, qui doit être celle de chaque chef d'entreprise aujourd'hui, est de savoir ce qu'il faut conserver et ce qu'il ne faut pas conserver. Dans ce qu'il faut conserver, il y a une hiérarchisation entre ce que l'on a envie de conserver à titre informatif, et ce que l’on doit conserver à raison des prescriptions légales, à raison des risques de contrôles dont on peut faire l'objet fiscalement (contrôle de Sécurité sociale ou autres). Toutes ces prescriptions doivent être intégrées dans cette politique d'archivage et vont créer une hiérarchisation par la force des choses puisqu'un délai sera rattaché à la durée de conservation, avec toujours comme préoccupation la possibilité de restituer ces éléments avec toutes les garanties d'intégrité et d'authentification dont on a parlé. Ce qui conduit à s'interroger sur la pertinence des moyens mis en place dans le cadre de l'archivage pour être sûr que cette présomption légale jouera au bénéfice de celui qui souhaitera produire cet élément de preuve.

Je voudrais ajouter qu'il y a une autre préoccupation. Lorsqu'on parle de documents électroniques, il en existe deux types :

  • l'écrit électronique, celui qui est créé, celui que je vais signer électroniquement et adresser à M. le Président BINOCHE dans le cadre d'une procédure,
  • la lettre que je lui aurai envoyée, que j'ai scannée et enregistrée.

L'écrit électronique et la copie ne sont pas sur le même régime juridique. Là, il y a une hiérarchisation dont il faut également tenir compte parce que, lorsque je scanne un courrier, je suis dans la copie, donc dans le champ de l'article 1348 du Code civil. Je suis dans les limites posées par cet article qui prévoit que, à défaut d'original, la copie, pour pouvoir être retenue, doit être la reproduction non seulement fidèle, mais aussi durable du document original. Ce qui pose ici une question. Il y a des techniques, il y a des algorithmes, la numérisation est possible avec certaines précautions, mais on est sorti de la signature électronique. Sur ce terrain, une hiérarchisation et une préoccupation sont à assurer puisque, pour le chef d'entreprise, il y a au final deux préoccupations :

  • La première est d'être en mesure de restituer les éléments dont il aura besoin pour établir la preuve d'un fait ou d'un acte juridique en respectant les conditions légales qui s'imposent ;
  • La deuxième sera d'être certain que ces documents seront effectivement conservés pendant toute la durée nécessaire imposée par les textes, mais qu'aucune contestation ne sera possible sur ces éléments, indépendamment du régime dans lequel on sera, celui de l'écrit électronique "original" et la copie de l'écrit proprement dit qui, aujourd'hui, est encadrée par un texte différent.
  • Michel ARMAND-PREVOST

Maître Lotte, vous avez un complément ?

  • Maurice LOTTE

Il y a bien évidemment une hiérarchisation dans la gestion de ces documents puisque, comme Christiane FERAL-SCHUHL vient de l'évoquer, le fait de passer par la scannerisation de l'original fait que celui-ci passe de la valeur d'original à celle de simple copie. A partir de là, le mode de transmission et le fait que la copie ait été adressée en pièce jointe à un message électronique via une signature, via un cryptage, via une clé privée d'envoi et une clé publique de déchiffrement fera que cette copie deviendra à son tour un original à partir duquel on fera à nouveau une autre copie.

Les outils de conservation spécifiques aux actes d'huissiers sont actuellement archivés sous une forme numérique, généralement du PDF en zip et on passe ensuite par une société de confiance pour l'archivage générique de ces documents. La hiérarchisation viendra simplement de la qualité propre du document, de sa nature même et non pas de la modalité de numérisation et du support sur lequel il est enregistré.

  • Michel ARMAND-PREVOST

Monsieur Le Président Binoche, comment le décret du 28 décembre 2005 relatif à la procédure civile a-t-il intégré l'écrit électronique et donc la preuve immatérielle ?

  • Emmanuel BINOCHE

Nous nous trouvions effectivement à une certaine époque dans l'attente de textes qui viennent à côté de l'acte électronique tel qu'il a été défini par les différents textes qui ont été cités tout à l'heure. Nous étions dans l'attente de textes de même nature pour l'acte de procédure électronique. Nous avons vu ce décret pris le 28 décembre 2005, qui a eu pour effet d'insérer dans le nouveau Code de procédure civile certaines dispositions prévoyant d'abord le fait que ce que l'on appelle le répertoire général, que les avocats connaissent sous son abréviation RG. Le dossier et le registre peuvent être tenus sur support électronique. Le texte le prévoit expressément. Il est indiqué à ce sujet que le système doit garantir l'intégrité et la confidentialité des éléments qu'ils contiennent et permettre d'en assurer la conservation. Là encore, on retrouve toujours ces mêmes items, ces mêmes critères pour inspirer la confiance nécessaire dans ces documents, dans ces répertoires, dans ces registres.

Autres dispositions plus intéressantes encore : celles prévues avec une date d'application indiquée au 1er janvier 2009. Je ne sais pas si l'échéance sera tenue. On sent actuellement une certaine volonté politique. Après, il y a peut-être quelques difficultés, quelques impondérables d'ordre organisationnel ou qui tiennent aussi à la nécessité de procéder à certains investissements. Par ce décret qui remonte à fin 2005, il était prévu que les envois, remises, notifications, les actes de procédures ou convocations, les rapports (rapports d'expertise en particulier), les copies et les expéditions revêtues de la formule exécutoire pourraient être effectués par voie électronique dans certaines conditions. On prévoyait par ailleurs un élément qui me paraît essentiel : le destinataire doit expressément consentir à l'utilisation de la voie électronique. C'est essentiel parce que nous ne sommes pas encore dans une dématérialisation totale. Cette notion de consentement de destinataire nous fait penser à ce qui est prévu dans le cadre de la transaction en ligne, l'article 1369-2 : le consentement préalable de celui qui est amené à être sollicité en ligne.

Là encore, on est au milieu du gué quant à la dématérialisation parce que l'on instaure tout de même le droit du juge à exiger la production de l'original sur support papier lorsqu'il a été établi de cette manière.

Voilà quelques observations que l'on peut donner à ce sujet. Mais surtout les procédés techniques utilisés doivent garantir la fiabilité de l'identification des parties à la communication électronique, l'intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions, également la possibilité d'établir de manière certaine la date d'envoi et celle de la réception par le destinataire. On voit bien qu'il n'y a pas de solution de continuité dans l'esprit de ces textes et on voit bien la logique similaire qui sous-tend tous ces textes.

Il faut ajouter pour être complet que, par dérogation, il est toujours possible de faire rentrer en application cet article 73 qui contient beaucoup de dispositions que je viens de rappeler, notamment, au sujet des envois et l'échange de messages, la possibilité de le faire entrer en vigueur auparavant moyennant arrêté du Garde des Sceaux et que l'ensemble soit prévu par une convention agréée de manière ou d'une autre. Les juridictions qui, d'ores et déjà, fonctionnent dans le cadre d'une convention, ont éventuellement vocation à voir la mise en application de ces dispositions avant l'échéance du 1er janvier 2009. Ce serait déjà très bien si l'on pouvait avoir les équipements nécessaires pour y procéder.

Des dispositions viennent d'être prises en matière de procédure pénale par un décret du 15 novembre 2007 et paru au JO du 17, qui fait suite à l'insertion dans le Code de procédure pénal d'un article 803-1. Cet article prévoit lui aussi de procéder à certaines notifications à avocat, par lettre recommandée ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, mais aussi sous la forme de télécopie avec réception ou envoi adressé par un moyen de télécommunication à l'adresse électronique de l'avocat. Le décret du 15 novembre 2007 (Journal officiel du 17 novembre, n°267 ) donne des possibilités de communication électronique en matière de procédure pénale, en particulier en matière d'instruction et pour les besoins des expertises pénales entre autres. Il y a donc là aussi des avancées au niveau des textes. Il restera maintenant aux infrastructures à se mettre en place.

  • Michel ARMAND-PREVOST

Merci beaucoup. La parole est maintenant à la salle.

  • Michel ENTAT, expert en informatique

Je me projette dans le futur. J'ai bien compris qu'aujourd'hui l'usage du document électronique signé est rare, mais que, néanmoins, cet usage est vraiment sécurisé puisque, en utilisant un certificat de classe 3, on est à peu près sûr de l'authentification du signataire et de l'intégrité du document. Toutefois, pour moi, on a tendance à assimiler la signature électronique à la signature manuscrite et à considérer que le signataire était d'accord avec ce que dit le document. Sans être spécialiste, je crois que les textes aujourd'hui renforcent cette appréciation. Ma préoccupation est que la signature électronique se fait non seulement avec un certificat, mais au travers d'un dispositif de signature qui rend le processus très différent de la signature manuscrite. On avait un parapheur, on tourne les pages, on paraphe en bas de chaque page et l'on sait ce que l'on signe. Avec la signature électronique on a un fichier, on choisit même son fichier et à ce moment, selon le logiciel, le fichier apparaît ou n'apparaît pas à l'écran, mais de toute façon pas dans sa totalité. C'est à l'écran et on signe en indiquant son code PIN comme pour la carte bleue. Je me demande si on ne sera pas amené à évaluer la réelle volonté du signataire par rapport au contenu du document.

  • Michel ARMAND-PREVOST

Merci monsieur. Le magistrat va vous répondre.

  • Emmanuel BINOCHE

L’article 1108-1 dit très clairement : "Lorsqu'il est exigé une mention écrite de la main même de celui qui s'oblige (c'est-à-dire qui contracte une obligation), ce dernier peut l'apposer sous forme électronique (ce n'est évidemment pas sous forme manuscrite) si les conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu'elle ne peut être effectuée que par lui-même." Cela veut dire que là, encore, on fait le lien entre l'auteur de la mention et la mention elle-même. On en déduit qu'elle consent à ces termes, mais c'est le critère qui est déterminé et qui n'est pas différent de celui qui existe lorsqu'il s'agit d'une mention manuscrite, puisque l'idée de la mention manuscrite est d'avoir la présomption la plus grande par le fait qu'il a pris son stylo et que, dans le prolongement de sa main, le stylo a rédigé une phrase que n'a pas rédigée une dactylographe ou quelqu'un sur son traitement de texte. C'est le même esprit qui préside à ce type d'écrit électronique portant mention supposée émaner de la main de son auteur.

  • Jacques HUILLIER, avocat, membre du Conseil de l'ordre

J'ai été chargé par le Bâtonnier de m'occuper de la communication électronique. A quoi servira concrètement la signature électronique ? Maître Lotte rappelait que, pour la signification d'un acte, on ne pourrait jamais signifier un acte par voie électronique, sauf à supposer que tout le monde est équipé d'un système informatique, il y aura toujours au bout du bout de la chaîne un support papier pour délivrer l'acte, pour signifier l'acte sur un support papier, quel que soit l'état d'avancement de l'électronique. A terme, est-ce que la signature électronique pourra avoir une utilité concrète , étant entendu que nous échangeons aujourd'hui tous des milliers, des milliards de communications électroniques confidentielles, secrètes, par un système non sécurisé, par l'Internet sans, jusqu'à présent, qu'aucun problème n'ait été rencontré ?

  • Maurice LOTTE

Je rappelle rapidement qu'il est bien évident que, lors de la rédaction et de la signification d'un acte, l'huissier de justice qui remettra la copie de cet acte ne peut remettre qu'un support papier puisque la validité de cet acte ne résultera que des conditions de signification. Il y a donc un rapport en face à face avec le destinataire de l'acte. Je le lui remets, éventuellement il m'en donne récépissé ou visa et je reproduis. C'est là que la signature électronique prendra son sens, ses modalités de signification dans mes originaux. Mes originaux, eux, seront conservés sous forme numérique. Ils sont signés numériquement, conservés dans les conditions que j'évoquais tout à l'heure par un tiers archiveur de confiance dans ce que l'on appellera à terme à la Chambre nationale des huissiers de justice le minutier central. La signature ne vaudra que dans la certification du signataire de cet acte qui certifie l'intégrité de son contenu dans le cadre des communications, notifications et transmissions du second original de l'acte d'huissier une fois les formalités de signification accomplies.

Bien évidemment, dans le cadre de l'accomplissement de la signification de l'acte, qui est l'étape qui donnera toute sa valeur et tout son sens à l'existence de l'acte d'huissier, la signature électronique n'a pas de sens. Elle n'a de sens qu'ultérieurement, après régularisation de l'acte dans les conditions de transmission et de communication aux parties et aux tiers.

  • Bernard DELAFAYE

Je voudrais rebondir sur ce que vous venez de dire, maître Lotte. Vous avez dit très justement qu'il fallait un contact physique, vraiment réel pour que vous accomplissiez votre finalité, et qu'une seule chose pouvait le permettre : le support papier. Je vous signale que le "P" de PRESAJE est "Prospective". Je ne vais donc pas me contenter de la photographie du passé et peut-être du présent que vous venez de nous fournir. Je voudrais me projeter dans l'avenir et je me pose la question de savoir si nous ne sommes pas, vous comme tous ici pratiquement, un peu trop conservateurs ? Est-ce que, un de ces jours, ne va pas sonner le glas des règles actuelles de signification des actes ? Est-ce que, un de ces jours, ne va pas sonner le glas du support papier comme essentiel à la mission des huissiers de justice ?

  • Maurice LOTTE

Vous avez raison. Le "P" de PRESAJE est "Prospective" et les huissiers, malgré l'aura de vieille profession, de partisans du papier, des vieilles formules et du vocabulaire obsolète, sont sur ce sujet aujourd'hui dans une véritable volonté de modernité. Je partage complètement votre sentiment s'agissant des règles de signification des actes associées au support qu'est l'acte d'huissier. Ne perdons toutefois jamais de vue que "les actes d'huissiers" ont une immense diversité.

Je veux bien que l'on parle beaucoup de prospective. Malgré tout mon degré de réflexion, comment faire en sorte qu'une mesure de saisie-vente, qu'une mesure de saisie-appréhension d'un véhicule terrestre à moteur et, au-delà, une mesure d'expulsion, puissent se faire sans règle de signification autre qu'un déplacement, d'un contact physique de l'huissier avec le destinataire ou la partie ou la personne qu'il est en charge d'exécuter ou à l'égard duquel il faudra mettre à exécution la décision de justice ?

S'agissant des actes à caractère informatif, les assignations, les significations de décision, ce serait envisageable. S'il nous est demain possible d'adresser par voie électronique la signification d'un acte à un destinataire sous la réserve que celui-ci ait fait valoir son consentement pour le recevoir sous cette forme et que nous ayons en échange à cet envoi un accusé de réception, un récépissé daté, heuré qui nous permette d'attester sans aucune contestation que l'acte a été régulièrement sinon signifié, au moins transmis dans des conditions non contestables, bien sûr, pourquoi pas ? Même en matière de voie d'exécution il y a vis-à-vis des mesures d'exécution à l'égard des tiers les procédures de saisie-attribution. Pourquoi ne pourrions-nous pas également envisager, au même titre que le font le Trésor public dans le cadre des avis à tiers détenteur ou les offices de protection sociale dans le cadre des oppositions à tiers détenteur, la possibilité de transmettre ces actes d'exécution - qui ne sont aujourd'hui encore que de la seule et unique compétence de l'huissier de justice, au tiers sous cette forme ?

  • François BOUCHON

Je continue sur la prospective. Excusez-moi, je ne vois pas tellement l'avenir du papier. Je prends un cas que nous connaissons tous : procès-verbal de stationnement, on ne paie pas tout de suite. On transmet à un huissier pour le recouvrement. L'Administration dispose des relevés et références bancaires. Tout peut donc fort bien se passer complètement par électronique…

  • Maurice LOTTE

Je vous arrête. Vous êtes dans une matière où l'intervention de l'huissier de justice est inexistante. Le débat sur ce thème spécifique de recouvrement des amendes est intéressant puisque c'est peut-être un des domaines dans lequel l'huissier de justice intervient, oui, mais de manière exclusivement dématérialisée. Il est quasiment virtuel. Nous avons déjà le titre exécutoire émis par le service des amendes du Trésor public dont on sait qu'il n'est lui-même que virtuel, titre collectif, dématérialisé. Ensuite, les services du Trésor public, via éventuellement certaines plateformes d'agences de recouvrement, derrière lesquelles on a, ou pas, des huissiers de justice, vous transmettront par voie dématérialisée, par mail ou par courrier qui vous dira : "Je suis chargé de procéder au recouvrement". Vous payez et c'est fini. Il n'y pas de signification, il n'y a pas d'acte d'huissier, pas de responsabilité ni civile ni financière. On est parfaitement en dehors de l'exécution d'un titre exécutoire en matière civile et commerciale.

  • Jacqueline DERAY, informaticienne

Je suis expert en informatique auprès de la cour d'appel de Versailles. Je rejoins la prudence de M. LIPSKI en matière de support magnétique et d'informatique. Nous avons aujourd'hui deux populations : les entreprises, les administrations qui sont extrêmement averties et le grand public qui, lui, est extrêmement fragile.

Je citerai un seul cas où l'on se trouve dans ce que définissait Me FERAL-SCHUHL : le milieu du gué. J'ai découvert un site de l'Education nationale dans lequel des inscriptions formelles à des concours étaient uniquement matérialisées par l'impression d'un document. Or, il n'y avait aucun trace de fin de transaction, aucune assurance que les documents étaient vraiment émis et, pour de braves jeunes gens, pourtant férus d'informatique et justement férus d'informatique, le mariage entre le papier et l'électronique n'apparaissait pas évident. Il n'y a pas eu, je pense, auprès des tribunaux administratifs de plainte, mais c'est un exemple d'aberration complète dans le grand public de laisser à des gens moyennement informés des mérites du traitement de l'information.

  • Michel ROUGER, président de l’institut PRESAJE

Avant que la table ronde ne se sépare, je voudrais donner quelques informations sur l'origine de la deuxième table ronde. Cette deuxième table ronde nous est venue par l'intermédiaire de ce jeune magistrat Thomas CASSUTO, vice-président au TGI de Nanterre, qui nous a fait connaître Alexis RIMBAUD, l'auteur de l'ouvrage sur lequel nous allons venir autour de cette table ronde. J'ai personnellement été étonné lorsque j'ai vu dans quelles conditions le développement de toutes les techniques de numérisation et toutes les techniques de stockage des informations avait entraîné des modifications plus que substantielles dans les investigations faites au cours des procédures pénales, qu'il s'agisse de délits de type financier ou de crimes de sang. Comme Alexis RIMBAUD, l'auteur du livre, est beaucoup intervenu pour de nombreux juges d'instruction ou pour de nombreux services de police dans la réalisation de ces investigations, nous avons pu constater, lorsqu'il nous a présenté les premiers éléments de son futur ouvrage, qu'il y avait un vrai débat à ouvrir, d'autant plus que, vous le savez tous, les expertises qui peuvent découler des enquêtes faites dans les procédures pénales n'ont pas de caractère contradictoire, à tout le moins au moment où elles sont réalisées. Il y avait donc véritablement à poser sur la table les conditions dans lesquelles ces opérations se faisaient pour la sécurité des justiciables que nous sommes tous.

C'est là l'origine de la deuxième table ronde qui va se dérouler sous l'autorité de Thomas CASSUTO