Le développement durable, pour qui ?
Michel Drancourt confronte les aspirations à la croissance économique avec les impératifs de protection de la planète. Il analyse les différents courants de pensée sur le sujet, les risques de pénuries et de protectionnisme, et souligne l'importance d'une approche globale et durable pour le bien-être de l'humanité.

Les philosophes des Lumières, les pères de la révolution industrielle et plusieurs générations d'économistes avaient oublié que les prélèvements sur la nature ont un coût. On voit à l'inverse apparaitre aujourd'hui des courants écologistes qui plaident pour un encadrement très strict des activités humaines. Comment trouver le bon équilibre entre protection de la planète et réponse aux aspirations des nouveaux invites au banquet de la croissance ?

Il y a deux façons d'aborder les problèmes liés au développement durable. Les pionniers ont surtout mis l'accent sur la préservation de la nature et les risques du réchauffement de la planète. Un deuxième courant, déjà perceptible dans les années 70 avec le Club de Rome, s'est surtout interroge sur la possibilité d'assurer le fonctionnement d'une société de plus en plus nombreuse, aux consommations croissantes. L'inquiétude écologique n'a pas disparu mais celle qui est engendrée par le défi des raretés devient majeure.

Quelques rappels de chiffres montrent qu'elle est fondée.

En 1950, on comptait (d'après le FMI) 53 millions de véhicules automobiles dans le monde. En 2007, ils étaient 600 millions. Les prévisions sont de près de 3 milliards en 2050 dont 500 millions en Chine. Ce ne seront pas les mêmes véhicules qu'aujourd'hui, mais ils consommeront tout de même de l'énergie dont les prix ne baisseront pas par miracle. Alors même que les consommations des humains d'aujourd'hui sont appelées à croitre, il faut prévoir celle des 2,5 milliards d'hommes qui vont grossir la population mondiale dans les toutes prochaines décennies, soit l'équivalent de ce qu'était la population mondiale totale en 1950. On assiste depuis peu à des secousses à caractère « dramatique » à propos des insuffisances alimentaires qui touchent au moins 800 millions de personnes (alors que bientôt le nombre des obeses - y compris en Chine - sera équivalent a celui des sousalimentes). Ces désordres sont parmi les plus inquiétants, notamment parce que les terres arables disponibles sont très réduites.

Il faut donc de nouvelles révolutions agricoles. On n'évitera pas non plus le risque du protectionnisme égoïste. Des pays qui refusaient les accords de l'OMC parce que l'Europe et les Etats-Unis n'ouvraient pas assez leurs frontières à leurs produits agricoles ont décidé récemment de taxer leurs exportations, voire de les interdire.

Ce n'est pas, tant s'en faut, le seul risque de dérives. Elles existent dans la course aux matières premières. Elles se manifestent dans la recherche de l'eau. Elles sont inévitables dans l'utilisation de l'énergie si les techniques d'utilisation n'évoluent pas rapidement, notamment dans le charbon qui est l'énergie fossile la plus polluante aujourd'hui, mais promise au développement le plus ample dans les prochaines années. Raretés, risques réels de pénuries et de catastrophes écologiques provoquées par l'exploitation excessive des ressources, risques résultant du court-termisme financier qui conduit trop souvent à des gaspillages de moyens, risques lies à toutes les formes de protectionnismes, désir aussi de certains à imposer à tous une vision angélique du développement durable, tous ces facteurs peuvent conduire à faire oublier ce qui est réellement en cause dans le combat pour le réchauffement : l'homme. La nature certes est essentielle. Mais à quoi servirait une nature de rêve si pour l'obtenir on était conduit à multiplier les règlementations, à édicter sans cesse des interdits, à remplacer, finalement, la dictature a la soviétique (un désastre pour le développement durable et pour l'homme) par une autre forme de dictature ?

Les encyclopédistes du siècle des Lumières et leurs descendants ont milite pour que le progrès technique contribue à favoriser la liberté des personnes et des groupes. Ils ont oublié, comme les économistes qui ont suivi, y compris des keynésiens, que les prélèvements sur la nature avaient un coût. Ils ont oublié aussi que le monde n'était pas peuple uniquement de sages. Ce n'est pas une raison pour oublier leur apport politique. Ce qui est en cause, au-delà des exigences du développement durable, c'est finalement le mode de fonctionnement des sociétés avec des populations qui ont cru beaucoup plus en un siècle qu'au cours des 40 000 générations qui nous séparent de la captation du feu par l'homme.

Si les Occidentaux sont attachés à celui dont ils sont porteurs, il est urgent qu'ils agissent pour le rendre durable, par l'innovation, par la concertation mondiale, par la modernisation des méthodes et des productions, et au-delà, comme le disait Bergson, par un supplément d'âme.