L'avocat : Confident Loyal ou Dénonciateur Légal ?
Michel Rouger analyse les pressions sociétales qui poussent à la transparence et à la révélation d'informations, et les défis éthiques que cela pose à la profession d'avocat. Il souligne l'importance de la conscience individuelle et de la responsabilité dans la prise de décision face à ces obligations antagonistes.

Les temps sont durs pour le secret : il est traqué jusque dans son ultime refuge, le cabinet d'avocat. On oublie trop vite que le secret est protecteur de l'être humain. Pourquoi alors chercher à le pourchasser comme une bête nuisible vouée à la curée médiatique ?

Parce que nos sociétés sont dominées par l'obsession de l'exhibition, par la manie du soupçon, dont la déclaration pose aujourd'hui un réel problème à la profession d'avocat et à ceux qui en font leur confident.

L'image de la victime, icône de la société d'exhibition

Jadis, dans les sociétés rurales, la compassion collective s'exprimait naturellement à l'égard des victimes, qu'on exhibait même à cette fin dans les foires. Dans notre système judiciaire moderne, inquisitoire, où le procureur dirige seul le processus de punition, la victime n'a donc plus eu l'occasion d'exprimer sa souffrance et de recueillir la compassion.

Elle obtient désormais satisfaction grâce à la télévision qui a industrialisé le business modèle exhibition -compassion, et donné sans le vouloir une arme nouvelle aux fous qui ont décapité les otages de Bagdad.

C'est ainsi qu'on s'est accoutumé à voir tout constamment révélé et exhibé jusqu'à la nausée. Au risque de voir resurgir le droit à la vengeance et son corollaire, le recours à la dénonciation.

L'exigence de transparence et l'obligation d'informer

L'exigence de transparence et d'information de la part des Victimes a une explication : dans nos sociétés modernes, ne pas savoir, ne pas connaître, met en situation de faiblesse, voire exclut du jeu social ou économique.

Le discrédit jeté sur le secret a une autre origine. D'abord, au motif qu'il nourrissait les névroses familiales, le mouvement psychanalytique l'a condamné. Ensuite, dans nos démocraties égalitaristes, posséder un secret apparaît comme un privilège injustifié.

On n'hésite donc plus à contester le secret de la femme qui a accouché sous X, celui de leurs sources aux journalistes et même celui de la confession.

Mais la révélation forcée d'informations est mal vécue : la moitié des entreprises soumises aux nouvelles règles de transparence (loi sur les Nouvelles Régulations Economiques, Loi sur la Sécurité Financière), pour y échapper, ont changé de forme sociale ou délocalisé leur siège à l'étranger.

La protection de la vie privée cède sous la double influence des nouvelles technologies et de la lutte contre le terrorisme : fichiers planétaires de voyageurs, caméras de télésurveillance, téléphone portable, GPS, carte de crédit ou de transport enregistrent déjà tous nos mouvements.

Et que pèsera demain le secret médical face à l'informatisation des dossiers des patients destinée à préserver l'équilibre de la sécurité sociale ?

Le soupçon et la dénonciation

Au fur et à mesure que l'économie de marché globalisée s'est imposée, créant des systèmes complexes difficilement contrôlables, le monde des hors-la-loi, éternel parasite du commerce légal, a opéré sa propre mutation vers une économie de trafics mondialisée.

L'économie souterraine n'a désormais plus de frontières : on le voit avec les marchés de la drogue, la traite d'êtres humains, les « privatisations » sauvages des Etats totalitaires, la fraude fiscale et la corruption. Abritée dans des zones de non droit, elle échappe au contrôle de toutes les institutions et génère un soupçon général irrépressible, renforcé par quelques grandes escroqueries à l'intérieur même des Etats de droit.

Il ne faut donc pas s'étonner que l'avocat, qui côtoie quotidiennement l'économie de marché dans son cabinet, croise un jour ou l'autre l'économie de trafics, et donc qu'il soit sollicité pour la dénoncer. Certes, l'autorité qui fait appel à la dénonciation, dit faire la différence entre l'avocat conseiller exposé à l'obligation de dénonciation, et l'avocat défenseur tenu au devoir de secret.

Mais comment faire cette différence lourde de conséquences, face au client et à ses projets ou préoccupations ? Comment trier entre le licite et l'illicite dans le fatras de règles édictées par quelques 200 Etats ?

Il faut pourtant lutter contre l'économie de trafics, mortelle à terme pour l'économie de marché. Les choix à faire, face à cette nécessité impérieuse, ressortent de la conscience individuelle de celui qui devra arbitrer entre ces deux obligations antagonistes.

C'est ce devoir de référence à sa conscience, lié à sa responsabilité d'assumer les choix opérés, qui donne une nouvelle noblesse à la profession d'avocat, dont l'exercice fait de dignité et de loyauté aidera la société à retrouver confiance et équilibre.

Dans le secret de chaque cabinet, évidemment.