Introduction : La Justice à l'Épreuve de la Preuve Immatérielle
Introduction du colloque sur le thème de la Justice à l'épreuve de la preuve immatérielle, organisé en partenariat avec l'Ordre des avocats de Paris à la Maison du barreau. Le Bâtonnier, Yves Repiquet, ouvre les débats.

Le sujet qui a été choisi : "La justice à l'épreuve de la preuve immatérielle" est un sujet très important, qui s'inscrit dans ce qu’a toujours recherché PRESAJE, c'est-à-dire d'être non seulement dans la prospective, mais aussi dans la réalité quotidienne.

La Preuve et l'Immatériel, voilà deux notions qui paraissent non pas antinomiques, mais bien étrangères l'une à l'autre. Dans le procès, la preuve doit être le terrain de la matérialité, du concret, du réel, du palpable, de l'objectif. L'immatériel, l'évanescent, ce que l'on n'arrive pas justement à palper, à capter, à percevoir, à mettre sur un support accessible facilement à l'homme semble devoir rester étranger au droit de la preuve.

Pourtant, juges, magistrats et avocats, nous pratiquons tous depuis des décennies la preuve immatérielle. Et cela depuis que l'usage de la photocopieuse est partagé par le plus grand nombre pour ne pas dire par tous, et peut-être même depuis plus longtemps encore. En effet, dans le procès civil, combien de fois entend-on un juge ou un avocat demander que soit produite la pièce originale ? Il est très rare que le cas se présente, sans pour autant que la preuve perde en "qualité", en force probante. C'est qu'une preuve s'apprécie rarement ex nihilo, elle s'inscrit dans un ensemble d'un faisceau de preuves, d'autres preuves, d'autres informations et de pratiques qui concourent à sa crédibilité, c'est-à-dire sa force probante.

Par le truchement de la photocopie, qui devient le mode de circulation d'une information probatoire, dont l'original est conservé par l'une des parties, voire un tiers, chacun des acteurs du procès accorde sa confiance à l'information probatoire dont elle est le vecteur. Finalement, la preuve a toujours reposé sur la confiance, confiance dans le support qui la renferme, mais aussi dans la personne, c'est-à-dire le professionnel qui l'utilise. Et déjà, on le comprend, l'immatériel s'immisce dans le droit de la preuve. On pourrait même dire qu'il le sous-tend.

L'écrit moderne étant immatériel, déjà les procès commerciaux sont envahis d'e-mails que chacun s'oppose mais que personne ne dénie, de communications entre avocats et juridictions. Personne ne dénie la force probante de ce support. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de constater que lorsque l'on produit à des fins probatoires un e-mail, un courrier électronique. Quant au pénal, la preuve est libre.

Un décret a été publié à la suite de la loi du 5 mars 2007, qui permettra désormais aux avocats d'avoir un accès direct, par le biais de l'Internet, aux dossiers en matière pénale. Je considère pour ma part que cette évolution relève de la révolution et que c'est enfin le moyen le plus adapté, le plus sûr de garantir l'exercice des droits de la défense dans une information judiciaire. Il y avait quelque chose d'anormal, à l'époque où nous vivons, à ce qu'il faille qu'un cabinet d'avocat envoie l'un des siens frapper à la porte d'un juge d'instruction pour avoir accès au dossier, le consulter, commander une copie. Il est normal que, dans un exercice complet des droits de la défense, l'avocat puisse avoir un accès direct et en temps réel, pour pouvoir exercer véritablement les droits de la défense.

Le fait que des avocats puissent désormais indiquer leur adresse électronique aux magistrats instructeurs fera qu'ils recevront des notifications des actes de la procédure et, singulièrement, l'acte final qui sera l'ordonnance de règlement. Ce qui permet un meilleur exercice des droits de la défense, car la jurisprudence a tranché non pas pour la date de réception de la notification de l'acte mais pour son émission, si bien que, dans des délais assez courts, l'avocat perdait un nombre de jours importants pour l'exercice des droits de la défense. Nous sommes donc véritablement au cœur d'un sujet plus général qui touche à l'ensemble de nos procédures.

Finalement, ce que preuves matérielle et immatérielle ont en en commun, c'est bien la confiance. Quelle confiance accorder à la preuve immatérielle ? Comment accorder sa confiance à une preuve immatérielle ? A quel acteur du processus de réalisation d'une preuve matérielle accorder ou ne pas accorder sa confiance ? C'est aujourd'hui le nouveau paradigme à inventer.

Dans cette recherche, deux considérations peuvent, me semble-t-il, nous servir de guide :

  • Ne cherchons pas à vouloir doter la preuve immatérielle de ce que la preuve matérielle n'a jamais eu : l'infaillibilité,
  • N'oublions pas que ce qui n'est pas contesté n'a pas à être prouvé.

Je vous remercie.