J’ai été membre d’Eurojust entre 2004 et 2008 et, à l’époque, cette institution était considérée avec une certaine distance par les juridictions nationales. Peu à peu, elle a réussi à s’ancrer dans le paysage judiciaire. Aux alentours de 2004 et 2005, seulement 17 équipes communes d’enquête avaient été constituées, essentiellement des équipes franco-espagnoles. Aujourd’hui, elles sont beaucoup plus répandues, d’autant qu’elles bénéficient de financements européens. Je veux illustrer par ces exemples que l’appropriation par les professionnels de Justice des instruments de la coopération judiciaire est lente, mais se réalise peu à peu.
La construction européenne apparaît cependant passablement chaotique : les actions communes sont devenues des décisions-cadres, les décisions-cadres se transforment à présent en directives ou règlements…. Ce travail normatif de reconstruction permanente est très lourd et n’est pas forcément lisible.
On peut également déplorer que les relations entre police et justice ne soient toujours pas très claires au niveau communautaire. La décision de 2009 sur Europol ne disait pas un mot d’Eurojust, alors que celui-ci avait été installé en 2002 à La Haye avec, parmi ses missions, l’objectif de renforcer les liens entre police et justice pour la conduite des enquêtes et poursuites. Il a aussi fallu plus de cinq ans pour établir une ligne sécurisée reliant les cinq kilomètres qui séparaient les deux bâtiments. Au-delà de l’anecdote, c’est une vraie question que de savoir quelle relation on souhaite établir au niveau européen entre police et justice et quel mode de direction on veut adopter pour la police judiciaire : le modèle continental ou le modèle anglo-saxon.
Enfin, nous devons garder à l’esprit l’objectif d’efficacité de la coopération pénale. L’Europe est confrontée de façon massive au crime organisé, au trafic de stupéfiants, à la traite d’êtres humains, à des entreprises terroristes. Elle doit mener une action beaucoup plus déterminée pour lutter contre ces fléaux et doit à cet effet instaurer entre les différents pays des relations à la fois fluides, construites et concertées. Or, il lui arrive de tomber dans le piège d’échevaux procéduraux que facilitent certains instruments. Cette dynamique doit au demeurant dépasser le strict cadre européen puisque les grands trafics internationaux puisent leurs racines aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union.