Première idée
Référence au doyen Carbonnier « tandis que le juriste a pour but d'analyser, d'expliquer, la loi et les décisions de justice qui font le droit positif, le sociologue du droit s'efforce de les observer du dehors dans leur genèse et dans leurs actions comme de simples phénomènes sociaux parmi bien d'autres » ce que permet une expérience longue et diversifiée.
Deuxième idée
On ne peut pas observer la genèse du droit, ni les actions d'application qu'il entraîne dans l'économie sans passer par un rappel de quelques banalités liées au rapports de la société française avec ses institutions politiques détentrices du pouvoir , avec l'argent qui est le nerf de la guerre économique, et enfin avec le droit dont le respect conditionne la vie des peuples libres.
Troisième idée
La société française s'est installée depuis quarante ans dans un système de monarchie relative Dans le système de monarchie absolue comme dans le système impérial les choses sont claires. les pouvoirs d'incarner le royaume ou l'empire et ceux de le gouverner sont concentrés en une seule personne. L'état c'est moi disait le monarque absolu le monarque relatif issu de l'élection populaire reçoit la mission suprême d'incarner le peuple souverain. Intouchable au regard des contingences qui affectent les autres citoyens, Il règne mais il ne devrait pas gouverner puisqu'il échappe à tout contrôle et à toute sanction autre que le suffrage universel dont on connaît les aléas (2002). Tout cela est devenue parfaitement théorique de l'instant où le président élu domine le gouvernement et le Parlement. Le principal effet de ce système de monarchie relative est que l' ETAT s'est installée au coeur de la société française comme le seul instrument de pouvoir capable de corriger les errements de ce système à mi-chemin entre la monarchie classique et de la démocratie représentative des sociétés développées modernes cette présence de l' ETAT , de l'ensemble de ses administrations au coeur de la société française détermine le rapport de toute la société avec l'argent, puis avec le Droit, donc avec l'économie.
Quatrième idée
On ne peut pas imaginer que l'économie puisse développer ses projets ses entreprises et leurs investissements sans disposer de l' argent dont disposent par ailleurs les concurrents de l'économie concurrentielle mondiale ouverte par ce fait même elle entre en concurrence directe avec l' ETAT qui développe ses propres besoins de financement dont l'augmentation infinie est consubstantielle à la nature de toute administration ( voir Parkinson), besoins qu'il satisfait par la priorité de l'impôt obligatoire sur l'épargne libre au surplus l' ETAT reçoit une mission régalienne de garantir à la société un des trois termes de sa devise républicaine, l'égalité.
Il convient donc qu'il ait à l'égard de l'argent de l'économie, phénoménal instrument de pouvoir, réputée créatrice d'inégalités par ce que créatrice de richesse, une attitude de contrôle et de contraintes c'est ainsi que s'est affirmé dans la société française le triptyque de la notion de service public égalitaire, de la notion d'épargne à court terme conservée à la disposition de l' ETAT, de la notion d'impôt qui absorbe plus de la moitié de ce que produit la société cette situation a conduit l' économie française à rechercher les capitaux dont elle avait besoin en dehors de la société française lorsque le l'ouverture internationale des marchés a fait sauter, il y a une vingtaine d'années les barrières à l'intérieur desquelles l'état français pouvait organiser son pouvoir sans opposition
Cinquième idée
Privée d'une partie de ses moyens de contrôle et de contrainte par l'introduction en France du système d'économie ouverte, mondiale, concurrentielle, par le triple phénomène de l'effondrement des systèmes d'économie collectiviste fermée, de la domination du système d'économie marchande Américaine, et de la mondialisation des activités financières l' ETAT français s'est réfugié, pour assurer ses contrôles et ses contraintes, dans la partie du droit qu'il pouvait encore imposer à la société continuant à résister au développement des rapports contractuels naturels entre les opérateurs économiques, inquiet, à juste titre, de voir l'origine même de notre droit écrit supplanté par la « common law », l' ETAT affirme, pour l'essentiel, sa volonté et son action de contrainte au travers des deux ordres des tribunaux d'état, l'ordre judiciaire et l'ordre administratif
Sixième idée
En résumé les trois spécificités structurelles propres à la France l' ETAT régalien au centre de tout, l'épargne systématiquement affaiblie par rapport à l'impôt, le contrat systématiquement substitué par la loi ont fait que tout est structurellement réuni pour créer une fracture , une incompatibilité entre le droit positif français et l'économie française (1992 « le droit positif français est à économique »)
Septième idée
Pour aborder les mécanismes techniques et les modes opératoires par laquelle le droit positif français issu du parlement et de la jurisprudence fonctionnent il faut analyser successivement la genèse de la loi, du règlement et de leur application
Huitième idée
Il y a trois ans, au cours de notre colloque annuel « les entretiens de Saintes » nous avons abordé avec les plus hautes autorités judiciaires, confrontées aux représentant de l' ETAT, du parlement, et aux ténors du barreau, le sujet « fait-on encore la loi chez soi ? » la réponse fut claire NON.
Par contre on fait beaucoup de règlement, énormément de règlements, souvent baptisés lois, des règlements qui complètent la loi, qui la mettent au goût de l'administration, le plus souvent qui en retardent l'application, voire qui la transforment.
On ne fait plus le cadre de la loi chez soi. les institutions européennes le font à notre place, nous laissant, par le terme amusant de subsidiarité un espace de liberté qui tend à se rétrécir au point de rendre l'application contestée, contournée. comme cela semble de règle depuis la déstabilisation du pacte dit de stabilité
Neuvième idée
Quand on conjugue l'affaiblissement du parlement devant le pouvoir exécutif, l'obligation de respecter les directives de l'union européenne, avec la puissance d'un système économique français qui occupe la cinquième place de l'économie ouverte mondiale et qui est financé à hauteur de 40 % par des capitaux étrangers on comprend à quel point l' ETAT doit lutter au quotidien pour conserver ses prérogatives.
Pour l'essentiel il y arrive grâce à la présence de nombreux de ses membres au sein d' une institution très originale et très française, les cabinets ministériels. C'est en ces lieux préservés des foucades du peuple et de ses représentants que se fabriquent tous les textes, toutes les normes permettant de contrôler et de contraindre la société France et plus spécialement l'économie
Dixième idée
Les textes élaborés dans les cabinets ministériels ont une double particularité. Ils ont tendance à être verticaux , c'est-à-dire à éviter toute transversalité, tout partage avec un autre cabinet, qui ferait perdre l'avantage politique que peut en tirer le ministre auquel appartient le cabinet auteur originel. Pour aboutir ces textes doivent être négociés avec quatre partenaires adversaires, les commissions parlementaires, à tout le moins leurs personnels administratifs, le conseil d'Etat, les autres cabinets, et les partenaires sociaux porteurs des nuisances médiatiques qui, à nouveau risqueraient de gêner le ministre qui a chargé son cabinet de créer le texte auquel si possible il donnera son nom une fois négociés avec le minimum de casse, ces textes doivent être arbitrés 2 fois, en passant par 2 autres cabinets, Matignon et l'Elysée. Ce qui sort de cette moulinette est parfois original ce n'est pas une caricature c'est ce qui se produit tous les jours avec une conséquence évidente toute entreprise, toute branche, tous secteurs de l'économie qui voudra, directement, ou par ses représentants professionnels, faire connaître et si besoin partager son point de vue sur les projets de texte n'a aucun autre moyen que d'intervenir utilement au niveau des cabinets ministériels, en cachette évidemment il fut un temps où la liaison avec un parlementaire influent permettait de faire passer des messages ce n'est plus le cas
Onzième idée
Les textes ainsi négociés, arbitrés, élaborés dans la seule structure étatique , sont très peu amendés par le parlement en raison de la domination institutionnelle qu'exerce le parti du président élu sur l'ensemble des institutions. Il s'ensuit que le monde économique, privé des moyens classiques offerts par les institutions des pays de leurs concurrents n'a pas d'autres moyens pour défendre son point de vue, présenter ses arguments, que celui, classique, dans les démocraties ouvertes, du lobbying. Mais comme en France cette activité n'est pas reconnue au motif que l' ETAT ne peut pas laisser apparaître qu'il négocie avec des intérêts privés non estampillés de la marque sociale, il faut que ce lobbying soit exercé au sein des institutions européennes qui sont devenues le censeur suprême dans la genèse du droit positif français
Douzième idée
Quand on observe de façon neutre et externe l'élaboration de la loi France on doit retenir qu'elle se déroule en 3 phases La phase de première élaboration, à l'intérieur d'une session parlementaire, au cours de laquelle les cabinets ministériels auront du recevoir, pour l'essentiel du texte, l'onction parlementaire qui engage le peuple La phase de préparation à l'application qui appartient totalement aux différentes administrations de l' ETAT, maîtresses aussi bien du fond, de la forme que des délais, sans contrôle ni sanctions c'est ainsi que, pour préserver ce pouvoir régalien de l' ETAT, tous les textes prévoient de nombreux décrets d'application dont le pullulement et la somme donneront à la loi et à son expression finale des formes qui échapperont au parlement qui a engagé le peuple dans la phase préalable.
La phase d'interprétation des textes, le plus souvent confiée à des autorités internes aux administrations, au point de voir une concurrence s'installer entre elles est les tribunaux judiciaires
Quinzième idée
Si l'on reconnaît cette réalité, on ne peut que constater l'extrême fragilité d'un système juridique construit dans ces conditions le plus souvent sans tenir aucun compte de la vie quotidienne et des contraintes du système économique libre et ouvert qui s'est installé dans le pays depuis une vingtaine d'années c'est ainsi, que pour compenser cette fragilité née d'un respect approximatif des règles de base d'un état de droit les administrations d'état ont toutes procédé de la même manière en créant leurs propres autorités administratives indépendantes qui ne sont en fait que des tribunaux sans le nom qui vont se charger de l'application des textes normalement dévolus soit aux tribunaux de l'ordre administratif soit à ceux de l'ordre judiciaire
Seizième idée
Il n'est pas certain que l' institution de ces autorités, dites de régulation, ne soient, en définitive, pénalisantes pour la vie économique. Il faut sur ce sujet faire référence à un exposé fait par le premier Président de la Cour de cassation , Guy CANIVET, devant vos collègues de la ,société d'économie politique de Paris dont je partage l'analyse
Dix-septième idée
Par contre une des conséquences dramatiques du comportement des administrations d' Etat dans l' élaboration des textes et dans leur application tient à la sur pénalisation introduite dans l'ensemble du droit positif français Tout observateur lucide ne peut s'empêcher de considérer que les administrations, conscientes du manque de base véritablement démocratiques à leurs constructions normatives, ont voulu en forcer le respect par la peur de la contravention ou du délit C'est la que la dérive est destructrice pour la vie économique Bien que l'administration puisse prétendre réguler par le règlement en maîtrisant son application civile ou commerciale, elle n'est ni crédible, ni reconnue compétente lorsqu'il s'agit d'une application pénale. C'est alors que la concurrence devient exacerbée entre ces autorités et les tribunaux de l'ordre judiciaire conduits à rétablir leur propre autorité en l'affirmant par leur pouvoir pénal fortement investigateur et sanctionnateur.
La caricature pousserait à dire que le pouvoir de l'administration tend à écarter le juge naturel des affaires de l'économie pour le cantonner dans la fonction pénale dans laquelle il s'épuisera pendant des années, et que cette pratique sauvegarde le pouvoir étatique sur l'économie renvoyée face aux sanctions du juge père fouettard ;
Est ce vraiment une caricature ou plus simplement une bande dessinée réaliste poser la question est y répondre. Mais il reste que tous les opérateurs économiques qui ont découvert les juges ont constaté que, dans leur formation comme dans leurs certitudes, ils n'avaient de l'économie, de l'entreprise, du commerce, qu'un vue filtrée dans les mailles serrées du code pénal Ce phénomène, qui produit ses effets depuis une dizaine d'années a aggravé considérablement la fracture qui s'élargit entre le droit et l'économie, déjà largement ouverte par les spécificités structurelles de notre pays.
Après avoir ainsi nourri l'appétit répressif des juges l'égard de l'économie libre, la raison a commencé à poindre son nez lorsqu'il est apparu, par plusieurs méga scandales financiers que l' ETAT était un opérateur catastrophique qui faisait, naturellement, le contraire de ce qu'il imposait à ceux qu'il prétendait contrôler et contraindre.
Conclusion
Notre pays découvre une réalité Les deux piliers sur lesquels reposait son originalité, celle qu'il avait réussi à faire partager, un ETAT puissant, omni présent, Intégrateur, et une culture humaniste respectueuse du droit, sont attaqués autant de l'extérieur que de l'intérieur.
Par son comportement autiste, égocentrique, dominateur, l' ETAT a largement contribué, de l'intérieur, à la démolition de notre culture humaniste. Il est devenu impuissant, sauf en matière répressive, ( depuis peu), il s'est absenté de ses grandes fonctions ( la canicule), il n'intègre plus les communautés migrantes dont nous avons tant besoin, laissée à leurs fantasmes, leurs aigreurs et leurs révoltes.
La culture du bien vivre en travaillant, de la tolérance et de l'altruisme s'efface derrière le mal vivre sans travailler, la prohibition et l'égocentrisme.
Tout cela est mauvais pour les relations de l'économie qui se veut créatrice de richesse, dans un cadre de droit qui la respecte, au sein d'une société qui regarde devant elle. Le plus noir du tableau vient de la désaffection massive de la jeunesse à l'égard des sciences. Nous disposons encore des cerveaux qui assureront le futur des projets innovants. Pour combien de temps si les entreprises n'arrivent ni à les attirer ni à les retenir ?
Il faut que chacun se mobilise pour détourner le pays du précipice Avant qu'il ne devienne un super dysney land peuplé de retraités étrangers et d'intermittents du travail et du spectacle plus ou moins en révolte. Je m'y emploie, mais c'est un autre sujet.