Et quel passé ! On le sent venir par une sensation diffuse qui vient s'exprimer dans un rapport récent : « Un Français sur deux ne se sent plus chez lui comme avant »
Ce n'est pas le sentiment en lui-même qui est préoccupant. Il ne fait que constater que le temps qui passe modifie les gens et les choses. C'est la référence au "comme avant" qui pousse à préférer le passé à l'avenir.
Notre pays se joue régulièrement la pièce du retour vers le passé dans son théâtre hexagonal. Entre 1941 et 1944, ce fut la tragédie ; entre 1959 et 1962, ce fut le drame ; entre 1968 et 1969, ce fut la farce ; entre 2000 et 2002, ce sera certainement la comédie.
A quoi reconnaît-on ces périodes au cours desquelles un pays hésite entre le passé et l'avenir ? Evidemment c'est plus facile à expliquer à la fin qu'au début. Je vais pourtant m'y engager en prenant rendez-vous en 2003 si Dieu me prête vie et L'Echo ses colonnes.
Les symptômes du retour vers le passé
A chaque fois les mêmes manifestations annoncent les mêmes troubles de comportement qui affecteront la société jusqu'au paroxysme libérateur qui remettra le malade sur pied. Pour illustrer l'analyse, j'aurais pu comparer les dérèglements des trois périodes : tragédie 40-44, drame 59-62, comédie 2000-2002. Si comparables soient-elles, il paraît suffisant de mettre en évidence les similitudes entre la tragédie et la comédie. Les deux situations sont extrêmes.
Grande détresse vécue il y a 60 ans, grande richesse affichée aujourd'hui. Années noires contre années roses. C'est sur ces situations de l'extrême qu'on construit la vision la plus révélatrice. Si choquante soit-elle. Allons à la découverte des symptômes.
Le refus d'accepter l'évolution du monde
Entre 1940 et 1944, l'Etat français ainsi appelé pour faire oublier la République a refusé de comprendre la mondialisation de la guerre. Il a reculé devant l'engagement aux côtés des futurs vainqueurs, laissant à une France qui n'était pas la sienne la place qu'elle y prit.
Aujourd'hui, l'administration de l'Etat refuse d'admettre la mondialisation des activités humaines. Elle rejette l'engagement à côté des futurs gagnants de la grande révolution en cours, laissant à nouveau à une France qui n'est pas la sienne la place à y prendre.
En 40-44, la politique du vichysme mou n'était autre que celle du fascisme mou qui n'avait pu s'imposer en France dans les années 30. On sait à quel point elle a échoué...
Aujourd'hui, on sait que les sociétés perdantes du début du siècle seront celles qui auront conservé le système administratif bureaucratique centralisé du XXe siècle. Tout le monde sait que l'expression politique de ce système, le collectivisme mou, n'a pas su s'imposer chez nous dans les années 80.
Tout annonce un deuxième service de ce plat réchauffé en agitant l'épouvantail de la mondialisation.
Deux chefs pour deux pays
Est-ce parce que nous avons coupé la tête de notre dernier roi ? Nous adorons qu'il y ait deux têtes au sommet de notre monarchie républicaine. Et bien évidemment qu'elles se disputent les deux morceaux du pays déchiré.
Dans la tragédie, c'était la guerre des armes. L'hexagone renfermé derrière son Maréchal, le reste de l'ancien empire et quelques aventuriers derrière leur Général, jusqu'au transfert des ovations parisiennes de l'un vers l'autre en avril et août 44.
Dans la comédie que nous allons vivre, ce sera la guerre des mots, comme dans la pièce "Ridicule". Nos deux énarques cohabitant ne sauront se servir que des outils qu'ils ont appris à manier à l'Ecole. Chacun va passer la moitié de son temps à marquer l'autre, l'autre moitié à se démarquer de l'autre, et réciproquement. Il n'y a pas de bon retour en arrière sans quelques procès dramatiques ou croustillants des personnalités et des organisations politiques "d'avant". La "révolution nationale" de 1942 n'a pas manqué à la tradition, dans la tragédie de l'époque. La révolution judiciaire en cours continue de nos jours ce travail toujours renouvelé, heureusement dans la comédie. Pour le moment car l'affaiblissement de la démocratie représentative face à la monarchie technocratique se paie toujours très cher.
L'anti anglo-américanisme primaire
Les Anglo-saxons ne vivent pas comme nous. Marchands mondialistes, ils ont hérité de la conduite du monde par la défaillance de l'Europe continentale. Leur démarche naturellement conquérante justifie une ferme opposition. Elle doit éviter les clichés et les excès qu'ils savent si bien retourner à leur profit. Dans ce domaine, nous avons toujours "fait fort", comme on dit maintenant. En général, ce travail vaniteux appartient à quelques écrivains emportés.
Il est inutile de rappeler les exploits des grandes "plumes" de 1^-^époque 40-44 et ce que fut le destin de leurs oeuvres. Aujourd'hui, le top départ a été donné à grands coups de "télés" par la grande prêtresse qui trempe sa plume dans l'encrier de ses grands anciens. A la lire, on confond les aveugles gérants des "fonds de pensions" anglo-saxons destructeurs d'usines dans nos zones industrielles avec les aveugles pilotés tout aussi anglo-saxons des forteresses volantes destructrices de nos gares de triage bombardées en 1943.
Encore un effort et on la verra demander le retrait des droits civiques de nos jeunes émigrés à Londres. Comme on l'a fait il y a 60 ans à leurs grands-pères. Ce n'est pas avec des méthodes que nous lutterons efficacement contre ceux qui sont, bien sûr, des concurrents redoutables mais qui sont avant tout des amis qui nous ont sauvés deux fois du naufrage.
Le retour à la terre
Ce fut la grande affaire du vichysme mou de 1942. Au nom de la légitime solidarité avec les femmes de prisonniers restées seules sur leurs exploitations agricoles. Noble sentiment qui dissimulait un crime.
La stratégie du Reich millénaire né du délire nazi était clairement de ramener la France vers sa « bouffe » et sa ruralité. Sans empire, sans armée, sans industrie. Le vichysme mou qui avait abdiqué toute autorité, c'était aussi ça.
Aujourd'hui, la mode revient au Larzac et à ses moutons. Contre la "mal bouffe" à laquelle seraient condamnés les habitants des villes nourris par les hypermarchés de l'industrie agroalimentaire. Noble sentiment qui dissimule lui aussi une faute contre le pays.
La France est un des deux premiers producteurs et exportateurs agroalimentaire. Elle ne peut que pâtir de l'assimilation de l'industrie qui nourrit ses citadins à la mal bouffe. En outre, il n'est pas très élégant de cracher dans leur soupe. Ce qui est utile, la défense de la qualité des produits, ne doit pas être utilisé dans le fantasme du retour à une France pastorale et bucolique qui n'est que le choix d'un passé révolu contre un avenir inévitable.
La toute puissance de l'administration nourricière
En ces temps de conflits entre l'Etat et son administration, lorsqu'il devient difficile pour le citoyen de base de savoir qui, au sein de notre Etat, est le gouvernant et le gouverné, je me limite à une comparaison née dans l'esprit d'un de mes amis facétieux.
Quoi qu'il arrive à la France, elle ne peut pas s'empêcher de confier la moitié de sa richesse à son administration.
Entre 1940 et 1944, ce furent les services du ravitaillement qui géraient avec des bons et des tickets de toutes sortes la moitié que l'armée d'occupation nous laissait. Aujourd'hui, ce sont les services du budget qui gèrent avec des feuilles d'impôts et des bulletins de cotisations de toutes sortes la moitié de ce que nous produisons.
Et cet ami plaisantin de conclure : que nous resterait-il de ces deux moitiés si nous étions à nouveau occupés, coincés que nous serions entre l'armée de l'occupation et celle des prélèvements obligatoires ? Que Dieu nous garde.
A l'évidence, nous entrons dans notre crise habituelle. Heureusement en forme de comédie. Tous les symptômes sont réunis. Comment en sortirons-nous d'ici deux ou trois ans, au travers de quel paroxysme ?
Ce ne peut pas être par la tragédie du vichysme dur après l'abdication du vichysme mou. Ce ne peut être le drame de 1962 qui mit fin au rêve du retour vers le passé de l'empire. Ce sera la comédie du changement de numéro de République qui nous évitera de constater que nous avons rangé dans notre trésor enfoui au fond de notre beau jardin nos rêves de collectivisme mou au-dessus de ceux du colonialisme mou d'il y a 40 ans et ceux du vichysme mou d'il y a 60 ans. A moins que l'entracte qui permet ces distractions ne soit abrégé.