JUIN 2013 - N°20

Et si on essayait le laisser-faire plutôt que le dire ?

par Gérard THORIS, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris

Un rapport succède à un rapport précédent. Une commission succède à une autre commission. Un engagement présidentiel succède à un autre engagement présidentiel. L’encouragement public aux vocations d’entrepreneurs ne faiblit pas dans notre pays… ponctué de décisions contradictoires et d’annonces sans lendemain. Gérard Thoris s’inquiète de la gestion erratique d’un dossier essentiel pour l’économie française.


Il est évident que, sans les multiples talents qui innervent la France, la situation économique actuelle serait grave mais non désespérée. Mais enfin, l’impératif de l’entreprise, cela fait des lustres qu’il est défendu ; les rapports officiels et officieux sur le rôle positif que pourraient jouer les pouvoirs publics sont légion ; les réflexions conjointes entre partenaires sociaux sur l’état de l’industrie ou de tel ou tel secteur pullulent. Cela fait nécessairement partie du processus démocratique. Mais quand un rapport enterre l’autre parce que, entre temps, on a changé de majorité, quand on se limite aux effets d’annonce sans engager même de projet de loi ou signer la moindre directive d’application, quand on sélectionne une mesure symbolique en oubliant tout ce qui engage véritablement en termes de changement, alors oui, c’est désespérant !

Les « Assises de l’entrepreneuriat » sont un exemple prototypique de cet entrelacs d’effets d’annonce, de catalogues où la puissance publique peut puiser pour alimenter son goût hyperbolique de l’action, de promesses très bientôt non tenues mais qui occupent les esprits englués dans l’instant. Elles se tiennent cinq ans après que l’éminence grise de François Mitterrand, qui ne devrait pas effrayer son successeur à l’Elysée, ait proposé «300 décisions pour changer la France»1

Ainsi, par exemple, ce rapport proposait de favoriser l’entrepreneuriat en créant le statut de l’auto-entrepreneur. Déjà, entre la proposition et la réalité, les niveaux d’exemption fiscale avaient fondu. Mais enfin, si l’on en juge par le nombre de créations d’entreprise sous ce statut, il est clair qu’il répond à une demande. Sans doute, ici ou là, fallait-il mieux gérer la coexistence de ce statut avec celui des artisans. Cela pouvait se faire par un allègement de la fiscalité de ces derniers ; cela se fera par un alourdissement de la fiscalité des premiers !

Nous venons de vivre un instant quasi magique d’émerveillement devant la capacité des partenaires sociaux à négocier un accord national interprofessionnel qu’une loi a repris ensuite tel quel. Certes, ce n’était peut-être pas au cœur des débats, mais enfin, pour être « au service de la compétitivité des entreprises »2, il n’était sans doute pas inutile de simplifier l’écheveau de la représentation salariale et syndicale. On aurait pu imaginer un article rédigé de la manière suivante : « dans les PME de moins de 250 salariés est mis en place une représentation sociale unique sous la forme d’un conseil d’entreprise exerçant les fonctions du comité d’entreprise, des délégués du personnel, des délégués syndicaux et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ce conseil d’entreprise est le lieu privilégié de la négociation ». En fait, le lecteur attentif se souvient immédiatement qu’il s’agit de la « décision » 37 du rapport Attali déjà cité. S’il a disparu de l’agenda, est-ce parce que le problème a été solutionné – mais qu’on nous dise comment ? Est-ce parce que ce n’est pas un problème – mais alors pourquoi l’avoir mentionné comme une mesure phare pour restaurer la croissance en France ? Très candidement, ne serait-ce pas parce que le sujet est tabou – mais s’il faut éliminer les sujets qui fâchent des négociations alors, pourquoi créer de nouvelles commissions pour entériner des désaccords persistants ?

Finalement, on le sait bien, « les Assises de l’entrepreneuriat » ont été décidées pour réparer une décision prise sans concertation dans la Loi de finances 2013, à savoir augmenter la taxation des plus-values de cession de valeurs mobilières. On pourrait croire qu’il n’y a ni coût ni prix pour sauver la face des pouvoirs publics. Peut-être que neuf commissions pour l’oubli ne sont pas un budget pour les ministres en exercice. Mais il y a un coût pour certains entrepreneurs puisque, en passant, la base de la fiscalité sur les plus-values a été élargie. Ce genre de concertation a l’esprit d’un contrôle fiscal à l’échelle de la Nation !

Alors, on se met à rêver, non pas au laisser-faire manchestérien, mais à une simple accalmie dans l’accumulation de mesures incitatives et, ô esprit insensé, à une mise en cale sèche des politiques publiques, un retour en grâce et même un élargissement de la révision générale des politiques publiques. Mais quand on est ministre si peu de temps, peut-on se faire un nom dans le silence du laisser-faire ?


1 Jacques Attali (2008), «Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française : 300 décisions pour changer la France », Paris, La Documentation Française.

2 Sous titre de l’ Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation des parcours professionnels et de l’emploi des salariés

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