Les
discours, politiques comme économiques, ne changent pas, décennie après
décennie. La France manque d’entrepreneurs, elle a trop d’Etat… Facile
et superficiel, car au pays des grandes idées qui doivent rayonner sur
le monde, nous n’arrivons pas à nous accorder sur le sens de nos mots.
Par
exemple, les deux mots qui figurent en titre n’expriment pas du tout le
même concept selon l’idéologie et la circonstance, auxquelles s’ajoutent
les cultures et les formations propres aux deux grandes fonctions - le
politique et l’économique - telles qu’elles jouent leurs rôles,
essentiels au bon équilibre de la société. Surtout quand ces cultures
inspirent des luttes intestines, en vouant, tour à tour, aux gémonies
les PATRONS et leurs ENTREPRISES, l’ETAT et ses FONCTIONNAIRES.
Pour aider à
comprendre comment se produit cette accumulation d’inepties
économiques, il faut s’inspirer de Confucius et de son attachement
au sens des mots. Au moins pour tenter de corriger nos défauts, au sens
basique du mot, ce qui nous manque. Prenons en cinq, facilement
compréhensibles. L’entrepreneur, le vrai, est un créatif qui se projette dans un espace de liberté, qui prend ses responsabilités, ses risques et privilégie l’expérience
assumée à la théorie enseignée. Pour lui, c’est clair, pas pour
l’Etat. Chacun reste enfermé dans son langage, et la France dans son
marasme, faute d’une pédagogie qui lui permette d’en sortir en les
conciliant.
Le créatif.
Comme son nom l’indique, il crée. Il ne se contente ni d’inventer, ni
d’innover, voire de rénover. Il réalise un projet qu’il construira pour
le plus longtemps, le plus grand espace, le plus grand nombre de clients
et d’emplois possibles. A ses débuts, même soutenu par des politiques
qui veulent donner à leur action les images successives du novateur,
innovateur, rénovateur, son rôle est aussi méconnu que son
personnage, de la part des administrations de l’Etat. Pourtant, n’en
déplaise à ses contempteurs, l’entreprise dépend avant tout de son
créateur pour apporter, plus tard, la richesse dont la société
bénéficiera.
Les
administrations les plus ouvertes à la modernité, parce qu’elle donne
une belle image qui se vend bien dans la quête aux budgets, y voient un
innovant, séduisant. Elles ignorent qu’il ne sert à rien d’innover sans
la volonté de créer, de construire, d’offrir ce qui sera le monde à
venir. Elles ne connaissent du projet que le SOFT, l’idée, pas le HARD,
sa construction, sa mise en pratique. Leur premier réflexe est
scepticisme et méfiance. La règle de précaution veut alors que le
créatif soit traité comme un banal assujetti au guichet de
l’administration d’en bas, voire comme entité statistique dans la
catégorie des partenaires sociaux de l’administration d’en haut.
La liberté.
L’analyse du sens de ce mot, le premier de notre fière devise
républicaine, dans les vocabulaires de l’Etat et de l’entrepreneur, est
passionnante. Il a un vrai sens pour le créatif. Il en a besoin pour
vaincre les résistances au changement des sceptiques et des
conservateurs. Ceux qui partagent le projet avec lui en ont autant
besoin pour investir leur temps, leur argent, leur imagination en se
dispensant des sécurités offertes à ceux qui sont apeurés par les
risques.
Ce concept
est naturellement incompréhensible par l’Etat. Construit, comme l’Armée
des guerres impériales du XIXème siècle, puis comme chef de guerre des
armées de l’économie industrielle du XXème siècle, il limite la liberté
d’entreprendre aux exigences de la discipline citoyenne, par la norme et
le règlement, au-delà même de la Loi. Le rapport récent sur les 400.000
normes qui constituent la camisole de force infligée au monde des
entrepreneurs explique tout. Y compris le taux de mortalité de ces
fantassins de l’économie, chair à canons des obusiers de la
bureaucratie. 80 % à dix ans. On l’oublie. C’est à la fois le déni de
réalité et le déni de liberté.
De temps en
temps, l’entrepreneur trouve un peu de liberté en assumant une vocation
de substitution, destinée à pallier la défaillance du politique,
lorsque le choix, historique, du chômage de masse pèse trop lourd sur la
communauté. Il devient créatif d’emplois assistés, associé dans le
traitement de la rémission de ce cancer sociétal. Son banquier est
lui-même invité à quitter chapka, moufles et parka pour diffuser la
chaleur bienfaisante du pouvoir de dire oui, le temps d’accumuler les
pertes, avant de retrouver la prudente frilosité qui assure les gains.
On le voit,
l’entreprise libre reste victime, en France, de l’image héritée des
années de guerre froide, celle du renard libre dans le poulailler libre.
La responsabilité.
L’esprit d’entreprise la revendique comme contrepartie de la liberté,
sans toujours en comprendre les limites, surtout les conséquences.
Montesquieu, en son temps, a défini l’esprit de commerce comme
s’exerçant à mi chemin entre la générosité et le brigandage. Ces deux
mots servent de cadre à l’exercice et à la mise en cause des
responsabilités encourues par l’entrepreneur qui sont à la mesure des
normes que nul n’est censé ignorer, et des risques de défaillance
qu’elles provoquent à un niveau démesuré.
A partir de
quoi, chacun s’accroche à ses certitudes. L’administration à sa
suspicion de brigandage, qui sait, comme les bons chiens de garde, que
le contrevenant qui a pénétré en territoire interdit doit être
¨ chopé ¨ lorsqu’il sort. L’entrepreneur à sa manifestation de
générosité qui l’a entrainé en zone de chasse interdite, voire à s’y
installer, sans que le moindre barrage ne l’ait empêché, convaincu de
n’avoir enfreint aucune norme face au mutisme du garde qui s’est joué
de sa bonne foi. A ce petit jeu de mots, la pièce que l’entrepreneur a
entre les mains perd aussi bien pile que face. Il subit le poids de la
forme indissociable du couple responsabilité/culpabilité dans lequel la
culpabilité est préjugée pour tout ce qui est initiative individuelle.
Le risque.
Il fait partie du quotidien de l’entrepreneur. Sans lui, pas de vertu
stimulatrice dans l’effort. Avec lui, l’apprentissage des moyens de le
maîtriser, sous toutes les formes qu’il revêt. Le seul outil disponible
pour éviter qu’il se réalise en détruisant le projet reste l’esprit de
prévention. L’Etat préfère l’esprit de précaution face aux risques que
tout assujetti rencontrera et qu’il entend protéger. Il en a fait une
loi constitutionnelle. Ce qui déprécie tout effort de prévention.
Puis, faute
pour l’administration de pouvoir ni tout bloquer ni tout interdire,
elle laisse des trous dans les sécurités des systèmes étatiques
construits, de fait, pour une protection illusoire. Le mot de risque
change alors totalement de sens selon qu’il pèse sur l’entrepreneur,
même bénévole, réputé, voire préjugé, à la fois responsable et coupable,
et l’Etat, au besoin pour sa propre raison, à la fois non coupable et
irresponsable devant les tribunaux réservés au vulgaire.
L’expérience.
L’entrepreneur ne peut compter que sur elle, la sienne comme celle de
ceux qui l’accompagnent dans son projet, pour affronter les défis qu’il
rencontrera dans sa démarche créative, sa recherche de liberté, sa prise
de risques et de responsabilités. Une expérience faite d’une
accumulation d’efforts, de sens pratique, de réalisme, de maîtrise des
réussites comme des échecs, en un mot, de qualités humaines de
générosité que la malignité, tout aussi humaine, peut faire brigandage.
L’Etat,
grand organisateur des carrières de ses serviteurs, voit dans
l’expérience individuelle sur laquelle ils pourraient exercer leur
office ou leurs missions, matière à détournement de pouvoir et
d’autorité. La théorie, pièce maîtresse du concours d’accès au statut,
dessine la carrière administrative dans le moule de laquelle le
serviteur sera coulé corps et âme. Avec une différence entre le
guichetier d’en bas, qui gère les assujettis, rivé à son indice et à son
échelle, et les grands serviteurs des administrations centrales seuls
autorisés à pantoufler dans le monde des grandes entreprises, donc plus
ouverts aux expériences de ceux qui ont contribué à les créer.
Les maux de
l’économie expriment ce que disent les mots de ceux qui la créent et de
ceux qui la contrôlent quand ils ne l’administrent pas directement ou
indirectement. On dit le Français peu doué pour les langues. C’est vrai
pour celles de l’économie !
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