C’est quoi, l’esprit d’entreprise ?
Une conversation dans la Lorraine de 2013
par Jacques Barraux, ancien directeur de la rédaction du quotidien Les Echos
L’esprit d’entreprise, c’est d’abord une forme particulière de l’esprit de contradiction. Un instinct de l’action à contre-courant. Tout va mal en France ? C’est le bon moment pour se lancer quand la peur de la déglingue générale paralyse le plus grand nombre. L’esprit d’entreprise, c’est ensuite l’art de marier les trois ingrédients de la réussite : une idée, une méthode, une équipe. Au cœur de la France en récession, le témoignage d’un chef d’entreprise modeste, ignoré des médias mais acteur sans complexe de la mondialisation.
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Mai 2013 dans les environs de Pont-à-Mousson, une région au cœur de la crise européenne. Conversation avec le patron d’une entreprise de mécanique de 150 salariés (110 en France et 40 dans une petite filiale en Allemagne). Il s’appelle Francis Gris. Il a créé son entreprise dans les années 80, à l’ombre de la sidérurgie en faillite. Comment réagit-il à l’avalanche de mauvaises nouvelles sur l’industrie (en général) et l’automobile (en particulier), son principal client ? « Je n’ose pas le dire. Le premier semestre 2013 est pour nous un moment de surchauffe ». L’explication est simple. Elle témoigne de la plasticité d’un monde industriel « made in France » totalement incompris de l’opinion et des médias.
Dans les pays d’Europe du Nord, c’est positivement sous l’angle du bien-être au travail, et surtout de la performance économique, que les questions du stress au travail ont été abordées, et il y a fort longtemps déjà. Les premiers accords entre partenaires sociaux ont été signés sur ces sujets en 1977 au Danemark, alors que dans notre pays il aura fallu attendre 2008 pour voir le jour d’un Accord national interprofessionnel sur la question du stress au travail.
L’automobile européenne a des problèmes de surcapacités. Pas l’automobile mondiale. Gris Découpage, c’est le nom de l’entreprise lorraine, a des clients mondiaux comme Mercedes et Renault implantés à la fois dans des pays à forte croissance et des pays à faible croissance. Si l’Europe a moins besoin de boîtes de vitesse, le reste du monde lui, soutient la demande, et les composants de haute performance de Gris Découpage sont assurés de leurs débouchés. L’entreprise dépend moins de l’humeur des Européens que de celle des Chinois, des Russes ou des Brésiliens. Petite mais mondiale via des clients globaux.
Parcours classique d’entrepreneur
Francis Gris est à l’image des milliers de chefs d’entreprises qui ont réussi leur parcours malgré trente années de dérèglement macro-économique de la France. Il est modeste par tempérament mais totalement à l’aise dans l’arène hors-frontières. Il a créé son entreprise dans les années 80. Un pari risqué. Il s’était porté candidat pour reprendre une activité peu glorieuse d’Usinor-Sacilor dans le domaine des produits déclassés, se lançant alors dans la production de rondelles, un produit basique de quincaillerie. Un marché aujourd’hui contrôlé à 100% par l’industrie asiatique. Il a opté rapidement pour une stratégie de sortie par le haut, ce qui lui vaut aujourd’hui de s’accrocher à une niche clairement identifiée dans le monde des équipementiers.
Une idée (la pièce haut de gamme pour un marché universel) ; une méthode (un temps d’avance en performance qualité ; une extension dans la Rhur) ; une équipe (à forte tonalité commerciale pour rentabiliser un lourd investissement machine). Comme des milliers d’entreprises saines ignorées des médias, Gris Découpage est une entreprise familiale. Céline, la fille du patron, âgée de 36 ans, semble vouée à prendre la suite de l’entreprise. L’esprit d’entreprise se transmet aussi par les gènes…
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