Le 1er octobre 2018, l’Institut PRESAJE a organisé le colloque sur la justice pénale internationale à la suite de la publication de l’ouvrage « L’avenir de la justice pénale internationale » de Jean ALBERT et Jean-Baptiste MERLIN
Le colloque a été introduit par Michel ROUGER, Président de l’Institut PRESAJE qui a rappelé les défis à venir pour la justice pénale internationale dans un contexte, d’éternel recommencement, où la loi du plus fort vient bousculer l’ordre juridique établi.
Monsieur Bruno COTTE, ancien président de chambre à la Cour pénale internationale, après avoir souligné la qualité de l’ouvrage de Jean ALBERT et Jean-Baptise MERLIN a rappelé les lieux actuels qui relèveraient de la justice pénale internationale. Il a exprimé sa préoccupation de voir la justice pénale internationale, en particulier la CPI remise en cause tant sur le fondement de sa légitimité que de son efficacité. Il a néanmoins relevé les motifs de satisfaction, notamment les travaux engagés pour renforcer les règles de déontologie applicables aux juges et pour améliorer les règles de procédure.
A cet égard, Monsieur COTTE a salué l’initiative de l’Ecole Nationale de la Magistrature à l’origine de la Déclaration de Paris d’avril 2018 faisant suite à une conférence plénière relative aux défis du recouvrement des avoirs organisée à Paris le 20 octobre 2017. Cette déclarations formule trois Recommandations préalables, visant à donner à la cour la plénitude de sa dimension internationale dans ses travaux. La Déclaration développe à la suite trois grands thèmes à savoir: la prévisibilité, la célérité et la gouvernance.
Face aux défis contemporains, Monsieur COTTE a salué « la position prise par la chambre préliminaire dans l’affaire des Rohingias et de la Birmanie même si c’est au prix d’une analyse juridique assez audacieuse voire singulière ».
Au terme de l’analyse en forme de témoignage de Monsieur COTTE, il apparaît que la justice pénale internationale est encore jeune et qu’il lui appartient de poursuivre son processus de construction pour asseoir sa légitimité et son efficacité.
En préambule de la présentation de l’ouvrage de Jean ALBERT et de Jean-Baptiste MERLIN, Thomas CASSUTO souligne qu’au-delà du devoir de mémoire, c’est la responsabilité d’endosser le passé afin qu’il ne se reproduise pas qui fonde la légitimité de la justice pénale internationale. L’intérêt du présent colloque est également de rappeler l’importance de la parole des témoins et acteur de l’Histoire dont certains se sont exprimés dans l’ouvrage cité ou au cours du colloque.
L’ouvrage de Jean Albert et de Jean-Baptiste MERLIN porte un regard objectif et critique sur le fonctionnement de la justice pénale notamment dans l’engagement des poursuites, l’autorité des décisions, des mandats d’arrêts et des peines, dont l’inexécution peut laisser craindre une impunité, l’articulation entre juridictions internationales et nationales, l’émergence des notions de crimes sexuels et du crime d’agression et la place de la victime confrontée à l’objectif de réconciliation.
Jean ALBERT est revenu sur les enjeux de compétence notamment à la lumière de l’arrêt du 6 septembre 2018 de la CPI dans l’affaire dite des Rohingyas. La mise en œuvre de cette compétence a des conséquences majeures au regard du repli de la compétence universelle et du retrait observé ces dernières années de certains États Parties au Statut de Rome. L’ouverture d’examens préliminaires mettant en cause des pays non Parties doit être suivie avec attention tant du point de vue de la régression de l’impunité que de celui de la légitimité de la justice pénale internationale.
Dans sa contribution écrite au colloque, Thierry CRETIN réinterroge la légitimité de la justice pénale internationale à l’aune du droit naturel mû par un idéal de paix et des droits nationaux. Il souligne, qu’en tout état de cause, la question de la légitimité repose également sur la capacité à mener des enquêtes, c’est-à-dire à recueillir, en toute indépendance, des preuves au service d’un « bien commun ».
Abdel-Akim MAHI, fort de ses expériences à la Délégation interministérielle aux droits des victimes et de magistrat de liaison en Algérie rappelle toute l’importance de d’améliorer la place des victimes dans le cadre des procédures relatives aux crimes internationaux. La marche est encore longue pour que les victimes puissent bénéficier d’une reconnaissance satisfaisante, espérer connaître la vérité et se voir rendre justice. Il fait valoir que la coopération internationale ne cesse de s’améliorer au bénéfice de nouveaux standards et que la pratique française à l’égard des victimes, constitue toujours un modèle d’inspiration, y compris au sein de l’Union européenne.
Francis MEGERLIN, ORCEM en Ex-Yougoslavie, illustre la collision conceptuelle entre la réalité du terrain, matérialisation d’une irréductible Real Politik face aux aspirations à déférer des criminels reconnus devant les juridictions internationales symboles d’une justice sans glaive.
Muriel UBEDA-SAILLARD discute l’exécution des décision de la CPI non pas au regard du droit applicable mais de leur interprétation politique qui sape l’autorité de la justice pénale internationale, singulièrement lorsque les mis en cause sont des dirigeants en exercice.
Donald FERENCZ évoque l’origine du crime d’agression et les difficultés à le voir intégré dans la compétence de la CPI. Il rappelle que celui qui entraîne son pays dans la guerre est autant coupable vis-à-vis du peuple qu’il attaque que vis-à-vis de l’humanité. Il relie cette question au Pacte de Paris de 1928 relatif à la renonciation à la guerre dont la mise en œuvre est sapée tant par la nature humaine que par le fait qu’il n’existe aucun mécanisme de sanction efficace.
Aurélia DEVOS souligne que malgré l’opposition apparente entre procédures nationales et procédures internationales, il existe une réelle complémentarité. La pratique, notamment du Pôle crimes contre l’humanité au TGI de Paris, témoigne d’expériences positives. Elle démontre que l’avenir de la justice pénale internationale est aussi entre les mains du juge national.
Alae BEN RAIS, rapporte une analyse économique du crime international. Porté par un sentiment de toute-puissance synonyme d’impunité, les dirigeants engagés dans une guerre peuvent être enclins à recourir aux moyens les moins coûteux, commettre des exactions et des crimes, plutôt que de soutenir le conflit avec des moyens conventionnels. Il revient donc à la justice pénale internationale de démontrer que ces crimes ne restent pas impunis.
Jean-Baptiste MERLIN évoque l’un des enjeux centraux de la justice pénale internationale, la paix, et son rapport à la vérité dans une démarche de réconciliation. Il met en exergue que ce rapport est affecté par la confrontation du temps long de la justice au temps court de la politique. Ainsi, le traitement procédural des crimes internationaux, y compris au travers de peines négociées (« plea agreement ») peut suggérer, pour les victimes, une altération de la conciliation entre paix et justice.
Michel ROUGER conclut le colloque sur l’idée de Renaissance du droit au cœur des travaux de l’Institut PRESAJE. L’évolution de la justice pénale internationale est une illustration de la recomposition de l’ordre juridique international et l’émergence de nouvelles formes de criminalité internationales infiltrant l’économie mondialisée et les structures politiques. Cette évolution constitue un véritable défi pour l’État de droit et la construction de modèles sociétaux apaisés.